La veille du scrutin, le Premier ministre Guillaume Soro, dans l’habituel ton posé qui fait de lui un orateur hors pair, n’y pas allé par quatre chemins pour demander à tous les acteurs, y compris les journalistes, de contribuer à « vendre l’optimisme » pour que l’élection se fasse sans encombre. C’est dire que la peur de jours troubles régnait dans l’esprit de bien des Ivoiriens. Oui, une certaine fébrilité faisait tressaillir les Abidjanais chaque fois qu’était évoquée cette journée du 31 octobre, qui n’allait pas du tout ressembler aux précédentes. Pour le moment, Dieu soit loué, le tsunami électoral tant redouté n’a pas eu lieu. Retour sur un dimanche pas comme les autres sur la Perle des lagunes.
Les 70 ans bien sonnés, veuve Farma Diarra se déplace à l’aide d’une canne. Dès 5 heures du matin, elle a quitté son domicile dans le quartier Koumassi pour rejoindre le Groupe scolaire catholique Saint-Etienne. Elle n’est d’ailleurs pas la seule du troisième âge à l’avoir fait. A effectué le même grand effort le vieux Kouassi Kouakou qui, visiblement, est arrivé avec toute la tribu.
Une vingtaine de membres de sa famille étaient en effet à ses côtés. La jeune génération, vraisemblablement, ne voulait pas aussi non plus se laisser conter l’événement. C’est dire que l’affluence était celle des grands jours. Au petit matin déjà, la cour de l’école était noire de monde.
Des rangs se sont déjà formés mais, à sept heures, l’opération n’avait pas encore commencé. L’attente est quelque peu lassante pour des gens qui, voulant s’acquitter de leur devoir civique très tôt, n’ont dormi que d’un œil. Ce n’est qu’à 7h 45 mn que le scrutin a commencé. Au sein de l’école, sont installés quatre bureaux de vote qui ont commencé l’opération presque au même moment.
Sous le soleil à Cocody
La situation des votants au groupe scolaire catholique Saint-Etienne à Koumassi, pourtant, était bien enviable, comparativement à celle des riverains de l’école primaire publique du Château, sise à Cocody. Il se trouvait qu’à 9h passées, les membres des bureaux de vote installés en ces lieux n’avaient pas reçu leur mandat de la part de la Commission électorale indépendante.
Conséquence, ils ne pouvaient rien entreprendre, ce qui ajoutait à l’énervement des votants. Le soleil, comme pour envenimer davantage la situation, est entré dans la danse. « Ils se comportent de la sorte et lorsque ça chauffe dans le pays, ils jouent aux étonnés », fulmine un monsieur, dont la nervosité était à fleur de peau. Haoua Coulibaly, la présidente du bureau de vote n°3, peste : « Nous sommes là depuis 7h et nous n’avons jusque-là pas reçu notre lettre d’accréditation. Nous avons subi la formation jeudi et les responsables de la CEI auraient pu pourtant nous la remettre sur place ! »
Yopougon au bord de l’émeute
Dans le quartier d’Abidjan, célèbre pour sa rue Princesse, la longueur des files d’attente donnait le vertige. Une foule bigarrée se bousculait devant les portails de l’Ecole William- Ponty pour y avoir accès. C’est par vagues successives que des éléments de la gendarmerie nationale les y introduisaient. Malgré tout, au-dehors, c’était chaud, chaud, chaud !
A plusieurs reprises sont nées des altercations entre des éléments de sécurité et ceux qui attendaient. « Moi, je suis citoyen ; aujourd’hui, c’est eux qui refusent d’être des citoyens », a fait remarquer, un brin taquin, l’un d’entre eux. Les gendarmes, qui ont dû recevoir des instructions strictes, laissaient passer l’orage.
Dans cette mer de mécontents, il se trouvait tout de même des îlots de satisfaction qui se recrutent parmi ceux qui sont arrivés à exercer leur devoir civique. C’est le cas de Louise Acho et de sa fille Charlène. D’une même voix, elles ont manifesté leur joie en ces termes : « Ça s’est très bien passé. Je suis très heureuse, surtout pour ma fille qui vient de voter pour la première fois. Nous sommes fiers d’être Ivoiriens, et que le meilleur gagne ! ».
