Par Rue89
Beau virage sur l’aile du Parti socialiste. Laurent Gbagbo avait été jugé « infréquentable » il y a six ans, au moment de la guerre civile, par le premier secrétaire du PS de l’époque, François Hollande. Jean-Christophe Cambadélis, responsable de la politique internationale du Parti, s’est rendu ce samedi 16 octobre à Abidjan pour renouer avec le Président en campagne pour sa réélection.
Cambadélis n’a pas caché qu’il s’agissait de « tourner la page ». Lorsque Gbagbo, dont le parti est membre de l’Internationale socialiste, avait été ostracisé par Hollande, c’était une autre époque, bien particulière, justifie Cambadélis à Rue89 :
« La situation était confuse ; au bureau national du Parti socialiste, il y a eu des discussions houleuses, on n’avait pas adopté de position. Chacun défendait des choses, ici ou là.
Et François Hollande avait dit que, dans ce moment, il n’était pas fréquentable, et qu’il fallait voir comment les choses allaient évoluer. Bien sûr, on a saisi la phrase [de Hollande, ndlr]. Mais aujourd’hui, je suis là. » (Voir la vidéo)
Même si Jean-Christophe Cambadélis, qui était accompagné du député PS Jean-Marie Le Guen, a rencontré d’autres candidats, sa démarche ne fait pas de doute : le PS mise sur la victoire du socialiste Laurent Gbagbo, en campagne électorale pour sa réélection. Le scrutin a lieu dans deux semaines.
Les jeux ne sont pourtant pas encore faits.
« Gbagbo a ses chances, mais les deux autres candidats aussi. On n’est pas en Iran, il ne sera pas facile de voler l’élection. Il y a des observateurs internationaux », commente un haut diplomate français.
Les deux principaux rivaux du président ivoirien sont l’ex-chef de l’Etat Henri Konan Bédié et l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara. La France se garde de prendre position entre les trois.
La « situation confuse » de 2004
La « situation confuse » évoquée par Cambadélis renvoie au mois de novembre 2004, au cours duquel Gbagbo n’avait pas hésité à violer un accord de cessez-le-feu pour pilonner les rebelles à Korhogo et Bouaké. Deux Sukhoi avaient alors tué neuf soldats français à Bouaké, et la France avait réagi en détruisant l’aviation ivoirienne au sol.
Les Jeunes Patriotes de Gbagbo s’étaient alors lancé dans une « chasse aux Blancs » dans les rues d’Abidjan. Le député socialiste Henri Emmanuelli, ami de Gbagbo, l’avait alors appelé à calmer ses « patriotes », ce à quoi le président ivoirien avait rétorqué :
« Mon cher Henri, est-ce que vos sans-culottes étaient des gentlemen ? Moi, j’éviterai les massacres de septembre [1792, début de la Terreur, ndlr], mais je n’ai pas d’autres moyens pour me défendre que la rue. »
« le PS se détermine sur des principes justes et non par rapport à de prétendus “amis” », avait assené Hollande, jugeant Gbagbo désormais « infréquentable ».
Dominique Strauss-Kahn − dont Jean-Marie Le Guen est proche − avait considéré qu’il ne « portait pas les valeurs socialistes ». Mais d’autres, comme Henri Emmanuelli, avaient jugé toute condamnation « prématurée ».
Lang dans les talons de Cambadélis
Jean-Christophe Cambadélis est reparti samedi soir pour la France et Jack Lang est arrivé sur ses talons. En avril 2008, l’ancien ministre de la Culture avait créé un certain émoi en s’affichant avec Laurent Gbagbo rue Princesse, au cœur de Yopougon, quartier chaud de l’agglomération d’Abidjan. Il avait alors critiqué ouvertement la position passée du PS dans une interview à Rue89.
Aujourd’hui, Lang triomphe et ne cache pas sa jubilation. Il déplore « l’excommunication » qui avait été lancée par la direction « précédente » du PS contre le camarade socialiste Laurent Gbagbo. Ce dernier, malgré « ses défauts et ses erreurs », a fait, selon Lang, « avancer le processus démocratique ». (Ecouter le son)
Le député socialiste se garde de critiquer les rivaux de Laurent Gbagbo :
« Alassane Ouattara est un homme de qualité, Henri Konan Bédié est un homme d’expérience, Laurent Gbagbo est un homme de gauche, sérieux, solide, qui a la capacité de faire face à la situation.
Je suis un ami de l’Afrique, de la Côte d’Ivoire et de Laurent Gbagbo. Je ne suis ennemi de personne. »
Il ne cache pas que sa tournée rue Princesse, en 2008, était une provocation. Mais il se réjouit d’avoir été le précurseur de cette réconciliation :
« Je suis très content que Cambadélis soit venu, je me sens moins seul. »
Par Rue89
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