AFRIQUE: Grandeurs et misères du processus démocratique

Par Jean-Pierre Ndongo | afriqueactu.net

On a bien souvent cru les acteurs politiques d’Afrique de l’Ouest capables de se surpasser pour réaliser le grand bond qui ferait avancer la démocratie dans cette partie du continent. Erreur : cinquante ans après les indépendances octroyées aux « pères de la nation », les élites civiles et militaires au pouvoir, peinent sérieusement à relever le défi. Loin d’être un problème de ressources, c’est bien plus la simple bonne volonté qui fait défaut, laissant croire que ce n’est pas demain la veille qu’on s’en sortira, même si des lueurs d’espoir existent. En effet, la marche de la démocratie est freinée dans la région par différents facteurs : le manque crucial de volonté politique qui se ressent dans la gestion controversée des Commissions électorales nationales indépendantes (CENI), la mauvaise foi manifeste des acteurs politiques et le coût élevé de la démocratie, entre autres. Longtemps, on aura fondé des espoirs dans les commissions électorales. CEI, CENA ou CENI, celle-ci est aujourd’hui devenue presque une coquille vide. Champ de batailles par excellence des acteurs politiques, elle polarise désormais les attentions. Sa notoriété, autant que la crédibilité des personnes chargées de l’animer, ont sérieusement été entamées, du fait de l’ampleur des antagonismes qui l’habitent. En vaut-elle encore la peine ?

Le fait que la CEI/CENA/CENI soit décriée un peu partout, et serve d’argument pour hypothéquer le début ou la suite des élections, montre bien que contrairement à leurs homologues du Nord, les acteurs politiques africains ont une sainte horreur du contrôle. A leurs yeux, cet organe demeurera toujours un empêcheur de tourner en rond. Il faut le neutraliser, à défaut de pouvoir le contrôler.

A la lueur des exemples vécus un peu partout, la CEI/CENA/CENI tend à devenir, soit une autre caisse de résonance du pouvoir, soit un bouc émissaire un peu trop facile pour les opposants qui travaillent peu, ou font peu d’effort pour constituer des coalitions fortes et responsables. Pour éviter à la CENI le triste sort des conférences nationales, il faut vite prendre des dispositions afin qu’elle ne devienne pas une niche de l’incompétence, de la complaisance et du clientélisme. Ses principes doivent être revus, de même que sa structuration et son fonctionnement pour plus de rigueur et d’indépendance. Il faudra pour cela compter sur la bonne foi des premiers concernés : les acteurs politiques ; ce qui est peu probable. En effet, les acteurs politiques africains ont un sport favori auquel ils s’adonnent : les querelles de chiffonniers. Leurs préoccupations sont donc loin de celles des populations qui peuvent continuer à attendre, ou tout simplement mourir, faute de voir compenser leurs besoins les plus élémentaires. La mauvaise foi des acteurs politiques se ressent aussi dans leur appel au financement du processus démocratique : son coût est de plus en plus élevé. Pour des pays qui cherchent à boire et à manger, la démocratie à l’occidentale coûte excessivement cher. Parce qu’elle ne met pas à l’abri de la tentation et des fuites en avant, à terme elle finira bien par excéder les bailleurs de fonds. N’est-il pas temps d’en revoir les règles du jeu ? S’il faut toujours se faire assister par l’extérieur, il y a vraiment des raisons de croire que jamais la soif démocratique des peuples ne sera étanchée. Bien au contraire !

Comme à l’accoutumée, les élites qui semblent s’accommoder de la situation actuelle, sauront user de faux arguments et de l’arme du chantage pour continuellement se servir aux dépens du plus grand nombre. Comme dans le cas des programmes de développement. Un véritable labyrinthe, la marche de la démocratie en Afrique de l’Ouest. En témoignent les expériences en cours dans trois pays ouest-africains : la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Niger. Ces pays ont un dénominateur commun : l’évolution en dents de scie du processus électoral. Avec toutefois une certaine réserve dans le cas du Niger où le degré d’incertitude pèse moins car, jusque-là, la junte au pouvoir a donné des signes d’encouragement.

Le pays a des chances de réaliser un scrutin consensuel d’autant que les jeunes prétoriens de Niamey et leurs plus proches compagnons ne sont pas candidats à leur propre succession. Mais s’ils ont reçu des couronnes de lauriers pour leurs initiatives courageuses, leur désintérêt et leur bonne gestion, l’opinion reste tout de même vigilante. Certes, pour l’heure, les acteurs politiques du Niger se montrent bien discrets sur leur rapport au pouvoir. Cela ne signifie aucunement qu’ils se livrent à un jeu innocent. Sauront-ils faire preuve de responsabilité jusqu’au bout ? Qui dit que le Niger ne sera pas contaminé à son tour par les jeux guinéen et ivoirien ? En effet, si l’on considère le temps mis, les sommes englouties, les secousses telluriques, les manifestations joyeuses, les belles promesses suivies des volte- faces de dernière minute, on voudrait bien voir le Jour J pour y croire. Les Ivoiriens, eux, nous ont trop habitués à leur soudaine métamorphose pour qu’on vende les défenses de l’éléphant avant de l’avoir tué. On se rappellera à ce propos les petites phrases pleines d’ambiguïté du président candidat Laurent Gbagbo, laissant encore planer quelques doutes. Dans son enthousiasme débordant des dernières semaines, il avait laissé entendre que certes la volonté politique d’aller aux élections existe ; mais il n’avait pas écarté l’éventualité d’un report de quelques jours pour des raisons « techniques ». N’empêche, la Côte d’Ivoire, qui a déçu des années durant, est en passe de réaliser ce qui paraissait impossible jusque- là. Théoriquement, elle pourrait damer le pion à la Guinée, et même brandir le trophée de la démocratie retrouvée. La Guinée, qui a organisé le premier tour de l’élection présidentielle, éprouve encore du mal à passer à la seconde étape dudit scrutin. Il est vrai que comme au Niger, le chef par intérim de la junte guinéenne, les membres du gouvernement et d’éminents autres responsables, se sont aussi engagés à ne pas se présenter aux élections. Mais les litiges consécutifs au premier tour, et la récente sortie orageuse du général président Sékouba Konaté, ne sont pas de nature à rassurer. Conakry traîne les pieds et pourrait de ce fait se retrouver en queue de peloton. Un vrai paradoxe pour ce pays sur qui l’on fondait pourtant beaucoup d’espoir.

L’Afrique de l’Ouest est donc à la croisée des chemins. Quels espoirs dans cette quête pour une démocratie dont le niveau serait pour le moins acceptable ? Le Togo et la Mauritanie ont eu des débuts de processus fort cahoteux. Ils ont à la fois amusé et irrité l’opinion ; mais ils auront finalement su relativement tirer leur épingle du jeu, en dépit des difficultés. Quid, à présent, du Bénin, du Burkina, du Mali, du Nigeria, du Liberia, qui devront convoquer le corps électoral dans les prochains mois ? Seront-ils capables de suivre le Ghana dont l’exemple reste pour l’instant inégalable ?

Nombreux sont les défis pour parvenir à des élections apaisées et, au finish, à une alternance démocratique qui serve d’exemple. Pourtant, l’essentiel serait d’être animé de la meilleure volonté politique possible, et de se montrer fair-play le moment venu. De ce point de vue, il semble bien que sur le chemin de l’expérience démocratique, l’Afrique de l’Ouest ait encore des efforts à fournir.

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