Après avoir bloqué pendant des années l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo est resté Président pendant plus de 5 ans alors qu’il n’avait plus le droit de l’être, son mandat étant arrivé à son terme. Etant donné que le pays était en guerre, l’organisation du scrutin semblait objectivement attendre que toutes les conditions de paix et de sécurité soient réunies. Mais la paix était revenue sans empêcher que la date du vote aille d’ajournement en ajournement. La sécurité était à nouveau assurée que la Commission Electorale Indépendante (CEI) passa par une phase de dissolution ordonnée par le même Laurent Gbagbo soupçonneux à souhait.
On comprit alors que l’organisation du scrutin n’attendait pas le rétablissement des conditions optimales au sein de la société ivoirienne, mais plutôt que le Président sortant finisse de mettre en place sa machinerie auto élective pour sa victoire future. Puis le mois de novembre 2010 arriva. D’après le Président sortant, tous les feux étaient désormais passés au vert pour une présidentielle équitable et transparente sous la houlette d’une CEI. Gbagbo arriva en tête au premier tour et ce résultat fut accepté par tous les candidats. Voici qu’au deuxième tour, un coup de force annule la victoire d’Alassane Dramane Ouatara proclamé vainqueur de la présidentielle par la même CEI qui donna les résultats du premier tour. La Côte d’Ivoire a désormais deux Présidents : un sortant qui redevient entrant et compte ne pas lâcher le pouvoir malgré le vote défavorable du peuple ivoirien, et un autre qui, avec raison, se dit légitime puisqu’ayant obtenu la majorité des soufrages du peuple ivoirien après les deux tours du scrutin. Que retenir de cette situation concernant le pouvoir du peuple, le rapport au pouvoir, la CEI et la démocratie en Afrique Noire ?
Peuple souverain, peuple veto et peuple surveillant en Afrique Noire ?
Avec l’élection brillante et sans bavure de l’opposant historique Alpha Condé en Guinée Conakry, le peuple africain vient de démontrer au monde entier qu’il n’est pas rétif à la démocratie à condition qu’il ait en face de lui des hommes prêts à respecter honnêtement les règles de l’art démocratique. Pour une fois que les Guinéens ont eu droit à une élection libre, ils se sont prononcés pour un vrai changement d’hommes et de politiques. Cette présidentielle guinéenne est la preuve contemporaine que malgré une pauvreté ambiante qui entraverait la démocratie, le peuple africain peut se montrer souverain, veto et surveillant.
Malheureusement le cas ivoirien vient aussitôt jouer au rabat-joie. C’est pendant que nous sommes en train de dire que le processus démocratique africain vient d’enregistrer une étape heureuse avec cette présidentielle guinéenne, qu’un Laurent Gbagbo se décide d’intégrer à grandes enjambées le cercle tristement célèbre des dictateurs africains. Laurent Gbagbo qui avait réussi à mettre de son côté de nombreux Africains et Ivoiriens allergiques tant à la France qu’à l’ingérence des puissances occidentales dans les affaires africaines, vient de montrer son vrai visage. Son hold-up électoral sur Alassane Dramane Ouatara confirme les soupçons d’une violence structurelle de son pouvoir qu’auguraient déjà les escadrons de la mort et l’assassinat de Robert Guei. Les masques anti-Occident et anti-néocolonialisme sont tombés et on s’aperçoit que Laurent Gbagbo s’était taillé un costume qu’il ne méritait pas.
En effet, Gbagbo aurait été un vrai combattant et un authentique résistant au néocolonialisme, qu’il allait respecter le vote des populations ivoiriennes. En invalidant les résultats donnés par la CEI alors qu’il les avait acceptés au premier tour, Gbagbo piétine le vote d’un peuple qu’il disait jadis souverain lorsqu’il voulait se tailler son costume de défenseur de la souveraineté du peuple ivoirien. Il apparaît ici une espèce d’homme politique que l’Afrique a déjà connu pendant les luttes d’indépendances : des hommes qui se disent patriotes et nationalistes juste pour garder le pouvoir en exploitant la rancœur historiques des Africains face aux anciennes puissances occidentales. Être patriote ou nationaliste ne veut pas dire qu’on est automatiquement un démocrate. Un leader comme Sékou Touré a été un nationaliste invétéré qui s’est avéré être un violent dictateur dans l’exercice du pouvoir alors qu’un Senghor plus extraverti et amoureux de la France, s’est montré plus démocrate. Se dire défenseur de la souveraineté d’un pays ne doit pas être un alibi pour déclasser un vote populaire car le peuple vote pour qui il veut et il a toujours raison.
