Interview exclusive du président ivoirien Laurent Koudou Gbagbo , réalisée par nos confrères de L’Observateur Paalga au Burkina faso
“Paalga, c’est quoi ?” nous demande à brûlepourpoint le Président Laurent Gbagbo à peine nous nous sommes assis. Nous voici donc obligé de dispenser un brin de l’histoire du “Canard” au chef de l’Etat ivoirien, par ailleurs historien de formation et qui en sait peut-être plus sur le journal qu’il ne le laisse croire. En ce 21 septembre 2010, dans sa suite du 10e étage de l’hôtel Laïco de Ouaga 2000, le n°1 ivoirien a eu la gentillesse de nous accorder quelques minutes de son temps, que nous savons très précieux. Entre deux gorgées de thé.
14 h 30 : c’est parti pour l’entretien.
15 h 00 : fin de l’interview. Salamalecs d’au revoir. Gbagbo se lève et lance d’une voix de stentor : “Où est Bouba ? (son directeur du protocole). Est-ce que l’avion est positionné ?”. “Oui Excellence, depuis 14 h 30”, répond une voix. Voici ce qu’il nous a dit :
Excellence Monsieur le président, vous connaissez bien Ouagadougou, la capitale burkinabè, pour y avoir séjourné plusieurs fois alors que vous étiez dans l’opposition. Comment vous sentez-vous lorsque vous y revenez en tant que chef d’Etat ?
L.G. : Je suis un peu frustré, car je ne peux plus aller me promener comme avant. Je ne peux plus circuler dans les rues, aller dans les restaurants. Je ne peux même plus aller voir des amis ; tout cela crée de la frustration, mais c’est avec un plaisir toujours renouvelé que je retrouve Ouagadougou.
La 7e session du Cadre permanent de concertation (CPC) vient de s’achever sous un bon augure. Le 31 octobre prochain, les Ivoiriens se rendront-ils donc effectivement aux urnes ?
L.G. : Oui, tout est fin prêt pour le 31 octobre 2010. Nous sommes venus à Ouagadougou surtout pour remercier le président Blaise Compaoré de nous avoir accompagnés durant toute cette traversée du désert. Tout est prêt, je dirais que tout est politiquement prêt. Il reste maintenant à accomplir les tâches pratiques, c’est-à-dire confectionner les cartes d’identité, distribuer les cartes d’électeurs, travailler à la sécurisation des élections, sécuriser le financement de toutes ces actions, fabriquer les bulletins de vote, fabriquer les formulaires qui seront utilisés dans les bureaux de vote comme procès-verbaux. En fait, il n’y a plus de décision politique à prendre, il reste des aspects pratiques à régler.
Au fait, avec le recul, qu’est-ce qui, fondamentalement, bloquait la tenue de cette présidentielle ?
L.G. : Vous savez qu’il y avait la guerre civile et que le pays était coupé en deux. Or notre constitution est formelle : tant que le pays est divisé en deux ou en plusieurs parties, on n’a pas le droit d’organiser une élection. Il y avait donc l’interdit constitutionnel. Ensuite, de façon pratique, on ne pouvait pas organiser une élection dans la seule zone gouvernementale, en dehors de la non-gouvernementale. Il fallait donc remettre toutes ces choses à niveau. Quand il y a eu l’Accord politique de Ouagadougou (APO), signé en mars 2007, c’était le début de la fin. Cet Accord marque en effet le début du processus électoral, parce que nous avons travaillé à réunifier le pays, nous avons œuvré à ce qu’il n’y ait plus une zone Sud et une zone Nord, une zone Ouest, une zone de confiance, etc. On a réunifié toutes ces zones.
Cette réunification était donc la première condition pour organiser une élection. Maintenant que cette réunification est une réalité, il a fallu procéder à un recensement électoral, de nombreuses sous-préfectures et mairies ayant été brûlées avec leurs listes d’état civil. Il fallait repartir de zéro. Aujourd’hui, nous avons des données informatiques assez fiables. Or, tant que tout cela n’était pas accompli, on ne pouvait pas organiser ces élections. Maintenant nous le pouvons.
La date du 1er tour a été maintes fois reportée. Certains n’hésitent pas à affirmer que vous êtes non seulement l’instigateur, mais surtout le bénéficiaire de ces multiples reports, pour avoir fait deux mandats pour le prix d’un. Votre commentaire.
