Plusieurs des 28 bureaux de vote prévus en région parisienne pour le premier tour de l’élection présidentielle ivoirienne n’ont pas ouvert, provoquant la colère et l’incompréhension de nombreux électeurs. Reportage au consulat ivoirien de Paris.
Par Guillaume LOIRET (texte)
Jonathan WALSH / Valérie Labonne
Il fait la queue, comme environ 500 autres personnes, devant le consulat ivoirien de Paris, boulevard Suchet, ce dimanche. Mais voilà déjà 5 heures qu’Ernest Bayoro essaie de voter. « J’étais convoqué ici, et puis on m’a dit d’aller voter à Saint-Denis, où on m’a envoyé à Vitry, puis à Juvisy, avant de me renvoyer ici ! Mais je vois bien que je ne pourrai pas voter, ça va être annulé. »
Ernest Bayoro fait partie des 11 500 électeurs – Ivoiriens ou binationaux – appelés aux urnes pour le premier tour de la présidentielle ivoirienne dans l’un des 28 bureaux de vote mis en place pour l’occasion en région parisienne. Mais quelques heures après l’ouverture officielle du scrutin, en France, personne n’avait pu encore glisser un bulletin dans l’urne.
Une cinquantaine de policiers sécurisent le périmètre et empêchent les électeurs de pénétrer dans le bureau, par peur de débordements. Ailleurs en région parisienne, à Nanterre ou à Saint-Denis, les bureaux ont été pris d’assaut par des électeurs mécontents et ont dû fermer, indique la branche parisienne de la Commission électorale indépendante (CEI).
Dans la longue file d’attente qui s’étire boulevard Suchet et dans les rues adjacentes, l’optimisme des électeurs, qui attendent depuis 10 ans la tenue d’un tel scrutin, laisse bientôt place à la colère. Ibrahima Bamba est collé à la grille du consulat. Il est le tout premier à être arrivé, tôt dimanche matin, devant le bureau de vote. « J’ai 46 ans, c’est la première fois que je vote, et on m’en empêche ! Il n’y a que trois personnes qui sont entrées depuis ce matin, et les urnes sont déjà pleines ! », s’emporte celui-ci, brandissant sa carte d’électeur.
Irrégularités et soupçons de fraude
Après une longue attente, la porte du consulat s’ouvre enfin… pour seulement laisser entrer quelques journalistes. Sur la table du bureau de vote, une urne en plastique est abîmée : un électeur furieux l’a jetée par la fenêtre. « Quand je suis arrivé ce matin, elle contenait déjà des bulletins, avant l’ouverture du bureau ! Je l’ai jetée par la fenêtre pour que les gens qui attendent en bas le sachent », explique M. Bakayoko, l’un des superviseurs du vote qui appartient au Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara.
Joint dimanche soir par France24.com, le président de la Commission électorale Indépendante parisienne, Mamadou Sylla, nie tout bourrage des urnes. Et dénonce la violence de ce responsable du RDR, qui « est allé jusqu’à casser l’urne ! ».
Un autre responsable de la CEI, qui tient à garder l’anonymat, affirme que les bulletins déjà déposés dans l’urne étaient ceux des observateurs du scrutin, qui ont voté tôt dimanche matin avant d’accomplir leur mission.
Mais les militants de l’autre grand mouvement de l’opposition, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dénoncent eux aussi les conditions dans lesquelles se déroule le vote. « Il y a eu trop d’irrégularités, il faut l’annuler », exige Céline Yassine, assesseur pour le parti d’Henri Konan-Bédié.
« Sylla, voleur ! »
Que ce soit chez les partisans du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, du RDR ou du PDCI, tous attribuent à la même personne cette zizanie : le président de la branche parisienne de la CEI, Mamadou Sylla.
« Sylla, voleur ! », entend-t-on ainsi crier devant la porte du consulat. « Il est à la fois président de la CEI parisienne et membre du parti de Gbagbo ! Il favorise son candidat », lance Gnizako Gogoua, délégué général du RDR en France.
Selon certains militants de l’opposition, Mamadou Sylla a modifié la liste des bureaux de vote au dernier moment pour créer la confusion. Parmi les électeurs, une photocopie circule : celle de la liste des bureaux modifiée à main levée.
L’intéressé, lui, rejette toutes ces accusations. « Je ne suis pas l’auteur de cette liste, explique-t-il. Nous avons respecté les règles. Celle annotée est l’œuvre de l’opposition, pas la mienne. »
Un autre responsable de la CEI, rencontré dimanche après-midi au consulat ivoirien, reconnaît des problèmes, mais refuse de les attribuer à l’institution. « Le scrutin se déroule très bien en province et hors de France, explique-t-il. Il est vrai que plusieurs bureaux ont fermé en région parisienne, mais nous cherchons une formule pour faire voter les électeurs ailleurs. »
À 19 h, dans la confusion la plus totale, la CEI dépouillait les très rares bulletins de vote présents dans les urnes au consulat ivoirien. À peine une cinquantaine, selon l’un de ses responsables…
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