Par Etienne de Tayo, journaliste d’investigation dans afriqueactu.net
Le 31 octobre prochain se tient en Côte d’Ivoire une élection présidentielle cruciale pour l’avenir de ce pays, poumon de l’Afrique de l’Ouest. Cette élection, plusieurs fois reportée, s’annonce plutôt sous de bons auspices et finit par déjouer tous les pronostics de ceux qui croyaient la Côte d’Ivoire frappée de quelque malédiction. La campagne électorale ouverte le 15 octobre dernier voit 14 candidats sur le starting block. Le représentant du secrétaire général des Nations Unies parle « d’un bon début de campagne électorale qui se déroule dans le calme et la sérénité ».
Cette élection ivoirienne recouvre un enjeu à la fois sous régional, africain et même mondial. Et pour cause, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial du cacao, matière première essentielle à la base de la fabrication du chocolat. « Si les élections se passent mal, vous paierez un peu plus cher votre chocolat », prévient le professeur Malick Ndiaye lors d’une conférence à Paris.
Au lendemain du 31 octobre prochain, la Côte d’Ivoire saura si oui ou non elle est définitivement sortie de la crise dans laquelle l’a plongée le coup d’Etat du 19 septembre 2002 qui a vu une tentative de partition du pays : « on verrait bientôt la fin du Western. Est-ce le jeune homme qui va triompher des bandits ou ce sont ces derniers qui vont l’emporter », s’interroge Malick Ndiaye, un rien sibyllin.
C’est vrai, aujourd’hui, le désir du peuple ivoirien de confondre ceux qui ont conduit la déstabilisation de leur pays, est plutôt grand. Ce désir, on le relève souvent dans les refrains des chansons à succès : « la guerre, on est fatigué ». Demain sans doute, la Côte d’Ivoire retrouvera une paix durable après une sortie de crise honorable. Et l’histoire retiendra qu’un homme, Laurent Koudou Gbagbo, aura pesé de tout son poids afin que cela soit.
Jeune enseignant, Laurent Gbagbo s’est longuement opposé, parfois au péril de sa vie, au « concierge » de l’immeuble Côte d’Ivoire qu’était Félix Houphouët Boigny. Mais, historien de son état et fils d’ancien combattant, Gbagbo a aussi compris qu’il doit résister au détenteur du titre foncier de cet immeuble, la France en l’occurrence. Sinon, même après avoir franchi l’obstacle Houphouët, il se trouvera confronté à un autre obstacle encore plus redoutable : la Françafrique.
En s’opposant à une certaine France de manière parfois violente, une fois aux affaires, le président Laurent Gbagbo a montré qu’il appréhende parfaitement les deux dimensions qui caractérisent le combat de tout Africain issu d’un pays anciennement colonisé : la dimension interne dirigée contre le concierge et la dimension extérieure devant conduire au démantèlement du vaste complot international conduit parfois par ce qu’on qualifie de communauté internationale. Sans l’intégration de cette double dimension, l’opposant africain n’est souvent qu’une marionnette, jouant des partitions écrites par des « maîtres » dissimulés.
En refusant de se plier au diktat de l’administration Chirac au plus fort de la crise en Côte d’ivoire, notamment en repoussant les accords dit de Marcoussis, sans que pour autant le ciel lui tombe sur la tête, le président Laurent Gbagbo a fait un apport psychologique déterminant aux autres chefs d’Etat africains qui peuvent désormais s’adresser à la France, non point comme un élève parle à son maître, mais comme représentants d’Etats souverains, en la mettant devant ses responsabilités. L’audace de Laurent Gbagbo a apporté à l’Afrique de quoi faire reculer la Françafrique et toutes les autres perversions diplomatiques.
