CONTRIBUTION
Kehi Edouard
MBA, International Business
Un ivoirien, militant politique aux États-Unis.
Récemment, les autorités américaines ont arrêté un citoyen ivoirien à New York à cause d’une prétendue transaction illicite d’armes à feu. Plus tard, le suspect a été identifié comme le Colonel Yao N’Guessan de l’armée Ivoirienne.
Le 16 septembre 2010, le Ministre Ivoirien de la Défense, Amani N’Guessan, a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a affirmé que Mr Yao N’Guessan était son conseiller au ministère de la défense et que l’achat d’armes était une transaction « légale » du gouvernement ivoirien.
L’arrestation du Colonel Yao N’Guessan et la reconnaissance officielle de l’implication de la Côte d’Ivoire dans lesdites transactions aliment le débat publique au sein de la Communauté ivoirien aussi bien en Côte D’Ivoire qu’ici aux États-Unis. Les observations personnelles et préoccupations à-propos qui suivent, constituent ma modeste contribution pour enrichir davantage ce débat d’actualité.
Dorénavant, pour aider à mieux cerner le sujet malgré la complexité des lois sur les contrôles des armements, il est opportun de partager l’extrait d’un Dossier produit par le Centre pour l’Information de Défense (ONG basée à Washington DC) :
«Bien que beaucoup d’attention est accordée à la prolifération des armes de destruction massive, c’est-à-dire les armes nucléaires, biologiques et chimiques, ce sont plutôt les armes conventionnelles ordinaires, comme les AK-47s, les mines, les véhicules blindés et les avions de combats, qui sont responsables de la majorité des victimes dans les conflits du monde. Presque tous ceux qui suivent régulièrement l’actualité peuvent convenir que les armes conventionnelles sont le plus responsables des tueries, blessures et déplacements de nombreuses personnes chaque année.
Le trafic illicite d’armes de petit calibre est un phénomène transnational. Ce commerce arme [les régimes sanguinaires], les terroristes et groupes terroristes qui opèrent à travers le monde et il est la cible principale de la guerre mondiale des USA contre les terroristes. A l’échelle mondiale, les revenus illégaux générés par l’exploitation des ressources telles que le bois, les drogues stupéfiantes, les diamants et d’autres minéraux, perpétuent les conflits et la corruption. Les courtiers d’armes subsistent parce qu’ils ont la capacité de contourner les contrôles internationales d’armes, les embargos internationaux des armes ou d’obtenir une protection officielle ici et là. Élaborer des politiques pour réglementer le trafic illicite d’armes de petit calibre ne peut pas être fait dans un vide ou par les États-Unis unilatéralement. D’autres pays, au niveau national, régional et international, doivent développer des contrôles plus stricts sur les ventes d’armes et renforcer la coopération internationale. Pour comprendre comment les armes de petit calibre sont acquises sur le marché illicite, nous devons également examiner le commerce légal, puisque la majorité des armes légères sur le marché noir a commencé dans le cadre du commerce légal. Tout d’abord, nous devons définir ce qui rend un commerce d’armes de petit calibre illicite ou légal.
Selon le Small Arms Survey, un projet de recherche indépendante qui produit chaque année un annuaire sur les armes légères, un transfert d’armes est généralement légal s’il est entièrement conforme au droit international et les législations nationales des pays d’exportation et d’importation. Un transfert illicite viole aussi bien les lois internationales que nationales. Les armes de petit calibre entrent dans les réseaux illicites à partir du commerce légal selon neuf manières distinctes :
Premièrement, les états, les entreprises ou les individus peuvent violer les sanctions nationales, régionales ou internationales et les embargos afin de livrer des armes à des pays ou des entités sous sanctions. Les panels de Sanctions des Nations Unies sur l’Angola et le Libéria ont signalé les cas de plus large bafouement connus des contrôles internationaux, ayant découvert de nombreux exemples de contraventions de divers gouvernements à l’égard des embargos dans des États fournisseurs et ceux qui permettent leur pays d’être utilisés comme points de transbordement.
Deuxième, des officiels corrompus permettent des exportations d’armes depuis ou via un pays où il serait autrement difficile ou illégal de le faire. Des fonctionnaires peuvent accepter des pots-de-vin pour fournir des licences d’exportation à des personnes non admissibles vis-à-vis des lois nationales ou des lois internationales; les fonctionnaires des douanes et les autres travailleurs associés du gouvernement peuvent accepter des dessus-de-tables pour fermer les yeux pendant que des armes sont convoyées depuis ou via les ports. Les paiements en espèces sont courants dans les pays où les fonctionnaires perçoivent de maigres salaires ou des salaires retardés indéfiniment.
