La célébration des 20 ans de la basilique Notre Dame de la Paix, du 10 au 12 septembre 2010, a été l’occasion pour moi de revisiter notre capitale politique. Je dis «revisiter» car ce n’était pas la première fois que je découvrais le village d’Houphouët-Boigny. Si mes souvenirs sont bons, c’est en 1984 que je fis connaissance avec cette ville qui, par certains côtés, rappelle Dodoma (Tanzanie) ou Abuja (Nigeria). Je dois avouer que plusieurs «réalisations» m’avaient bouleversé au cours de cette première visite : les larges avenues et leurs lampadaires, l’hôtel «Le Président», la fondation Houphouët-Boigny, le lycée des jeunes filles, la résidence du chef de l’Etat, le lac aux caïmans, les banques, les grandes écoles propres et équipées comme il faut, etc. La basilique n’existait pas encore. Mais qui peut jurer, la main sur le cœur, qu’elle n’était pas déjà présente dans l’esprit du « vieux » ? Bref, mon premier voyage à Yamoussoukro fut un réel moment de bonheur ; il me remplit surtout de fierté. Comme Brasilia remplit de fierté les Brésiliens. Mon dernier passage dans le village natal du « vieux » remonte à 1987 et, depuis, je n’y suis plus retourné. Même en 1990, l’année de la consécration de la basilique.
Une basilique qui fit couler beaucoup d’encre et de salive. Du Tchad où je me trouvais, j’avais suivi le débat sur l’opportunité ou non de consacrer cet édifice qui, de l’avis de certains médias, aurait englouti 80 milliards de francs CFA (c’était avant la dévaluation) à une période où le pays faisait face à une conjoncture économique difficile (absence de médicaments dans la plupart des dispensaires et hôpitaux, chômage frappant nombre de diplômés, réduction drastique des salaires ici et là, certaines entreprises contraintes de fermer et donc de se séparer d’une partie de leurs personnels, etc.). La basilique était ainsi devenue une véritable pomme de discorde ; elle divisa ; elle eut ses partisans et ses adversaires. Les premiers estimaient que rien n’était trop beau pour Dieu et que les pays qui avaient construit de grands édifices religieux – Nigeria, Guinée, Mali, etc. – «n’étaient pas nécessairement au sommet de l’économie mondiale» (Mgr Bernard Agré cité par F. Grah Mel, dans Bernard Yago, le cardinal inattendu, Abidjan, PUCI, 1998, p. 253).
Les seconds, eux, auraient aimé qu’on réponde aux vrais besoins des communautés chrétiennes ivoiriennes dont certaines étaient parfois obligées de prier en plein air dans les quartiers et les villages. Ils faisaient aussi valoir que le véritable temple de Dieu, c’est l’homme et qu’il était plus utile de s’occuper de cet homme (en le soignant, en l’instruisant et en le nourrissant) que de mettre autant d’argent dans des pierres. Ils se demandaient enfin si « un citoyen peut, profitant de sa position privilégiée dans l’appareil d’État, réaliser, en faveur de sa confession, une œuvre aussi grandiose sans risquer d’exposer cette confession à la vindicte des autres, si une telle œuvre n’est pas de nature à mettre en péril l’équilibre politique d’un État laïc ». En effet, concluait Frédéric Grah Mel, « si les musulmans s’avisent d’entreprendre un jour des réalisations aussi ostentatoires avec l’argent de l’intégrisme, qui pourra s’y opposer ? » (F. G. Mel, op. cit., pp. 250-251). A l’intérieur même de l’Eglise catholique, la basilique était loin de faire l’unanimité. Par exemple, Renaud de Crécy, prêtre français du Prado, observa une grève de la faim pendant huit jours pour protester contre la donation d’un bien dont l’origine laissait planer, selon lui, «des doutes très sérieux». Un évêque ivoirien préféra regagner Abidjan, aussitôt après avoir accueilli le souverain pontife. Pour avoir agi de la sorte, il fut qualifié de rebelle par certains pendant que d’autres saluèrent son courage. 20 ans après, la basilique suscite assurément moins de passions. On se dit que, du moment qu’elle existe, il faut faire avec. Même ceux qui la combattaient ont compris que, du fait qu’elle est visitée par des gens venant de partout, elle peut faire connaître la Côte d’Ivoire et lui rapporter un peu d’argent.
Reprocher à Houphouët d’avoir fait de son village la capitale de la Côte d’Ivoire, lui faire grief d’avoir élevé en pleine savane une réplique de Saint-Pierre de Rome à un moment où la situation économique et financière du pays n’était guère brillante ne devrait pas empêcher de le féliciter. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas été égoïste, parce qu’il a pensé davantage aux autres qu’à lui-même. Il aurait pu s’occuper uniquement des siens. Au lieu de cela, il a fait en sorte que le maximum de personnes, à Yamoussoukro et dans les environs, vivent décemment. On peut ne pas être houphouétiste et saluer cela. Aujourd’hui, des individus et des partis se disent houphouétistes. Même ceux qui ont essayé d’effacer ses traces après avoir tout reçu de lui ne jurent que par le premier président. C’est leur droit. Mais – et c’est la pointe de ce papier – je pense qu’on ne peut être houphouétiste seulement « dans la bouche ». Je veux dire par là que le vrai houphouétiste est celui qui, en plus de refuser de pactiser avec la violence, s’efforce d’apporter un peu de bonheur et de joie aux siens en améliorant leurs conditions de vie, qu’il est incohérent et indécent de se réclamer d’Houphouët-Boigny alors qu’on a abandonné son village ou sa région, alors qu’on s’est attaché à acheter un ou des appartement(s) dans le 6è, le 7è ou le 16è arrondissement de Paris. La remarque vaut aussi pour ceux qui prétendent suivre Laurent Gbagbo dont on dit qu’il n’a ni comptes bancaires ni villas à l’étranger, qu’il passe ses vacances en Afrique, qu’il n’a jamais renié ceux avec qui il a galéré autrefois, qu’il est humain et simple. S’ils pensent et agissent comme leur leader, alors ils seront crus et pris au sérieux. Dans le cas contraire, on ne verra en eux que des pseudo-gbagboïstes, c’est-à-dire des gens qui ont besoin du nom de Gbagbo pour atteindre leurs propres objectifs.
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