Côte d’Ivoire: les femmes du président – Par Vincent Hugeux – LExpress.fr
Entre ses deux épouses – Simone, originaire du Sud, et Nadiana, musulmane du Nord – le président sortant, Laurent Gbagbo, candidat à sa succession, s’essaie à la géopolitique matrimoniale. Pas simple.
Au seul énoncé de son nom, les sourires se figent et le verbe se fait évasif. Car un halo de mystère teinté de crainte entoure Nadiana Bamba, 39 ans, seconde épouse du président ivoirien, Laurent Gbagbo, candidat le 31 octobre à un nouveau mandat.
Cette musulmane du Nord-Ouest a certes un diminutif – Nady – et un visage. Encore que… Voyez l’unique portrait connu de l’ancienne correspondante de la radio Africa n° 1 à Abidjan: des lunettes de soleil et un ample voile rouge estompent ses traits. Tel quotidien d’opposition flétrit à sa Une la « polygamie » au sommet de l’Etat? Le Conseil national de la presse condamne aussitôt cette « intrusion intolérable dans la vie privée » du chef de l’Etat et de « Mme Nady Bamba ».
Bien sûr, les initiés savaient. Les médias locaux évoquèrent même en 2001 son mariage avec « Laurent », célébré au village selon le rituel en vigueur en pays malinké. De même, la naissance voilà huit ans d’un fils, prénommé Al Raïs David, ne relève plus vraiment du tabou suprême. Reste une énigme. Comment la journaliste « sympa » mais réservée que dépeignent ses ex-confrères a-t-elle accédé au statut de femme de pouvoir? « Son seul titre de gloire date de 1995, s’amuse l’un d’eux. Quand, sur fond de manifs réprimées, elle fut arrêtée en même temps qu’un Gbagbo, dont elle couvrait la fronde. » Par quel prodige « Petite Maman » – le plus affectueux de ses sobriquets – sut-elle, sans l’évincer pour autant, contraindre la rugueuse Simone Ehivet Gbagbo, première épouse, à un insolite partage matrimonial?
Il faut s’y faire: Nady joue un rôle crucial dans le dispositif de campagne du sortant. D’autant qu’elle dirige l’agence Cyclone, partenaire ivoirien des « sorciers blancs » d’Euro RSCG, recrutés pour mettre en musique le message du leader du Front populaire ivoirien (FPI).
Un empire de la com’ et de la pub
Cyclone… Label étrangement dévastateur pour ce petit empire de la com’ et de la pub. Côté médias, quatre titres à la dévotion exclusive de Gbagbo: deux quotidiens, Le Temps, fondé en 2003, et LG Infos, « journal officiel du candidat », un hebdo et un magazine. Ajoutons-y la régie publicitaire de la deuxième chaîne de télé, la production audiovisuelle, l' »événementiel » – du concert à la soirée de gala – ou les budgets d’annonceurs prospères. A commencer par la Société nationale d’opérations pétrolières – Petroci – , dont le directeur général n’est autre que Kassoum Fadiga, époux à la ville de la soeur aînée de Nady, Alima, et généreux bienfaiteur de la campagne de Gbagbo.
A propos de la famille, ce détail instructif : séparée de son mari, la mère de Nadiana passe pour une intime de Youssouf Bakayoko, imposé en février dernier à la tête de la Commission électorale indépendante – CEI – .
Non contente d’oeuvrer à la promotion de « l’homme de la situation » – slogan en vogue – Nady sillonne pour son compte le nord et l’ouest du « pays des éléphants », terres de mission réputées acquises à l’ex-Premier ministre dioula – donc musulman – Alassane Ouattara. « Je viens me confier à vous et vous confier mon mari, lancera-t-elle ainsi le 30 septembre à Man, où vit une dense communauté d’adeptes du Prophète. Ceux qui prétendent qu’il n’aime pas les Malinkés ont tort. J’en suis la preuve vivante. » Soucieuse de rallier ses « parents » à la cause, Petite Maman finance ici l’achèvement d’une mosquée, là le pèlerinage à La Mecque d’un charter de croyants.
Les deux amazones se livrent une guérilla
Qui l’eût cru? Simone Gbagbo a fort mal vécu l’irruption de sa jeune rivale. Elle, l’inflexible combattante, celle qui subit auprès de Laurent la bastonnade, le cachot et la clandestinité, celle qui tint d’une poigne de fer le FPI à l’heure où son compagnon, historien marxisant, fuyait en son exil français la vindicte de Félix Houphouët-Boigny, devrait s’effacer? Jamais! Les deux amazones se livrent donc une guérilla Nord-Sud fort peu urbaine, dont on épargnera au lecteur les aléas, parfois vaudevillesques.
Toute référence à Simone serait ainsi bannie des colonnes du Temps. « Si elle y figure un jour, aurait tranché Nady, ce sera à la rubrique nécrologique. » Quant aux murs de la résidence présidentielle du quartier de Cocody, ils résonnent encore des colères homériques de la « légitime ». Depuis celle, mémorable, de février 2008, Nady n’aurait plus accès au saint des saints. En revanche, elle a ses entrées au palais du Plateau – où, selon un convive, elle dîne sans piper mot, le regard rivé sur son portable – et à Yamoussoukro, capitale politique, et il lui arrive d’accompagner son époux coutumier à l’étranger.
Le match Simone-Nady aura laissé sur le carreau plus d’une victime collatérale. Quand la première obtient la disgrâce d’un chef de cabinet ou de tel directeur du protocole, accusés de duplicité, la seconde arrache à Laurent l’éviction d’un aide de camp. Match nul ? « Pour Gbagbo, un vrai dilemme, avance un fin connaisseur du sérail. Car lui a des dettes envers l’une et l’autre. En 2000, lorsqu’il se proclame élu, son adversaire Robert Gueï lance ses soldats à ses trousses. On l’exfiltre dans un coffre de voiture, et c’est chez Nady qu’il se planque. Quant à « Tatie Simone », elle demeure envers et contre tout la compagne et la complice des heures de lutte. » Chambre à part, mais cause commune…
Simone croit dur comme fer à son destin
« Sans doute les époux Gbagbo ont-ils scellé un pacte politique, renchérit un diplomate. Elle admet tant bien que mal l’autre vie de Laurent. Lequel, en retour, n’entrave en rien ses ambitions. Même si je doute qu’il rêve de la voir lui succéder. »
Qu’importe: la députée d’Abobo, commune du grand Abidjan, et patronne du groupe parlementaire FPI, croit dur comme fer à son destin. Egérie des faucons du parti, elle dispose de robustes soutiens au sein de l’armée et de l’appareil sécuritaire. Tandis que la « petite fille » – ainsi désigne-t-elle dédaigneusement Nadiana – cultive ses réseaux dans la jungle des affaires. Au point qu’on lui prête la faculté de peser sur la carrière des directeurs généraux de sociétés d’Etat.
Deux reines sur le même damier: tacticien hors pair, Laurent Gbagbo doit parfois se dire qu’il est moins ardu de solder une guerre que de pacifier son gynécée.
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