L.G. : Moi, je n’ai pas de commentaire à faire à ce sujet. Je me bats pour qu’on respecte la loi, à savoir la Constitution ivoirienne. Notre constitution, je le répète, dispose que lorsque le pays est divisé en deux, toute élection est impossible. En outre, le président de la République en informe la Nation et reste au pouvoir. C’est écrit noir sur blanc dans notre Loi fondamentale. Je ne l’ai pas inventé. Et je crois que c’est être trop simpliste que de dire que j’ai fait deux mandats pour le prix d’un. J’ai fais mon devoir, à savoir rester au pouvoir dans cette situation difficile. J’ai donc fais mon travail. N’importe quel président de la République, dans les mêmes circonstances, devrait agir ainsi, c’est ce que j’ai fait.
Cependant, il y a des choses qui n’ont pas été faites aussi, des points de mon programme qui n’ont pas été réalisés à cause justement de cette situation. On ne peut pas seulement dire que nous avons fait deux mandats à la place d’un. Non ! J’ai tenu l’Etat pour qu’il ne se disloque pas, jusqu’à ce que la situation de crise soit résolue. C’est cela qu’il faut dire, car c’est cela la vérité et c’est cela qui est constitutionnel. Il fallait une personne pour tenir l’Etat, et je l’ai tenu.
Réfléchissez vous-même : supposez qu’en 2005, j’ai quitté le pouvoir, que je ne fus plus président, qu’est-ce qui se serait passé en Côte d’Ivoire ? Qu’est-ce que ce pays serait devenu si le seul détenteur d’une légitimité que j’étais, avait baissé les bras en disant non, il y a trop de pagaille ? Il s’en serait suivie une pagaille indescriptible ! Peut-être une crise plus profonde que celle que nous avons vécue. Il faut donc voir le problème dans toutes ses dimensions. Vous comprenez ? C’était un devoir de tenir la Côte d’Ivoire, je suis fier de l’avoir fait.
Vous venez d’évoquer certains points de votre programme qui n’auraient pas été réalisés, du fait de la guerre. Vous faites allusion à des points tels l’Assurance maladie universelle (AMU). Par contre, vous tentez de mettre la décentralisation sur les rails…
L.G. : Oui, mais même cette décentralisation n’est pas totale. Nous avons seulement créé les Conseils généraux de département et nous avons élu ces conseillers en juillet 2002. La crise est arrivée en septembre 2002. Alors on avait le choix entre annuler tout et attendre des jours meilleurs et continuer. Nous avons continué, mais les conseils généraux n’ont pas eu les moyens qu’il aurait fallu pour bien fonctionner. En tout cas, ils n’ont pas eu tous les moyens que nous projetions de mettre à leur disposition.
Décentraliser, c’est faire en sorte que ce qui peut être fait à la base soit fait à la base et qu’on laisse à l’Etat central les grands sujets d’orientation nationale : construire une école primaire dans un village, construire un dispensaire, construire un lycée dans une sous-préfecture, ce ne sont pas des affaires qui regardent le président de la République d’après l’orientation que nous avons donnée à notre pays. C’est ce pouvoir de travailler à la base que nous avons donné aux municipalités. Aujourd’hui, tous les villages ivoiriens sont communalisés, au nombre de presque 1 000. Et la prochaine élection municipale va être une grande bataille entre plusieurs enfants de ce pays. Il faut donner aux communes, aux départements et bientôt aux régions ce qui leur revient.
Moi, je veux que nous ayons 10 régions au lieu de 19. Le ministre de l’Administration m’a proposé quelque chose sur ce sujet, et nous allons voir cela ensemble. Mais, dans chaque région, il faudra une université et un CH-U. Nous pouvons le faire et nous allons le faire. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a besoin d’au moins une dizaine d’universités, je dis bien au moins. C’est tout cela, la décentralisation. On n’a donc pas fini. Je ne parle même pas de la fiscalité régionale, dont on n’a pas encore ébauché les contours. La décentralisation est donc un chantier que nous commençons. La crise a bloqué les travaux, mais maintenant que la crise est finie, nous allons les poursuivre.
