La tension semble retombée en Eburnie. Le Premier ministre ivoirien, Guillaume Soro, à l’issue des consultations tous azimuts, est parvenu à proposer à la classe politique, un procédé consensuel sur le comptage des voix, à l’issue du srutin du 31 octobre. Au lieu d’un comptage manuel, il propose un comptage électronique supervisé par un comité d’experts issus du cabinet du Premier ministère, de la CEI (Commission électorale nationale indépendante), de la Facilitation burkinabè, de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire et d’une société informatique suisse.
Ainsi donc, un modus vivendi a été trouvé, mettant fin à ce qui s’apparentait à un nouveau bras de fer entre l’opposition et le camp présidentiel. Pour rappel, le 20 octobre dernier, les représentants de l’opposition siégeant à la CEI avaient vigoureusement récusé une convention signée entre l’institution électorale et la SILS (Société informatique de localisation et de sécurité), filiale du BNETD (Bureau national d’études techniques et de développement) dirigé par un proche du président Laurent Gbagbo. La suite, on la connaît. La nouvelle était tombée comme un couperet sur le processus électoral en cours, déchaînant encore de vives passions.
On se demandait d’ailleurs si le scrutin présidentiel du 31 octobre n’allait pas en prendre un coup au regard de la polémique qui s’en est suivie. La Commission électorale, quant à elle, avait proposé un comptage manuel des résultats provisoires. Si une telle proposition a très vite rencontré l’assentiment de l’opposition, elle a cependant été fort réprouvée par le camp présidentiel. Pour ce dernier, le comptage manuel est un procédé éculé, géant de risques de tout acabit et, par conséquent, inacceptable à tout point de vue.
En toute objectivité, le comptage manuel ouvrirait la porte à tous les dangers et débordements dans une Côte d’Ivoire déjà en quête de rédemption. Aussi, il est une lapalissade de dire qu’avec un comptage manuel, les résultats provisoires pourront prendre au moins une semaine alors que la loi n’exige seulement qu’une durée maximale de trois jours pour les proclamer. Il pourrait ainsi en découler une effervescence inouïe caractérisée par des accrochages entre militants des deux camps.
Le Premier ministre Guillaume Soro, il faut le dire, a réussi un véritable exploit d’autant qu’on se demandait encore ce qu’il fallait bien faire pour contenter les deux camps. La promptitude avec laquelle le récent différend a été surmonté, sans qu’aucune force étrangère n’intervienne, prouve à suffisance que, n’eût été l’incurie des hommes politiques ivoiriens, l’élection présidentielle releverait, depuis belle lurette, de l’histoire. En réalité, toute impéritie traduit toujours une inertie et un manque de volonté. L’homme, disait Protagoras, est la mesure de toute chose.
L’opposition ivoirienne, s’il est vrai que sa crainte d’une hypothétique manipulation des résultats électoraux est légitime, aura, à tout le moins, péché par son mutisme. Pourquoi avoir tant attendu avant de lever le voile sur ce qu’elle considère comme une véritable machination ? En tout état de cause, ce nouvel incident, par-dessus tout, révèle clairement l’extrême méfiance qui existe toujours entre les acteurs politiques ivoiriens. Jusqu’où pourra mener cette méfiance exagérée ? Pourvu qu’elle ne conduise pas, comme il est de coutume en Afrique, à une éventuelle remise en cause des résultats des urnes et ce, avec le déferlement de violence qui pourrait en résulter. Toutefois, nonobstant le lourd climat de méfiance qui prévaut, les hommes politiques ivoiriens ont jusque-là fait preuve de grandeur d’esprit et de responsabilité en évitant toute dérive ethniciste ou régionaliste pendant la campagne présidentielle qui bat actuellement son plein.
Certes, des incidents ont été enregistrés çà et là, mais pour un enjeu aussi énorme que cette présidentielle, on doit pouvoir vite les surmonter. Du reste, les hommes politiques ivoiriens donnent l’impression d’avoir compris que la haine ethnique constitue une véritable gangrène pour l’instauration d’une nation unie et prospère. En tout cas, l’exemple de la Guinée semble avoir convaincu même les plus sceptiques. On ne saurait mieux trouver pour une nation que son unité, socle de tout développement. En d’autres temps, le récent couac pouvait constituer, à n’en point douter, un alibi pour compromettre la date du 31 octobre. Pour l’heure, dans l’hypothèse où les hommes politiques ne brandiront pas d’autres contentieux, on peut dire que le terrain est balisé pour une élection libre, transparente et apaisée dont les résultats seront acceptés de tous. C’est le wait and see. Le chemin est encore long. Mais comme on le dit en langage populaire sur les bords de la lagune Ebrié, tchogo tchogo, on arrivera à bon port.
(*) L’expression dioula tchoco tchoco signifie en français vaille que vaille ou coûte que coûte.
« Le Pays »
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