L’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire
Ce que le président Gbagbo a subi en 8 ans de trouble en Côte d’Ivoire est insupportable d’un point de vue politique et même humain. Etre président de la république et se voir traiter d’égal à égal avec des rebelles qui ont pris des armes contre les institutions républicaines. Etre chef d’Etat et voir une partie de son pays lui échapper pour se retrouver entre les mains des groupes qui y organisent un pillage systématique de ses ressources. Avoir une armée nationale et se voir imposer un embargo sur les armes alors même que les rebelles sont puissamment armés. Par-dessus tout, Gbagbo a affronté un mépris parfois grossier des autorités françaises et de la communauté internationale qui n’ont même pas mis un voile sur leur volonté de leur débarquer.
Et pourtant, puisant au fonds de lui-même, cette humilité qui est aussi et surtout une valeur africaine, et certainement, mettant la paix en Côte d’Ivoire au dessus de toutes les autres considérations, Laurent Gbagbo a tout accepté, même de partager le pouvoir avec ceux qui avaient pris les armes contre lui et qui aujourd’hui, organisent le dépeçage de la Côte d’Ivoire après avoir tenté de la diviser. Pendant la crise ivoirienne, Laurent Gbagbo a posé un certain nombre d’actes politiques sur lesquels il convient de revenir pour mieux appréhender et apprécier son positionnement dans le jeu des acteurs de la scène politique ivoirienne.
En repoussant les accords dit de Marcoussis, Laurent Gbagbo a offert une chance à une solution africano-africaine au conflit ivoirien. Ce faisant, il a donné un contenu et un sens à la quête et à la conquête de la vraie souveraineté qui devrait habiter tout dirigeant africain. Il a rendu concrète, la volonté selon laquelle, les problèmes africains doivent être résolus par des Africains. Depuis, le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a pris en main le dossier ivoirien qui pourrait, avec les élections du 31 octobre, connaître une fin heureuse.
En refusant d’engager les troupes de son pays et de se prêter au jeu de la France en participant au défilé des troupes africaines sur les Champs Elysées le 14 juillet 2010, le président Gbagbo s’est une fois de plus mis du bon coté de l’histoire. Il eût été d’ailleurs assez surprenant et regrettable qu’un pays qui se voit aujourd’hui privé d’un des éléments majeurs de la protection de la souveraineté nationale, à savoir l’armée, du fait de la France et de la communauté internationale, accepte de participer à l’exposition des Champs Elysées. Laurent Gbagbo a invité le France à réparer le différend qui les oppose.
Au plan de la politique intérieure, le président Gbagbo est devenu le plus modéré de son camp et finalement le modérateur de la scène politique en général. Il n’y a qu’à relever ses visites de travail à ses principaux rivaux que sont Alassane Dramane Ouattara et Henri Konan Bedié, pour comprendre la volonté du président sortant de se mettre au dessus du lot pour sauver la maison Côte d’ivoire.
En confiant l’organisation des élections au premier ministre Guillaume Soro, l’ancien secrétaire général des forces nouvelles et en nommant à la commission électorale indépendante (CEI), Youssouf Bakayoko, un militant du parti démocratique de côte d’ivoire de Henri Konan Bedié, le président Gbagbo montre aux yeux des observateurs, un certain détachement par rapport à une certaine volonté des dirigeants africains à la conservation du pouvoir par tous les moyens.
Le 31 octobre, le scrutin opposera en fait 3 candidats avec 11 autres candidats animant le décor. Au bout du compte on pourrait d’ailleurs parler de deux camps : le Front patriotique ivoirien de Laurent Gbagbo et ses patriotes contre le Front houphouëtistes formé par le parti démocratique de Côte d’Ivoire et le Rassemblement des républicains d’Allasane Dramane Ouattara. Il sera surtout question, soit de consolider la libération de la Côte d’ivoire qui a été amorcée par Laurent Gbagbo ou alors remettre les compteurs à zéro par rapport à la souveraineté de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général. On espère que les électeurs, au-delà de toutes les contingences électorales, verront bien le sens du vent qui souffle et doit souffler sur l’Afrique.
Etienne de Tayo
Promoteur « Afrique Intègre »
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