Lorsque vous avez signé le décret relatif à l’adoption de la liste définitive, vous avez laissé entendre que vous ne voulez pas de bagarre tout en invitant vos challengers à aller en campagne. Vous, étant au sommet de l’Etat, êtes en campagne depuis des lustres. N’est-ce pas déloyal ?
L.G. : Un homme politique normal est toujours en campagne ! Même quand vous êtes élu, le jour de votre prestation de serment, vous pensez à votre campagne future ! Si un homme politique n’est pas tout le temps en campagne, c’est qu’il ne fait pas de politique. Un homme politique est en permanence en campagne, vous comprenez ? (rires). Moi, pour être élu président de la République, j’ai fais dix ans de campagne : j’ai commencé en 1990 et j’ai été élu en 2000. Cela est tout à fait normal. Et puis encore, ne vous trompez pas, mes challengers sont également tout le temps en campagne. Il n’y a pas un qui soit plus en campagne que les autres. Il y en a peut-être qui, à cause de la fonction qu’ils occupent, sont plus visibles que d’autres, mais tous, autant que nous sommes, battons campagne.
Vous avez deux principaux challengers, Alassane Dramane Ouattara et Henri Konan Bédié ; lequel des deux aimeriez-vous affronter au second tour, si second tour il y a ?
L.G. : Moi, je n’ai aucun problème sur ce point. Je prends celui que le peuple ivoirien m’aura donné. Si c’est ADO, je l’affronte, si c’est Bédié, même chose (éclats de rires). J’ai toujours dit que dans une élection, le souverain, c’est le peuple. Dans une République, le souverain, c’est le peuple. Moi, je ne me fais aucun souci, je m’en vais à la bataille électorale, et je prends les résultats tels qu’ils arrivent. Je n’ai aucun problème, et je n’ai aucun choix à faire, ce n’est pas à moi de choisir.
La Coalition du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ne fait pas peur à Gbagbo ?
L.G. : Moi, je n’ai jamais peur (silence de quelques secondes). Je n’ai jamais peur de rien ! C’est pourquoi je suis encore là où je suis. Je n’ai pas peur de quelque chose. Et puis, la politique n’est pas le football ! Dans le football, on peut dire qu’il y a une sélection des meilleurs joueurs de deux villages pour jouer contre une autre équipe, et cela peut créer la peur. En politique, ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
Je vais vous citer un exemple qui peut donner matière à méditation : quand il y a eu le référendum en France concernant le “oui” ou le “non” sur le traité européen, notamment sur la Constitution européenne, tous les partis présidentiels, c’est-à-dire tous les partis qui ont eu à donner à la France un président de la République, tous ces partis ont appelé à voter “oui” ; notamment, l’UMP, le PS, les centristes… eux tous ont appelé à voter “oui”, mais c’est le “non” qui a gagné. Vous comprenez ? Une coalition n’est pas une garantie de victoire. Parce que personne n’est propriétaire de la voix d’un électeur.
Dans une interview parue dans le Jeune Afrique n° 2555-2556 du 9 janvier 2010, vous avez affirmé en substance que le meilleur choix que les Ivoiriens puissent faire, c’est vous. Est-ce que vous envisagez également la perspective d’un éventuel échec à cette présidentielle ?
L.G. : Bien sûr ! En démocrate, quand on va à une élection, il faut envisager de gagner ou de perdre. Mais cela ne change rien à mon argumentation. Si je ne pensais pas être le meilleur candidat pour la Côte d’Ivoire, je n’irais pas aux élections. Je me rallierais à celui que j’estimerais être le meilleur. Mais dans ces moments où la Côte d’Ivoire, agressée, est en train de sortir de la crise, et qu’il faut l’y aider, il faut choisir quelqu’un qui ait des qualités précises, notamment la vision, la netteté dans l’analyse, la clairvoyance, le punch, le patriotisme, et je crois que cette personne, c’est moi. Mais je le répète, le souverain en république reste le peuple. Donc le peuple choisira celui qu’il veut. Mais moi, je dis au peuple pourquoi je vais aux élections et je lui ai dit pourquoi c’est moi le meilleur choix. Je le laisse travailler et je le laisse opérer son choix.
Interview réalisée par Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana © L’observateur Paalga
Avec Africascoop
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