LES CHEFS COUTUMIERS SE DRESSENT CONTRE L’EMBRASEMENT DE LA REGION
Situé dans le département de Sassandra, dans la région du Bas-Sassandra, le canton Kodia est une immense zone forestière qui compte 12 villages. Contrairement à d’autres zones forestières en Côte d’Ivoire où le sang a déjà coulé pour des problèmes de terre, les chefs coutumiers de ce canton ont voulu prévenir l’irréparable. Ainsi, ils ont mis sur pied dès les premiers signes de conflits un comité de réflexion et de médiation. Composé de chefs de villages, de notables et de chefs coutumiers, ce comité s’est investi dans le règlement du conflit qui oppose en ce moment le juge Yoh Gama à des habitants du village de Zahébré. L’originalité de la voie empruntée et les méthodes utilisées ont attiré notre attention.
Le calvaire des pistes villageoises dans une zone cacaoyère.
Pour joindre le village de Grihiri, chef lieu du canton Kodia, nous regagnons rapidement la ville de Soubré où nous pourrions, apprend-t-on rallier Grihiri.
Il est 18 h 35, ce samedi 18 septembre, lorsque nous embarquons dans un mini-car de 18 places. Karim Traoré, le jeune chauffeur de 21 ans, allume une cigarette. Nous avons l’opportunité d’occuper une place de choix à côté du chauffeur. Son vieux poste auto-radio distille de la musique reggae. C’est du Bob Marley puisque nous saisissons les paroles du titre à succès « No Woman, no cry ». Je me convainc alors que le voyage sera des plus agréables. Que non ! Notre joie de découvrir le petit village de Grihiri fut de courte durée, vu l’état de la piste. Puisqu’à 19 h 15 mn, nous rencontrons notre première difficultés. Heureusement que le pneu secours est vite monté et nous voici à 20 h 15 à Okrouyo pour coller le pneu crevé.
A 21 h 10 mn, notre mini-car est obligé d’observer un arrêt suite à des éclats de torches à quelques 100 mètres. Personnellement, nous pensions à cette heure de la nuit à des coupeurs de routes. Karim demande alors à ses apprentis d’aller voir ce qui se passe. A notre grande joie, il s’agit de deux camions de type Kia transportant des sacs de cacao qui obstruent la piste difficilement praticable. Que faire ! Nous sommes aussitôt informé par Karim qu’il n’existe qu’une seule solution. Pousser le Kia pour se faire un passage obligé. Tous les passagers prêtent alors mains fortes aux apprentis.
Nous reprenons donc la route, où après l’usine d’huile de palme de la palmindustrie aux environs de 00 h 30 mn, notre mini-car rate de peu de se renverser. Le chauffeur dans la détresse demande aux passagers de descendre. C’est le branle-bas au milieu de la palmeraie à cette heure tardive de la nuit. Les premiers passagers qui ont mis pied à terre sont obligés de tenir le mini-car pour ne pas qu’il s’écroule. Après beaucoup d’effort, nous reprenons la route où il nous a été donné de nous apercevoir que dans cette région et surtout ce tronçon des dozos, chasseurs traditionnels font bon ménage avec les forces de défense et de sécurité (FDS). « Si les Dozos n’assurent pas la sécurité du tronçon, nous allons arrêter d’y circuler », prévient Karim Traoré, notre chauffeur.
A 1 h 30 mn, nous sommes au campement dénommé « 4 carrefours ». Notre voisin, nous apprends alors qu’autre fois « 4 carrefours » était le terminus pour tous ceux qui voulaient rejoindre le gros campement Oussoukro qui dépend du village de Grihiri. Quel ne fut notre surprise d’apprendre que ce trajet était relié en 7 heures de temps. Parti à 18 h 35 mn de Soubré, c’est à 2 h 38 mn que notre calvaire prend fin dans le gros campement d’Oussoukro dans une zone non encore électrifiée. Mon compagnon et moi poussons alors un ouf de soulagement. Nous venions ainsi de parcourir 95 kilomètres en près de 8 heures de temps. C’est le calvaire des pistes villageoises dans les zones cacaoyères qui représentent 30% des exportations de la Côte d’Ivoire.
Le litige foncier
A Grihri, qui signifie sous les colatiers, s’il y a un sujet qui alimente les conversations, c’est bel et bien le conflit foncier qui oppose le Juge Yoh Gama à Zahébré d’une part, et le village de Diagro à celui de Zahébré d’autre part.
En effet, le magistrat soutien avoir acquis pour lui et pour des membres de sa famille des parcelles de forêt dans le canton Kodia, dans les années 80. Et précisément sur des terres qui au regard du droit coutumier appartiennent au village de Diagro et non au village de Zahébré. D’ailleurs, le juge Yoh Gama a obtenu ces parcelles de forêt grâce au patriarche Degba Gnahoua du village de Diagro. Toute chose qui est confirmée par la notabilité du canton Kodia. Et en premier lieu le chef de canton, Oli Oupoh pour qui, il n’y aurait jamais dû avoir de conflit entre Yoh Gama et Zahébré. Selon lui, Zahébré doit son installation sur son site actuel grâce à l’hospitalité de Diagro qui est propriétaire des terres. Dès lors, il s’avère curieux et même surprenant de voir la hargne avec laquelle Zahébré se sent concerné dans ce litige foncier. « Je ne voulais pas signer l’octroi de cette portion à Yoh Gama », avait lâché curieusement l’ancien chef de Zahébré.
