15 novembre 10 – Le 28 novembre, les Ivoiriens éliront leur nouveau président. Mais le débat politique en prévision du second tour est en train de dériver dangereusement, avec un réel risque d’affrontement.
Abidjan, Michel Koffi/InfoSud –
Alors que le second tour de la présidentielle en Côte d’Ivoire doit débuter le 20 novembre, déjà ressurgit une marée de maux qui met à mal la cohésion nationale : repli identitaire, appel aux regroupements ethniques ou régionaux…
Pour rappel, mardi dernier, au cours d’une conférence de presse, le président sortant Laurent Gbagbo, arrivé en tête du premier tour avec 38% des voix, se voyait déjà gagnant, estimant avoir « confiné les autres (les opposants Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, ndlr) dans ce qu’ils sont, c’est-à-dire des candidats tribaux et ethniques ».
Et les attaques sont devenues de plus en plus agressives depuis que Bédié, écarté de la course à la présidence car arrivé troisième, a donné la semaine dernière la consigne à ses 25% d’électeurs de reporter « massivement » leurs voix sur Ouattara au second tour. Ce qui permettrait numériquement à leur coalition au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la paix et la démocratie (Rhdp) de remporter cette élection.
« Ivoiriens contre étrangers »
Or aujourd’hui, les discours progressistes et les appels au calme du premier tour se sont taris. « Ivoiriens contre Etrangers » : telle est la rengaine qui gangrène de façon insidieuse les débats de cette élection, assénée par tous les moyens de communication à disposition.
Désormais, chaque camp n’hésite plus à faire monter les enchères avec une propagande très dangereuse : circulation de films partisans retraçant les atrocités de la guerre ; diffusion de messages belliqueux sur les téléphones mobiles appelant à la confrontation, à coups de « Voter Ouattara, c’est donner une prime à la rébellion », ou de « Gbagbo-Ouattara, c’est la finale Côte d’Ivoire-Burkina-Faso ».
Pascal Affi N’Guessan, porte-parole du candidat Gbagbo, brandit à tout-va la menace du « candidat de l’étranger » qui voudrait voler la Côte d’Ivoire, et appelle à « se méfier » de Ouattara, à la nationalité prétendue douteuse. Et de rappeler aux électeurs de Bédié que c’est Gbagbo qui a fait revenir leur « grand frère » de l’exil auquel Ouattara l’avait contraint en 1999, après sa prise de pouvoir.
« Dérapages » de la presse écrite privée
Et d’autres de se remémorer que c’est ce même Bédié qui, dans un livre, avait émis des doutes sur la nationalité ivoirienne de Ouattara. Comme le souligne le journaliste et écrivain ivoirien Venance Konan, fin observateur de la vie politique du pays des Eléphants : « Bédié a ouvert la boîte de Pandore avec le concept d’ivoirité (pour se débarrasser de Ouattara, ndlr). Mais c’est le même Bédié qui demande de la refermer aujourd’hui ».
Dans cette atmosphère délétère, les incitations à la haine ethnique et religieuse sont largement relayées, voire entretenues, par la presse écrite privée. Certes, les médias publics sont restés relativement neutres lors du premier tour, selon un rapport de Reporters sans frontières (RSF) publié mercredi dernier.
Mais l’organisation, qui mène une mission d’observation des médias durant cette élection, pointe des « dérapages » qui ont parfois donné lieu à des couvertures « extrêmement partisanes » des quotidiens « Notre Voie » – propriété du parti de Gbagbo -, « Le Patriote » – très proche de l’ex-premier ministre Alassane Ouattara -, et « Le Nouveau réveil » – favorable à l’ex-président Henri Konan Bédié.
Profond malaise social
A l’heure actuelle, tous les ingrédients pour un affrontement fratricide entre Ivoiriens sont donc en train de s’accumuler. Avec pour toile de fond les mêmes appels au repli identitaire qui ont déjà prévalu lors de la guerre civile de 2002-2003, faisant écho à un malaise social plus profond qui n’a jamais été réglé depuis une dizaine d’années.
Pour Patrick N’Gouan, le président de la Convention de la société civile, c’est avant tout « la précarité qui a accentué les réflexes identitaires, intrinsèquement liés au besoin de sécurité morale et financière de la population ».
Face au tribalisme exacerbé et à l’opposition ravivée entre chrétiens et musulmans, qui constituent une épée de Damoclès au-dessus de la tête du peuple ivoirien, il se demande « qui posera enfin les bases solides d’un contrat social pour la renaissance de la Côte d’Ivoire ». Pas sûr que cet enjeu crucial de la présidentielle soit au centre des débats du second tour.
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