Ayant étudié en France, le jeune Bidounga rejoint son natal où sévit encore l’injustice coloniale. Respecté par l’administrateur blanc à cause de sa culture occidentale, le jeune homme est « accepté » dans l’administration. Mais la justice qu’il exige pour les populations autochtones ainsi que son franc parler avec l’administrateur Débarbier inquiète ce dernier. Organisés autour de Bidounga, les populations mènent une lutte de libération qu’elle gagne dans un premier temps. Mais, humilié, l’administrateur blanc va utiliser les grands moyens pour mâter la rébellion. Aidé par le pouvoir de Nfoua (Brazzaville) qui lui fournit des armes à feu et l’Eglise catholique, Débarbier, avec l’appui des hélicoptères, met fin au rêve de Bidounga. Carnage dans le village où il est arrêté. Beaucoup de prisonniers envoyés au Tchad et dans le nord Congo. Le héros meurt dans les geôles de Mayama, rappelant la disparition énigmatique d’un certain Matswa. « Casque colonial », un roman du XXIe siècle qui nous replonge dans les souffrances coloniales. Le roman de Nsimba, un livre qui se fonde sur le destin du jeune Bidounga qui voit son rêve de libérer son village brisé par la machine infernale de la colonisation.
Bidounga le rebelle
Marqué par les idées de justice pendant ses études en France, Bidounga, de retour au pays, ne peut tolérer le comportement inhumain du Blanc dans son village. Il arrive au moment où son père est gravement malade. Il proteste contre l’attitude de l’abbé Maurice, patron de son père qui attend passif la mort de son employé au lieu de le soigner. Pour avoir bravé l’administration coloniale, le jeune homme apparait comme le sauveur des villageois qui admirent son courage. Ils décident d’être à ses côtés pour lutter contre l’administration coloniale. Mais pour le héros, il faut s’y préparer : « Il n’est pas encore temps de les affronter car nous ne sommes pas assez préparés. Nous le ferons le moment propice » (p.88). Liant la culture traditionnelle aux idées de liberté découvertes au cours de son séjour en France, Bidounga arrive à travailler avec l’oppresseur de sa population, tout en concevant la lutte de libération avec celle-ci. Car il comprend que la main tendue de l’administration coloniale et malgré la grande fête du village « soutenue » par Débarbier ne sont que diplomatie pour mieux contrôler ses habitants pour les anéantir au moment opportun. Et la suite des événements lui donnera raison à travers les dures épreuves que vont subir sa population et l’armée qu’il s’était fabriquée pour la libération de son peuple opprimé. Bidounga meurt en héros car l’administration l’élimine pour ses idées justes sur lesquelles se fondait l’espoir de son peuple lié à sa cause. Mais comment comprendre la naïveté du héros car « s’attaquer contre l’administration coloniale [représentée par Débarbier, Duhamel et l’abbé Maurice,] c’était faire le procès contre le grand rêve de démystifier la mauvaise foi du colon ! Et qu’au retour fallait-il assurer ses arrières » (p.179)
Débarbier et Duhamel : la colonisation en puissance
Deux personnages en rapport avec les miliciens dont l’homme orchestre est le terrible Ramazoulaye qui nous rappellent que les événements rapportés se situent à l’époque coloniale. Tout qui « colle » à ces personnages est lugubre car synonyme de souffrances physiques et morales des villageois. Quand Débarbier se confronte à l’attitude « révolutionnaire » de Bidounga qui lui impose le respect des droits de l’homme, il est obligé de jouer à la diplomatie : « reculer pour taper fort ». Devant les critiques de Bidounga, il libère tous les prisonniers et accepte même ce dernier dans l’administration coloniale. Aussi, ce brusque changement de Débarbier (qui va même financer la fête des populations indigènes) va étonner l’oncle du héros : « C’est incroyable ! Incroyable mon neveu ! Le chef de l’administration l’a fait pour nous ? Lui qui montre tant d’hostilité contre les nègres que nous sommes » (p.112). Mais la liberté retrouvée par le retour du jeune homme pays ne sera que de courte durée, les populations vont de nouveau subir les affres de l’administration coloniale : « La destruction des nombreuses cases construites à peine (…) affligeait les hommes (…). Ce matin (…) une nouvelle s’était répandue dans tout le village, celle de l’arrestation de Bidounga par les miliciens. C’est certain qu’ils avaient reçu l’ordre de Débarbier » (p.142). A partir de ce moment, la guerre est déclarée entre l’administration soutenue par certains villages et les partisans de Bidounga. Ainsi va se réveiller l’âme coloniale qui constate le replis de la main d’œuvre dans le village de Bidounga. Et cette âme coloniale se remarque aussi en la personne de Duhamel. Cet homme apparait comme une partie de Débarbier. Le casque colonial collé à sa tête et les miliciens qui l’accompagnent à tout moment symbolisent la terreur dans les villages, surtout dans l’exploitation du « moukouézo ». Duhamel, un homme sans foi ni loi. Et les armes qu’il se fait ravir par les combattants de Bidounga sont une preuve de son caractère d’homme de paille : « Il y avait des calibres 16 à percussion, des fusils calibres 20 à broche, des fusils à platine calibre 12, des pistolets d’officiers de calibre 1816, de pistolets de Borel modèle 1779, des revolvers Novo, des explosifs… » (pp.170-171).
« Casque colonial », un roman de la tradition kongo
Dieudonné Nsimba se définit dans ce livre comme un sociolinguiste avec un regard d’anthropologue qu’il pose sur la société kongo qu’il nous présente. Apparait dans ce récit des réalités socioculturelles ignorées peut-être par la génération actuelle. De la conservation d’une dépouille, voici ce que nous révèle l’auteur : « [Les femmes] oignaient le corps de cendre et cassaient des œufs dont elles recueillaient les coquilles, les enfilaient en brochette sur une brindille et les plaçaient partout dans la hutte (…). Grâce à ces procédés, le corps restait à l’abri des odeurs et de la décomposition » (p.65). Aussi la tradition kongo dans la lutte contre l’injustice sociale se définit dans le combat que mène le peuple de Bidounga contre l’administration. Malgré son passage à l’école des Blancs, le héros n’oublie pas les us et coutumes de son peuple ; aussi il se découvre un véritable chef qui lie l’intelligence des Blancs avec la sagesse ancestrale dans sa lutte contre l’administration. Du point de vue de la forme, l’auteur nous fait redécouvrir une spécificité traditionnelle africaine que l’on rencontre aussi chez les kongo : le chant qui accompagne les heurs et malheurs de la société. Et quelques segments textuels du roman est sans cesse chantés en kongo-lari (pp. 43 45 66 ?137…) pour traduire le terroir dans lequel se déroule l’histoire de Bidounga. Et le lexique des mots kongo-lari qui constitue la clausule du roman spécifie la tradition kongo que l’auteur y insuffle.
D’une richesse qui va au-delà de quelques thèmes qui nous ont paru pertinents, « Casque colonial » place le lecteur devant quelques réalités sociales telles l’anticolonialisme d’Olga la fille de Débarbier, l’importance du bestiaire et du végétal dans le roman, le mariage entre le colonialisme et l’Eglise dans l’exploitation des indigènes. Réalités qui donnent une autre dimension au récit et qui pourraient faire l’objet d’études intéressantes.
Noël KODIA
(1) Dieudonné Nsimba, « Casque colonial », Ed. Elzévir, paris, 2010, 183p.
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