Par ailleurs, des fils de Diagro ont soutenu avoir demandé au juge de réaliser en compensation des terres cédées, des infrastructures socio-économiques. Entre autres, la construction d’une école primaire, la construction d’un centre de santé, la construction d’une villa de sept pièces pour Degba Gnahoua et l’ouverture d’une route Zahébré Sassandra. Toute chose que le magistrat a démenti. « Je n’ai fait aucune promesse de quoique ce soit ni aux gens de Zahébré qui ne sont même pas propriétaires terriens », précise le juge Yoh Gama. Ces réalisations, comme on peut s’en apercevoir devraient se trouver dans le village de Zahébré.
Les motivations des habitants de Zahébré résident dans le fait que Diagro est un village qui ne compte pratiquement plus d’habitants. Sur les lieux, nous avons appris que ce village qui tend à disparaître compte seulement 15 habitants, tous de la même famille. Pendant ce temps leurs étrangers de Zahébré qu’ils ont installé sur leur terre sont de plus en plus nombreux. C’est alors que le patriarche Gnahoua décide d’aller s’installer à Zahébré sur ses terres et céder ainsi les terres du village de Garoubré qui dans la passé avait accueilli Diagro. Tout est donc parti de cette confusion, où Zahébré a tenté de noyer le village qui lui a donné asile lors de sa fuite des îles du Sassandra, son site originel.
Ce qui a fait dire au secrétaire particulier du chef canton, le doyen Zegbehi Tawalé Jeannot ces propos pleins d’enseignement : « Qu’est ce que tu as pu donner à ton chien pour qu’il aboie dès qu’il t’aperçoit maintenant ». Pour stigmatiser la situation qui prévaut entre Zahébré et Diagro.
S’appuyant sur des promesses non tenues par le magistrat, certains jeunes de Zahébré vont s’associer à d’autres jeunes de Diagro pour investir les terres de la famille Yoh Gama. Le pis, c’est qu’ils vont même y installer illégalement des planteurs d’origine Burkinabé et Malienne. Suscitant ainsi, un élargissement du conflit sur le plan international. Pour mettre fin à tout cela, les responsables coutumiers du canton vont mettre sur pied, un comité de réflexion et de médiation, composé de chefs de village et présidé par le chef de canton du Kodia, Oli Oupoh.
Les gardiens de la tradition du canton Kodia, prennent à bras le corps le litige foncier qui mine le canton. Suite à une réunion tenue le 26 mars 2010, et à des missions menée à Zahébré, une issue favorable a été trouvée et les deux villages, à l’occurrence Zahébré et Diagro ont été réconciliés. Par ailleurs, les sages du Kodia ont décidé d’entreprendre une démarche auprès du juge Yoh Gama pour que ce dernier trouve une solution à l’accord passé entre les villageois et lui concernant les infrastructures socio-économiques. Il s’agissait pour le chef de canton d’éviter que la situation ne s’enlise. Il faut noter que c’est au cours de cette réunion, qu’un protocole d’accord a été signé entre le chef de village de Zahébré, Kpagnounou Tayé Antoine et la notabilité du canton. Dans cet accord, le chef Tayé a pris l’engagement de déguerpir les occupants des plantations du juge Yoh Gama. Il a promis remettre officiellement les personnes installées dans la forêt du juge au chef du canton. Kpagnounou Antoine Tayé a pris l’engagement également de réhabiliter les maisons détruites et la reconstruction de l’hangar du juge Gama. Et cela, selon un chronogramme bien précis.
Contre toute attente, le chef de Zahébré ne tiendra pas ses promesses. C’est alors que la plainte déposée par Yoh Roddy contre ceux qui ont subtilisé ses sacs de cacao, détruit son campement, brutalisé ses employés, occupé illégalement ces terres va permettre de procéder à l’arrestation de tous ceux qui ont commis ces actes délictuels dans cette affaire. Dans le collimateur de la justice, le chef Kpagnounou se réfugie alors dans l’une des îles sur le fleuve Sassandra, site originel de son village.
« Pour les actions que nos frères de Zahébré ont mené, nous les Kodia demandons pardon au juge Yoh Gama pour qu’il retire sa plainte afin que nos frères recouvrent la liberté, puisque nous sommes condamnés le juge et nous à vivre désormais en frère », préconise le comité de réflexion et de médiation des chefs de village du canton Kodia.
Pour le retour, nous avons préférer faire 30 mn de traversée du fleuve Sassandra, 5 kilomètres de marche à travers les plantations de Cacao et d’hévéa sous une pluie battante, ce mardi 21 septembre, pour atteindre le campement Jean Soro. De là, un taxi brousse de 4 places qui en prend 6 dans cette région du pays nous ramène à Méagui.
CHEICKNA D. Salif (envoyé spécial à Grihiri, Sassandra)
Avec le Journal de Connectionivoirienne.net
Légende de la photo: Oli Oupoh, chef du canton Kodia
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