Mgr Jean-Pierre Kutwa, archevêque d’Abidjan (Photo : Diocèse d’Abidjan)
Source: la-croix.com
ENTRETIEN Mgr Jean-Pierre Kutwa Archevêque d’Abidjan
La Croix : On pouvait s’attendre au pire à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle, qui a eu lieu le 31 octobre. Au final, elle a été marquée par une participation de 85 % et s’est déroulée sereinement. Quelles leçons tirez-vous de ce scrutin ?
Mgr Jean-Pierre Kutwa : Dans cette participation massive, je perçois que le peuple ivoirien aspirait vraiment à voter. Cela faisait trop longtemps qu’il attendait de pouvoir s’exprimer. Dans la situation que connaît le pays, cette démarche voulait dire : « Ça suffit, il faut que l’on passe à autre chose. »
Chacun des citoyens voulait être l’électeur de celui qui va tenir les rênes du pays. J’ai le sentiment que le peuple a atteint une maturité qui lui a permis de comprendre l’enjeu et de créer le climat de calme et de sérénité dans lequel l’élection a baigné.
Traditionnellement, on observe en Côte d’Ivoire un vote assez fortement corrélé à la région d’origine ou à l’ethnie des candidats. Avez-vous l’impression que les lignes cette fois ont bougé ?
Quand on rencontre les états-majors des principaux candidats, très divers sur le plan ethnique, on se rend compte qu’aujourd’hui ce n’est plus tant l’ethnie ou la région que la personne qui compte.
Rester dans des schémas ethniques, cela ne fait pas avancer les choses. Les hommes politiques ont compris que pour gagner, ils ne pouvaient se cantonner à leur région. Si vous misez uniquement sur votre ethnie, cela ne suffit pas pour gagner l’élection.
Même au plus fort de la crise, on a constaté que le conflit entre communautés n’a jamais dérapé sur le plan religieux.
À quoi l’attribuez-vous ?
Nous remercions le Seigneur, nous remercions Dieu d’avoir donné cette clairvoyance aux chefs religieux. Quand le conflit a éclaté, nous nous sommes dits : « Si jamais ce conflit descend sur le terrain de la foi, pour laquelle on est prêt à mourir, on ne s’en sortira pas. » Alors tout de suite, nous nous sommes accordés pour parler d’une seule voix à nos fidèles afin que ce conflit ne dérive pas.
Cela nous rend forts aujourd’hui pour continuer. Les quelques chefs religieux qui étaient réticents au départ nous ont aujourd’hui rejoints. Il faut que le pays trouve une autorité morale, et nous espérons qu’il puisse le faire dans ce collectif des religieux.
Comment envisagez-vous le second tour ?
Les chefs religieux ont toujours répété le même message à l’adresse des candidats : « Si vous voulez être un jour à la tête de ce pays, montrez votre grandeur d’âme. »
Plusieurs candidats contestent le résultat. Si contestation il y a, il faut que ce soit dans le calme. La Côte d’Ivoire est un pays de droit. Si quelque chose ne va pas, vous vous plaignez auprès des instances prévues pour cela et vous appelez vos militants au calme.
De graves violations des droits de l’homme commises dans le pays depuis une décennie restent impunies. Ne craignez-vous pas que cela se mue en rancœur chez certains Ivoiriens ?
Les premières années de la crise furent un moment très trouble, un moment où il avait été dit que le pouvoir était dans la rue. Si aujourd’hui la situation n’est pas encore suffisamment stabilisée pour que l’on puisse se pencher en profondeur sur ces événements tragiques, je crois qu’il ne faut pas se faire d’illusion : demain, pour entrer dans une réconciliation totale, il faudra revenir sur certaines choses. L’Histoire vous rattrape toujours.
La communauté internationale, qui s’est fortement impliquée depuis le début de la crise politique, a- t-elle, à vos yeux, trouvé aujourd’hui la bonne distance ?
Au début de la crise, les Ivoiriens ont eu l’impression que la communauté internationale ne les comprenait pas bien. Aujourd’hui, les choses sont mieux perçues et nous apprécions l’aide et l’accompagnement qui nous sont offerts. On sent la communauté internationale pleinement engagée pour aider la Côte d’Ivoire à sortir de cette situation. Et nous ne perdons jamais une occasion de lui dire notre reconnaissance, notamment pour son engagement dans l’organisation des élections.
Et qu’en est-il de l’implication de la France ?
Le président Gbagbo a dit qu’il voyait cela comme une affaire d’hommes. Il a dit : « Quand Chirac était là, je ne trouvais pas le sommeil. Sarkozy est venu, je dors. » Cela veut dire ce que cela veut dire !
Recueilli par Laurent d’ERSU, à Abidjan
Source: la-croix.com
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