Étude sur des Bétés, à l’attention de ceux qui parlent des Baoulés et exaltent le vote ethnique

Étude sur les Bétés, à l’attention de ceux qui parelent des Baoulés et exaltent le vote ethnique quand il s’agit de combatrre Ouattara !

Pour Henri Konan Bédié, c’est un ticket de sortie de la scène politique ivoirienne. Mais à 76 ans, pouvait-il espérer, encore, autre chose ? Et, avant d’abandonner définitivement un premier rôle, il aura fait ce qu’il fallait faire. En 2010 comme en 1999, en refusant de résister inutilement aux « lois de l’histoire », il aura éviter le pire sans jamais être parvenu à offrir le meilleur.

Dans les années 1980, lors d’un dîner organisé chez lui, à Paris, par André Hovine (qui avait été le conseiller financier de Bédié et le directeur général de la Bourse des valeurs d’Abidjan – BVA – de 1975 à 1978), Bédié confiait à ses interlocuteurs qu’il était déjà trop tard pour qu’il succède dans de bonnes conditions à Félix Houphouët-Boigny. Normal. Il n’y a que Abdoulaye Wade, par je ne sais quel miracle, qui soit capable de gouverner dans une perspective de court terme avec une vision de long terme. Les autres ont besoin que l’horizon recule au fur et à mesure qu’ils avancent (ou pensent avancer).

On pardonnera beaucoup à Bédié dès lors qu’il joue un jeu collectif dans une perspective ivoirienne et ouest-africaine. Il faut dire qu’il avait un réel passif ! C’est vrai aussi qu’il n’était pas le mieux préparé pour accomplir la tâche qui lui avait été confiée : succéder au « Vieux » dans une conjoncture politique, économique et sociale difficile. Il avait été ministre de l’Economie et des Finances de 1966 à 1977 et avait, à compter de 1980, présidé l’Assemblée nationale, poste protocolairement significatif mais qui ne prédisposait pas à être un « patron » opérationnel. Nomenklaturiste du PDCI, « houphouëtiste » par sa naissance en pays baoulé, devant gérer, par héritage, une flopée d’apparatchiks peu enclins au travail (et encore moins à l’innovation), il s’efforcera d’assurer la continuité quand il était plus que temps d’imposer la rupture, persuadé que son passé serait garant de son avenir.

Si Bédié évite, dans la négociation du dernier virage, de sortir brutalement de la route, il n’est pas certain que Laurent Gbagbo n’aille pas dans le mur. Elu ou battu. Il peut bien prendre, aujourd’hui, des postures d’homme d’Etat (auxquelles il ne nous a pas habitué dans les années passées et dans les jours récents) et laisser l’injure à ses hommes liges (qui, en la matière, ne manquent pas d’aptitude), Gbagbo restera celui qui aura « planté » la Côte d’Ivoire et refusé d’en prendre conscience.

Un « gauchiste » stalinien hésitant entre Moscou et Pékin qui aura viré – tardivement, au début de la décennie 1980 (début 1982 précisera Simone Gbagbo : « rupture avec l’ancienne plate-forme idéologique [marxiste]. Désormais nous allons travailler sur la base social-démocrate ») « socialiste » avant de nous promettre « une révolution, le terme n’est pas excessif, démocratique et nationale » (selon les mots mêmes de son ami de longue date, Guy Labertit qui, lui aussi, est passé du « gauchisme » au « socialisme » pour n’être plus nulle part aujourd’hui).

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Il convient de rappeler quand même à tous ceux qui présentent Gbagbo comme un opposant « organisé » à Félix Houphouët-Boigny que ce n’est que les 19-20 novembre 1988 (après son « exil » en France : 1982-1988) qu’a été organisé, à Dabou, le congrès constitutif du FPI ; il ne faut pas confondre Gbagbo et Luiz Inacio Lula da Silva, le FPI et le Parti des travailleurs (PT) brésilien !
En 1990, surfant sur la vague de la contestation menée notamment par les syndicats d’enseignants, et alors que son parti, le FPI, avait tout juste deux ans, Gbagbo s’est présenté à la première présidentielle « pluraliste » jamais organisée en Côte d’Ivoire. 4.409.810 électeurs ; taux d’abstention de 30,84 %. Félix Houphouët-Boigny récolte 2.445.365 voix (soit 81,68 % des suffrages exprimés) tandis que Gbagbo devra se contenter de 548.441 voix.