Les résultats du premier et du second tour montrent pourtant que le peuple ivoirien est resté souverain en faisant arriver en tête un candidat différent à chaque fois. Un peuple qui vote contre un Président sortant alors que celui-ci a organisé, surveillé et contrôlé le processus vers les élections présidentielles de bout en bout, est un peuple qui assume son choix et entérine la défaite politique de Laurent Gbagbo en lui jetant à la face sa réelle minorité populaire. Dans ces conditions, il ne reste plus au vaincu que la loi du plus fort selon laquelle on gagne quel que soit le sens des votes des populations. Laurent Gbagbo a ainsi usé de la même technique que ceux qui changent les Constitutions en refusant de passer par un référendum. Lui et ceux-là passent outre la volonté populaire en s’appuyant sur une institution nationale complètement contrôlée par leur pouvoir exécutif. Ailleurs, ce sont les assemblées nationales qui l’ont fait. Ici, c’est la Cour Constitutionnelle dont on sait acquise à Gbagbo. Autrement dit, le peuple vote mais son vote est jugé sans objet au point où la Cour Constitutionnelle revote comme il faut à sa place pour donner les résultats qu’il faut à l’homme qu’il faut. C’est la preuve ici que la CEI n’était légitime aux yeux de Laurent Gbagbo qu’au cas où il sortait vainqueur. Elle devenait illégitime dans le cas contraire. Ce qui équivaut à dire qu’on se dit démocrate en Afrique Noire uniquement lorsqu’on gagne. Alpha Condé a pourtant perdu plusieurs fois avant de gagner en 2010, quand d’autres veulent toujours gagner même contre l’avis de leurs populations.
Alassane Dramane Ouatara est victime d’un tribalisme et d’un racisme d’Etat
« L’ivoirité » n’est toujours pas enterrée car faire appel à la Cour Constitutionnelle ivoirienne pour déclasser et invalider les résultats électoraux de la CEI seulement dans les régions du Nord favorable à Ouattara, est la preuve que l’Etat ivoirien, au sens de macrostructure contrôlée par le pouvoir exécutif de Laurent Gbagbo, reste dans une position où Alassane Dramane Ouattara n’est toujours pas considéré comme un Ivoirien. Annuler le vote au Nord revient à dire que le travail de la CEI est valable uniquement là où Gbagbo a gagné au Sud. C’est faire des votes du Nord du pays des choix non valides parce que faits par des non Ivoiriens. Ce qui met en évidence un tribalisme et un racisme d’Etat construit par l’élite au pouvoir suivant laquelle la référence démocratique « one man on vote » se rétrécit car elle s’ethnicise, se « racialise » et se tribalise. Toute la fragilité des Etats africains se trouve dans ce genre de situation où l’Etat nie la nation et la fragilise en introduisant des référents généalogiques dans le jeu démocratique. Sans aller jusqu’à penser que la nation gomme les appartenances ethniques, il semble plausible qu’en Afrique et dans le cas ivoirien, ce sont ceux qui sont pouvoir qui, chaque fois pour leurs intérêts politiques, font ressurgir la lame tribale dans le jeu électoral. La négation du vote populaire par Gbagbo et la Cour Constitutionnelle ivoirienne est donc la traduction d’un tribalisme et d’un racisme d’Etat en ce sens qu’elle donne une origine ethnique à cet Etat qui doit avoir à sa tête in Ivoirien de « sang pur ». Ce qui annonce une privatisation et à une contrition ethnique de l’Etat ivoirien, étant donné que les populations qui ont voté au Nord sont aussi constitutives de celui-ci.
