Antoine Glaser (La Lettre du Continent) Interview : « La Côte d’Ivoire peut résister à une nouvelle partition »

Par la-croix.com

La Croix » : Le camp du président ivoirien Laurent Gbagbo veut faire invalider le vote dans des régions du Nord ex-rebelle. La fraude est-elle avérée ?

Antoine Glaser : La communauté internationale, en particulier par la voix de son représentant spécial Yj Choi, estime qu’il n’y a pas eu de violence massive dans les circonscriptions du Nord et que l’ensemble du processus électoral ne doit pas être remis en question. Le scrutin a même été jugé démocratique. C’est également la position des observateurs mandatés par l’Union européenne. Les Nations unies ont dépensé des centaines de millions d’euros pour la tenue de ces élections. La mission de l’ONU a largement eu le temps de s’y préparer, de disposer de relais un peu partout en province. La communauté internationale pouvait difficilement passer à côté de fraudes massives.

Le candidat Laurent Gbagbo peut-il s’opposer à la proclamation des résultats ?

Il dispose du contrôle de l’appareil d’État et peut compter sur les troupes d’intervention les mieux équipées du pays. Il s’est maintenu au pouvoir à la fin de son mandat, en 2005, au titre de l’article 48 de la Constitution. Cet article lui donne des prérogatives exceptionnelles. Il peut notamment dissoudre la commission électorale indépendante au motif qu’elle refuse d’invalider les votes dans le Nord. Un tel scénario déboucherait vers un retour en arrière : le pays se retrouverait à nouveau coupé en deux. En effet, on imagine mal les ex-rebelles accepter sans broncher le maintien du régime actuel, si les résultats venaient être à défavorables à Laurent Gbagbo. Il faut savoir qu’ils n’ont pas désarmé.

Le pays pourrait-il résister à une nouvelle partition ?

L’essentiel des recettes de la Côte d’Ivoire provient de la production de cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier fournisseur mondial. Les plantations sont localisées au Centre et au Sud et la récolte sort par le port de San Pedro, sur les rivages de l’Atlantique. De plus, les ressources pétrolières et gazières du pays, là encore situées dans la partie Sud, comptent de plus en plus dans l’économie locale. Jusqu’à présent, le gouvernement Gbagbo a vécu sans les productions du Nord, notamment de coton, qui sont essentiellement exportées vers le Burkina Faso. Il peut continuer ainsi. Les milieux d’affaires restent d’ailleurs très prudents. Ils se sont accommodés du régime actuel qui, de manière très intelligente, ne leur a jamais rien refusé. Les groupes français ont su maintenir une présence très importante sous la présidence de Laurent Gbagbo. S’il reste l’homme qui a dit « non » à la France et « non » à Jacques Chirac, il s’est montré très favorable aux hommes d’affaires comme Martin Bouygues et Vincent Bolloré. Il y a quinze jours, le groupe Total a signé un contrat pour la prospection pétrolière de gisements à la frontière du Ghana.

Quels sont les soutiens d’Alassane Ouattara ?

C’est l’homme du Nord. Il semble aussi avoir bénéficié d’un bon report des voix d’Henri Konan Bédié, ce qui n’était pas forcément attendu tant les deux hommes se sont opposés sur les problèmes de nationalité. Les Ivoiriens se disent fatigués. Il existe une vraie volonté de changement, ce que Laurent Gbagbo a sous-estimé. Mais la marge de manœuvre d’Alassane Ouattara apparaît étroite. Appellera-t-il ses électeurs à descendre dans la rue et, si oui, sera-t-il entendu ? Difficile à dire. L’appareil sécuritaire du président sortant est impressionnant.
Un des deux candidats peut-il être tenté par la solution militaire ? Près 8 000 soldats des Nations unies et 900 militaires français stationnent aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Il est peu probable que Laurent Gbagbo attaque le nord du pays et défie ainsi les casques bleus. Pour autant, les moyens de pression de l’étranger sont limités. La Côte d’Ivoire demeure le poids lourd des pays francophones d’Afrique de l’Ouest. La diplomatie française marche sur des œufs par crainte d’une réaction contre ses ressortissants et cherche avant tout à désengager ses troupes. Le principal levier de la communauté internationale est que ce pays a été déclaré PPTE (pays pauvre très endetté). À ce titre, il a besoin d’avoir une annulation de sa dette sous peine d’être étranglé sur le plan financier.
Recueilli par Olivier TALLÈS

la-croix.com

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