Par Jean-Pierre Deroudille
Les partisans de Laurent Gbagbo ont empêché la publication de résultats menaçants pour eux
La tension montait hier soir à Abidjan, où l’on commençait à craindre un affrontement entre les partisans de Laurent Gbagbo, le président sortant, et ceux de son challenger Alassane Ouattara, qui l’accusaient de vouloir confisquer le pouvoir. Les partisans du chef de l’État au sein de la commission électorale indépendante (CEI) ont « empêché physiquement » celle-ci de proclamer les résultats.
Selon Bernard Conte, chercheur au Centre d’études de l’Afrique noire (Cean), « si les résultats ont été différés, c’est bien parce que le chef de l’État est menacé. Parce qu’il avait accepté de ne remettre son mandat en jeu, après avoir reporté l’échéance à six reprises, qu’à partir du moment où il était sûr d’être réélu. Il avait fait procéder à de nombreux sondages pour s’en assurer ».
Hier, aucun résultat n’avait été proclamé par la CEI, majoritairement favorable à Alassane Ouattara, alors qu’elle devait le faire dans la journée. Seuls les votes des Ivoiriens de l’étranger – majoritaires pour Ouattara à 60 % – ont été divulgués, mais ils ne portaient que sur 15 000 inscrits, alors que 5,7 millions d’Ivoiriens sont inscrits sur les listes électorales.
Mouvements de troupes
On a senti qu’il se passait quelque chose d’anormal hier matin, quand les techniciens de la radio-télévision ivoirienne ont démonté le studio qui avait été installé à la CEI, d’où les résultats devaient être transmis. Les journalistes présents ont été invités sans explication à quitter le bâtiment, devant lequel s’étaient déployées des forces de l’ordre.
La CEI a officiellement jusqu’à ce soir pour proclamer les résultats. Mais on peut douter qu’elle soit désormais en mesure de le faire, puisque les partisans de Laurent Gbagbo ont contesté de nombreuses opérations de vote dans le nord du pays.
Signe de tension aggravée, chaque camp « rapatriait » hier après-midi vers sa zone les éléments armés qui avaient été envoyés dans l’autre partie du pays pour sécuriser le scrutin de dimanche dernier, comme si elles devaient se préparer à un affrontement. 1 500 soldats loyalistes au président sortant sont redescendus vers le sud, tandis que 1 500 hommes des forces nouvelles remontaient vers le nord.
Selon Bernard Conte, l’opposition entre les deux candidats s’explique en grande partie par la division du pays entre une zone nord, qui avait soutenu la rébellion à Laurent Gbagbo, et une zone sud, qui lui est restée fidèle.
L’inconnue Konan Bédié
En fait, personne ne pouvait prévoir le résultat, puisqu’on ne savait pas sur quel candidat allaient se reporter les suffrages qu’Henri Konan Bédié avait recueillis au premier tour. Selon Bernard Conte, Laurent Gbagbo, membre de l’ethnie bété implantée dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, espérait que les partisans de Konan Bédié – éliminé du second tour -, des Baoulés du centre du pays, l’auraient préféré à Ouattara, candidat écarté en 1995 parce qu’il n’aurait pas pu prouver sa nationalité ivoirienne.
Selon le chercheur bordelais, les intérêts économiques n’ont que peu d’influence sur ce conflit, tant l’un comme l’autre des candidats ont montré leurs capacités à travailler avec toutes les multinationales françaises. Laurent Gbagbo, qui se fait fort d’être nationaliste et opposé aux entreprises françaises, a concédé le port d’Abidjan au groupe Bolloré et travaille volontiers avec Bouygues, pour la fourniture d’eau potable, ou France Télécom. Il a cependant le soutien d’une bonne partie de la gauche française, proche du Parti socialiste.
De son côté, Alassane Ouattara, un ancien cadre de la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest, est catalogué comme « libéral » et s’est fait connaître comme un expert en finances publiques.
12 000 Français sur place
En novembre 2004, 8 300 des quelque 16 500 Français résidant en Côte d’Ivoire avaient quitté le pays à la suite des pillages et saccages qui avaient dévasté le pays. Les Français avaient été visés en effet parce que la force de pacification Licorne, présente sur place, avait « neutralisé » les avions ivoiriens après avoir été la cible de tirs meurtriers, qui avaient causé la mort de neuf soldats français. Les résidents français, qui ne se sentaient plus en sécurité, ont été évacués en moins de quinze jours, dans des conditions souvent très difficiles.
Très peu indemnisés par Paris, beaucoup d’entre eux ont eu du mal à se réintégrer.
Ils ont été remplacés par de nouveaux arrivants pour la plupart, puisque les Français sont à nouveau au nombre de 12 153, selon les inscriptions au consulat de France à Abidjan.
Les militaires français de la force de maintien de la paix Licorne ne sont en revanche plus que 900. Ils font partie des 9 000 Casques bleus de l’Onuci (opération des Nations unies en Côte d’Ivoire), qui compte des ressortissants de nombreuses nationalités.
sudouest.fr
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