Publié par Bolenge Ngbanzo, Source Groupe l’Avenir
Les Ivoiriens ont voté hier dimanche, pour le changement ou la continuité, selon les convictions de chacun. ’Nous irons voter demain à partir de 7 heures, comme au premier tour », avait lâché la veille un jeune ivoirien, Youssouf, qui semblait bien connaître son affaire ou plutôt son devoir.
Pour lui comme pour d’autres jeunes de son âge, il faut absolument user de leur droit de vote en espérant que cette fois-ci ils ne seront pas bernés comme lors des dernières élections quand Gbagbo avait floué son rival Ouattarra en brandissant la loi sur l’ ‘’ivoirité’’. Et pourtant dans cette intention de vote spontané l’on reconnaît une jeunesse blasée qui ne sait plus si ce qu’elle espère adviendra un jour, à savoir l’alternance démocratique.
Les violences qui couvent
Mais, hormis cette crainte qui ne rassure personne et fait monter les enchères de cette élection historique depuis 1960 ,où tout doit faire la différence, on est pourtant encore une fois confronté à un climat de violences bien desservi par le président sortant. Il reste à savoir que si la voix des jeunes reste déterminante, dans tous les deux camps désormais les majors lorgnent avec envie leur salut dans les 25% de l’ancien président Konan Bédié. Mais, on ne serait pas non plus étonné de revoir Gbagbo l’emporter car malgré la coalition de Ouattara et Bédié, rien ne garantit qu’en ce second tour la population suivra nécessairement le mot d’ordre de vote de leurs leaders. Bien pire, contre toute attente, il reste l’allié des intérêts français.
Gbagbo se maintient au pouvoir
On comprend cependant la soif naturelle de Gbagbo de se maintenir dans un pouvoir où il se trouve à l’aise après plusieurs manœuvres dilatoires et le soutien de ceux qui le tolèrent malgré ses bévues et son incapacité à remettre l’économie du pays en marche. Le pouvoir abuse l’homme. Et jusqu’ici Gbagbo qui souhaitait l’alternance du temps où il était dans l’opposition s’est désormais métamorphosé en véritable machine à brouiller les cartes électorales . Ouattara resterait ainsi selon un discours populiste pur produit de la machine Gbagbo un étranger séparatiste malgré tout. Donc entre le fils du pays et l’étranger le choix est clair et très peu rassurant.
Boostés par le face à face télévisé des deux candidats, nombreux sont parmi les 5,7 millions d’électeurs qui sont allés le dimanche écoulé déposer leur bulletin dans l’urne. Ce second tour de la présidentielle que d’aucuns ont qualifié de finale ou plus modestement de l’heure du changement a démontré que les Ivoiriens pouvaient se montrer raisonnables ou manipulables quand ils le voulaient. Car l’ambigüité demeure la force de ce pouvoir décadent. Eloigner du pouvoir les personnes d’origine étrangère qui contribuent à faire vivre le pays au même titre que les fils du pays et en même temps gouverner le pays sans aucune vision , voilà qui vieillit tout le monde et crée en soi un blocage qui débouche généralement aux actes désespérés de violence. Dans les rues du quartier abidjanais de Koumassi, un jeune militant pro Gbagbo a été tué lors des derniers affrontements entre partisans des deux leaders. Et à Abidjan certains parmi la population a fait ce week-end des provisions pour le cas où ils seraient forcés de rester chez eux.
Le rêve est gratuit
A quand le « vivre-ensemble » qui faisait dans cette sous région très convoitée et riche la réussite du vieux Houphouët- Boigny ? Les jeunes continuent à espérer « Une politique en faveur de la jeunesse, de l’emploi et de la paix… », va -t-on enfin leur donner cette chance d’avoir un gouvernement qui va appliquer cette politique ? La paix est au pays du café et du karité devenue une pièce rare et les Ivoiriens symbole de pires violences sous Gbagbo. Qui tire réellement les ficelles pour transformer à chaque fois les élections en une poudrière ? Car entre Ivoiriens de toutes les souches, comme nous rapporte un chauffeur interrogé par notre source : « (…) il n’y a pas de problèmes, (…). C’est l’élection qui provoque les tensions ».
Malgré la confrontation violente de 2004, Gbagbo reste un protégé de la France car jusqu’ici malgré son franc parlé provocateur, il n’a pas dérangé les intérêts français qui ont beaucoup investi dans le pays. D’autre part, l’alternance ne changerait pas la donne nous renseigne notre source, car l’économie ivoirienne est portée par les investissements étrangers et surtout français. C’est ainsi qu’analyse Bernard Conte, auteur de l’ouvrage « Géopolitique de la Côte d’Ivoire » : ‘’ On constate que Gbagbo n’a pas mis les intérêts français à la porte et sa réélection éventuelle ne poserait sans doute pas de problème à Paris. »
L’économie ivoirienne est plombée
Toutefois, les investisseurs attendent beaucoup de ce scrutin pour relever la locomotive de la sous région que constitue la Côte d’Ivoire. Car aujourd’hui ‘’ l’économie ivoirienne est non seulement sinistrée mais, plus encore, sans acquis. Ce qui faisait l’orgueil des Ivoiriens au temps de Félix Houphouët-Boigny est au mieux obsolète, au pire par terre. Et dont la crédibilité résulte de l’expérience menée, sur le même terrain, de 1990 à 1993, par Ouattara alors 1er Ministre. Mais en plus clair, on peut utilement se référer à ce que disait le patron des patrons Kacou Diagou dans Jeune Afrique en septembre 2010 : ‘’quelle politique sera mise en place pour permettre aux entreprises non seulement de survivre mais de se développer, de créer de la valeur, d’affronter la concurrence sous-régionale et internationale, de lutter contre la corruption, la bureaucratie, le racket… ? « Tout le monde attend de voir ce qui va se passer avant d’investir ou de créer de nouvelles activités.’’ Le couvre-feu nocturne critiqué par tous les camps de Soro, Ouattara et Bédié saura –t-il étouffer le feu qui couve dans cette maison ivoirienne et surtout contenir la folie des miliciens chauffés à blanc ?
Quel que soit le gagnant de ce scrutin, il retrouvera la question des milices à intégrer dans l’armée régulière et une économie sous perfusion. Autant le rêve de cette jeunesse ivoirienne confrontée au chômage a poussé les gens dehors pour aller voter malgré les apparences, la surprise sera de mise pour sortir des urnes le ‘’président’’ que les Ivoiriens auront peut-être longtemps souhaité. Mais il y a aussi à croire que la surprise n’en soit pas une : l’absence d’alternance en Afrique étant devenue la règle, un moyen de pérenniser l’emprise des empires maffieux qui profitent surtout aux puissances occidentales plutôt qu’aux populations locales.
Bolenge Ngbanzo
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