Par Thomas Hofnung – Libération
« On va tuer un blanc, on va te découper! » Vendredi dernier, devant le siège du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix), à Abidjan, un journaliste français a bien cru sa dernière heure arriver. Laurent Despas, patron du site web Koaci.com, venait porter du matériel vidéo à son caméraman quand il a été violemment agressé par une dizaine de personnes en colère : des partisans du candidat Laurent Gbagbo venus en découdre avec ceux d’Alassane Ouattara, à dix jours du second tour de la présidentielle en Côte d’Ivoire, un scrutin à hauts risques.
Cet ancien conseiller de Guillaume Soro était au mauvais endroit au mauvais moment. Furieux d’avoir été refoulés par la police, ces jeunes proches de la Fesci (Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire) s’en sont pris au « blanc » qui passait par là. Laurent Despas parle d’un climat xénophobe qui a repris de la vigueur avec la campagne électorale, durant laquelle le président Gbagbo accuse son rival d’être « le candidat de l’étranger ».
Officiellement, le chef de l’Etat ivoirien ne cite pas la France, mais tous ceux qui ont de la mémoire auront bien compris le message. En septembre 2002, après la tentative de coup d’Etat contre Gbagbo, le domicile de Ouattara avait été attaqué par un escadron de la mort et ce dernier avait trouvé refuge à l’ambassade de France. Depuis, et notamment durant les événement de novembre 2004, où l’armée française a affronté les « patriotes », Gbagbo s’est posé en champion de la « seconde indépendance » vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Durant la campagne, il a beaucoup usé de cette corde patriotique pour mobiliser au-delà du noyau dur de ses partisans.
Vendredi, dans le quartier résidentiel de Cocody, Laurent Despas a été roué de coups, il a dit à Ouest France avoir esquivé plusieurs coups de machette, avant d’être atteint à l’épaule. Le patron de Koaci.com confie n’avoir dû son salut qu’à l’intervention providentielle d’une femme qui l’a protégée et permis son exfiltration. Il souligne aujourd’hui que le pouvoir ivoirien n’est pour rien dans l’agression dont il a été victime, et assure même qu’il est très embarrasé par toute cette affaire. Mais il dresse un constat pour le moins inquiétant: « Les politiques ne maîtrisent rien. On risque d’assister à de nombreuses violences, à des réglements de comptes en série, dans les quartiers après le vote du 28 novembre. »
En octobre 2003, le journaliste de RFI, Jean Hélène, avait été tué à bout portant par un policier à Abidjan. En avril 2004, le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer a été enlevé par des hommes en armes, toujours à Abidjan. Son corps n’a jamais été retrouvé. Depuis le début de la crise ivorienne, la presse française est accusée par les partisans de Gbagbo d’avoir pris parti pour ses opposants. Un discours qui ne souffre aucune discussion.
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