C’est pourtant une fuite en avant que de continuer dans cette logique ethno tribale car être Ivoirien est moins une affaire de « sang pur » qu’une affaire de droits acquis. Et si Alassane Dramane Ouattara a été autorisé à être candidat à la présidentielle après avoir été premier ministre de ce pays, alors il possède tous ces droits et est bel et bien Ivoirien quel que soit l’origine de son sang. Nicolas Sarkozy n’a pas d’ancêtres gaulois mais est bien le Président de la France. Le drame en Côte d’Ivoire est qu’il y’a eu comme une entente tacite entre les élites pro Gbagbo. Cette entente tacite aurait été : même si Alassane Dramane Ouattara gagne les élections, il ne sera jamais le Président de la Côte d’Ivoire car il n’est pas Ivoirien ! Ce type raisonnement est le fondement des pouvoirs génocidaires car le principe héréditaire ainsi primordialisé incite à la haine des uns par les autres. L’ironie du sort veut que ce soit Konan Bédié, l’allié actuel d’Ouattara qui soit l’inventeur du principe d’ivoirité dont le poison venimeux, miséreux et diviseur continue de raviner le socle historico-culturel de l’Etat ivoirien.
Les tribulations de la CEI ivoirienne enseignent beaucoup sur les scrutins africains
Les dirigeants africains ont une peur bleue d’une CEI. Au Cameroun, c’est Elecam qui en tiendra lieu en 2011. Le court-circuitage de la voix du peuple par des instances juridiques nationales à la solde du pouvoir en place, est une vieille technique que connaissent de nombreux Africains. On ne respecte pas la Constitution mais on s’y réfère pour justifier son hold-up électoral. Les Camerounais en ont fait l’expérience en 1992 dans le duel au sommet Fru Ndi versus Biya.
En outre, la présidentielle guinéenne vient de consacrer un opposant autant que la CEI ivoirienne. Ces structures indépendantes sont révélatrices d’au moins trois vérités :
1. presque tous les pouvoirs sortant africains manipulent les résultats du vote en leur faveur lorsqu’il n’y a pas de CEI ;
2. les opposants ont déjà gagné de nombreuses présidentielles ailleurs mais sans CEI, ils ont été déclarés battus par les instances juridiques à la solde des pouvoirs en place ;
3. si les dictateurs africains modifient leurs propres Constitutions alors ils peuvent aussi passer outre les résultats et le travail d’une CEI comme c’est le cas en Côte d’Ivoire.
D’où le problème de la crédibilité de nos chefs d’Etats. Que peut espérer démocratiquement l’Afrique Noire avec la carence qu’elle connaît en démocrates convaincus ? Laurent Gbagbo et ses pairs sont des démocrates contraints. Ce sont donc des dictateurs patentés. Le plan de Gbagbo semble de replonger la Côte-d’Ivoire dans une guerre civile pour rester encore au pouvoir pendant dix ans comme il vient de le faire, en avançant la raison que le pays ne peut organiser les élections résidentielles en situation instable. Adopter cette stratégie revient à jouer avec l’avenir d’une Côte-d’Ivoire qu’on dit chérir dans ses discours nationaliste : c’est un nationalisme instrumental. Refuser sa défaite n’est pas le signe d’un grand homme. C’est celui d’un orgueil mal placé là où c’est le peuple qui dicte sa décision. Être démocrate, c’est aussi respecter le peuple et savoir perdre.
Avec cet épisode, Laurent Gbagbo, considéré comme un combattant par certains Africains, montre qu’il n’est pas pour l’Afrique combattante et la démocratie. Un vrai combattant respecte le peuple et s’en irait s’il a perdu un combat démocratique. Il continuerait son combat dans l’opposition. Aller contre le peuple fait de Laurent Gbagbo, non seulement un dictateur, mais aussi un Président à la légitimité douteuse et très affaiblie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. On ne « trafiquotte » pas juridiquement une victoire alors que le peuple souverain a décidé du contraire. C’est placer le pays au bord d’un profond précipice.
La bonne nouvelle, à mon sens, c’est que le vent de la démocratie souffle dans la bonne direction Afrique Noire car le cas ivoirien est une preuve supplémentaire que la peur est plus que jamais du côté des tricheurs et des dictateurs. On ne peut pas défendre la souveraineté de son Etat en ne respectant pas la voix de son peuple !
Correspondance: Thierry AMOUGOU
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