Quand la peur s’empare d’une ville
S’il y a une opération qui a été renvoyée plusieurs fois aux calendes ivoiriennes, c’est bien celle qui s’est déroulée le 31 octobre 2010 au pays d’Houphouët-Boigny. Mais, curieusement, la veille de sa concrétisation l’on avait l’impression que dans la capitale économique du pays les résultats de l’élection importaient moins à ses habitants que les remous qui pouvaient naître de la consultation électorale.
Et à tous les coins de rue, dans les taxis et dans les marchés, les conjectures allaient bon train sur le sujet. Dans la soirée du 30 octobre 2010, Abidjan était méconnaissable. Un samedi soir, de surcroît, où chaque minute était en principe une occasion de montrer que la vie est belle. Les commerçants ont fermé boutique très tôt et les rues étaient presque désertes.
Même les taxis woro-woro avec leurs klaxons assourdissants se faisaient plus discrets. Les populations, particulièrement les femmes, se sont attelées à l’achat des provisions pour tenir plusieurs jours, au cas où le clash aurait lieu : riz, manioc, igname, huile, sucre, viande…, tout était bon à prendre. La frénésie avait d’ailleurs, plusieurs jours auparavant, entraîné une flambée des prix de certains produits de première nécessité.
Le carton de riz « Oncle Sam » de 20 kg, vendu à 11 000 FCFA il y a une semaine, ne s’obtenait désormais qu’à 13 500 FCFA. Le kilogramme de sucre blanc qui se vendait à 600 FCFA est passé à 955 FCFA. Mais l’heure n’était pas au débat sur le prix de ces denrées. Dame Tino M., résidant à Port-Bouët, a déballé la stratégie adoptée en famille pour tenir face à la crise : « Nous avons pris un sac de riz que nous avons gardé alors que nous venons d’ouvrir un autre.
Le riz ne pourrit pas. J’ai acheté beaucoup de piment et d’autres condiments qui ne peuvent pas pourrir. Nous allons acheter, à deux jours des élections, de la viande que nous allons fumer et garder. Nous allons également acheter du poisson bien fumé. Tout cela sera bien conservé. Si c’est vraiment chaud et qu’on ne peut pas sortir, on va manger comme d’habitude. Seulement, il n’y aura pas de pain au petit déjeuner ».
Quant à Zakarie, responsable de la communication dans une église à Marcory, sa préoccupation n’était pas seulement d’ordre alimentaire. « La seule inquiétude, ce serait que des gens aillent dans les domiciles. Dans tous les cas, j’ai renforcé mes serrures. J’ai donné l’ordre à mes enfants de n’ouvrir le portail que lorsqu’ils sont sûrs de l’identité de celui qui tape.
Il faut qu’on prenne un minimum de précautions pour éviter que des bandits profitent de la situation pour nous dépouiller de tout ». Fort heureusement, la guerre de Troie n’a, jusque-là, pas eu lieu. Et tout semble avoir été fait pour que l’élection se déroule sans incident majeur. Ce qui explique déploiement de 8000 hommes pour assurer la sécurité pendant l’élection.
Maintenant, reste posée la question de l’après-élection. A 10 jours du scrutin en effet, l’Etat s’était vu confronté au problème de mode de comptage des résultats. Une partie des acteurs politiques ayant développé une suspicion pour le calcul informatique. Afin de la rassurer, il y eut la mise en place d’un comité d’experts dont la mission est de vérifier la fiabilité du matériel.
Même si la machine, c’est avant tout une question d’hommes. Cependant, étant donné que c’est la recherche d’une sortie de crise qui prime, et afin de rassurer tout le monde, les deux modes de comptage seront appliqués. Toujours est-il que sur la transparence des différentes opérations, il est resté catégorique et a rassuré en ces termes :
« Le vote ainsi que le dépouillement se feront devant les 14 représentants des 14 candidats. 22 exemplaires du procès-verbal seront tirés et un exemplaire sera remis à chacun de ces représentants qui pourrait l’acheminer à leur état-major. Alors, très franchement, il n’y a pas de souci à se faire. Cette élection ne peut échapper à la transparence. C’est le prix à payer pour le retour de la paix ».
Barry Issiaka Kargougou
continentalnews.f
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