3 ans plus tard, le « Vieux » est mort, Bédié lui a succédé conformément à la Constitution et sera élu le 22 octobre 1995 lors d’un scrutin boycotté par les grands leaders de l’opposition. Bilan : Bédié devient président de la République avec seulement 1.640.635 voix. Et le 24 décembre 1999, un coup de force militaire le met brutalement sur la touche. Un an plus tard, Gbagbo face au général Robert Gueï, bénéficiaire du putsch de 1999, sera plus mal élu encore : 1.065.597 voix, soit 59,36 % des suffrages exprimés ; le taux d’abstention est alors de 37,42 % !

L’ex-gauchiste, professeur d’histoire, propulsé sur le devant de la scène politique ivoirienne comme « opposant historique » à Houphouët (qui avait plus de vingt ans d’expérience politique lorsqu’il a accédé à la présidence en 1960), se retrouve ainsi à la tête de la Côte d’Ivoire dans un contexte dramatique : un an après un coup d’Etat militaire – le premier dans l’histoire du pays -, à la suite d’une élection qu’il qualifiera lui-même de « calamiteuse », sans expérience, sans réseau d’influence, sans cadres politiques de haut niveau, porteur de promesses sociales qu’il ne pourra pas économiquement tenir. Son ami Labertit affirmait qu’il serait l’instigateur « d’une révolution démocratique et nationale ». Simone Gbagbo, son épouse, écrira « qu’il oeuvrait uniquement pour amener à l’existence une vision que Dieu a inscrite derrière [ses] paupières ».

Le « petit prof socialo » était condamné à l’échec dès lors qu’il choisira de se replier sur son groupe politique et social, extrêmement restreint, plutôt que de s’ouvrir aux autres forces vives de la nation ivoirienne. Les anthropologues diront que cette dérive était inscrite dans l’histoire de son peuple ; les « psy » diront qu’elle était inscrite dans son histoire personnelle et ses multiples contradictions. L’histoire de son peuple, c’est celle des Bété. Ils se revendiquent comme Ivoiriens quand les autres viennent, pour l’essentiel, d’ailleurs ; mais velléitaires, turbulents, instables, ils seront le dernier groupe social à s’intégrer à l’administration coloniale. Mal considérés dans la capitale, ils confient la culture de leurs terres à des « étrangers » qui ont un savoir-faire qu’ils ne maîtrisent pas. Ils ne progressent pas dans l’administration ; et leur territoire est valorisé par d’autres qui, peu à peu, vont se l’approprier. Exclus de la colonisation, ils seront exclus de l’indépendance et auront, sans cesse, des pulsions autonomistes sans en avoir les moyens.

Gbagbo sera ainsi ballotté, recherchant des ancrages dans des idéologies et des cultures étrangères et une reconnaissance politique et sociale hors de chez lui. Il multipliera les engagements politiques comme il multipliera les femmes. Et déçu par les hommes, il se tournera vers Dieu ; avec la même ferveur qui lui avait fait se consacrer à l’œuvre de Mao Tsé Toung (comme on disait alors).
Accédant au pouvoir par un étrange accident de l’Histoire, Gbagbo n’aura de cesse d’exclure les « autres », fustigeant dans « l’étranger » le vecteur du mal qui rongerait la Côte d’Ivoire. Il y était condamné. Jean-Pierre Dozon, qui a consacré aux Bété sa thèse de doctorat, soutient dans Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et Etat en Afrique (éditions La Découverte – Paris, 1985), que l’ethnie bété a un « rôle de groupe virtuellement oppositionnel » et que « les rumeurs qui circulent ici et là à son endroit amplifient le mouvement de l’ethnicité ». Gbgabo n’était pas fait pour avoir en charge le destin de la République de Côte d’Ivoire. Parfait aiguillon ; lamentable berger.

Dix années au pouvoir n’ont pas changé la donne. Dans Le Journal du dimanche du 31 octobre 2010, interrogé sur ce qu’il fera de la « rébellion » dans le Nord au lendemain de son élection, la réponse avait fusé : « Faites vos bagages et foutez le camp ! ». Le drame de la Côte d’Ivoire, c’est qu’au pire moment de son histoire, l’homme qui avait la charge d’une tâche historique n’en avait pas l’envergure. C’était vrai en 2000. Cela reste vrai en 2010. Hélas.

Jean-Pierre BEJOT

La Dépêche Diplomatique

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