Troisième, la sécurité inadéquate des poudrières et la pauvre gestion de l’armement occasionnent l’évasion des armes de petit calibre des mains du gouvernement pour se retrouver dans les réseaux obscurs des courtiers d’armes, des bandes de crime organisé, des gouvernements sanguinaires, des terroristes et autres groupes d’insurgés. Dans certains cas, ces stocks insécurisés courent le risque de vol et sont exposés aux pertes accidentelles. D’ailleurs, les arsenaux pillés constituent la majeure partie des armes sur le marché noir.
Quatrièmement, pendant les périodes d’instabilité ou de criminalité galopante, de viles opportunistes rançonnent les arsenaux de guerre stockés dans les poudrières nationales. En 1997, les arsenaux du gouvernement albanais avaient été vidés alors que le pays descendait dans le chaos. Ainsi, plus d’un demi- million d’armes s’est retrouvé dans les mains des citoyens albanais. La majeure partie de ces armes a fait son chemin dans les Balkans et dans d’autres régions. Aujourd’hui en Irak, des insurgés pillent régulièrement les anciennes poudrières et utilisent leurs butins pour attaquer les soldats américains et les civils Irakiens.
Cinquièmement, souvent les armes de petit calibre sont égarées ou perdues du stock d’état. Chaque année, une estimation d’un million d’armes légères est volée ou perdue à l’échelle mondiale. Rarement recouvrées, ces armes renflouent les réseaux des commerces illicites où elles sont vendues sur le marché noir.
Sixièmement, dans les pays où des armes excédentaires restent dans les stocks non sécurisés et où les soldats n’ont pas reçu de salaires ou sont favorables à un groupe spécifique, ces soldats peuvent vendre leurs armes contre de l’argent. Par exemple, il est de notoriété que les soldats Israéliens vendent des armes aux Palestiniens bien que conscients de ce que ces armes seront utilisées plus tard contre les soldats et citoyens Israéliens.
Septièmement, les armes sont volées des propriétaires légitimes. Aux États-Unis seulement, environ 500 000 petites armes, provenant de ce type de vol, entrent sur le marché noir chaque année.
Huitièmement, des lois nationales ambiguës ou inefficaces concernant l’achat des armes légères peuvent contribuer à la quantité d’armes légères disponibles sur le marché noir. En effet, s’il n’y a aucune limite sur le nombre d’arme à feu une personne peut posséder ou acheter à un moment donné, les « acheteurs malintentionnés » peuvent acheter plusieurs armes à la fois et ensuite les revendre illégalement. Ces armes illégales sont souvent vendues à l’extérieur et elles peuvent transiter d’un pays à réglementations laxistes à un autre où les lois peuvent pourtant être assez strictes. C’est le cas des trafics illicites d’armes entre les États-Unis, le Mexique et le Canada.
Enfin, des individus ou organisations fabriquent leurs propres armes et les vendent sur le marché illicite ; un processus dénommé « production artisanale. » La production artisanale est activité économique considérée comme une faible échelle, ultraplate, informelle et illégale, qui est effectuée dans les petits ateliers privés, garages, refuges ou des arrière-cours. Bien qu’en termes purement économiques, la production artisanale est un compartiment mineur, il n’en demeure pas moins qu’elle est non négligeable dans la production globale des armes de petit calibre ; dans certains cas, même un petit nombre d’armes peut facilement déstabiliser un gouvernement ou faciliter la violence. »
Il ressort clairement de l’exposé ci-dessus que tout achat d’armes, qui n’obéit pas aux lois internationales, y compris les embargos, et les lois du pays exportateur/importateur, est une transaction illicite. La question alors devient, est-ce que les autorités Ivoiriennes se sont-elles assurées que leurs transactions récentes aux USA, transactions qui ont entraîné l’incarcération courante du Colonel Yao N’Guessan, ont obéit à la fois aux lois de contrôles d’armes dans le pays d’achat et à la réglementation internationale en la matière? En d’autres termes, le gouvernement ivoirien a-t-il agi légalement vis-à-vis de nos lois de transactions des armes, ainsi que de celles des États-Unis et les institutions de contrôles internationaux des armes ? Mieux, est-ce que la tentative d’acquisition des prétendus 4000 pistolets automatiques, 200.000 munitions de 9 mm et 50.000 grenades lacrymogènes était bien intentionnée pour le pays, pour la sécurité globale au profit de l’ensemble de la population de Côte d’Ivoire ? Ou alors, était-ce encore une autre initiative cynique pour augmenter la puissance de feu du régime afin de lui permettre d’intimider et étouffer le libre choix des électeurs lors des élections à venir en Côte d’Ivoire ?
À mon avis, la conférence de presse du ministre Amani N’Guessan n’a pas pu répondre clairement à ces questions. En outre, les agents secrets américains ont, dans leurs dépositions assermentées, affirmé que le colonel N’Guessan Yao avait prévu de convoyer les armes mélangées avec des marchandises ordinaires. Cette disposition est suspecte et manifestement contraire aux règles usuelles de transit des armes. Cela a donné l’impression que les autorités ivoiriennes ont voulu camoufler l’arsenal à l’arrivée; se servant des produits ordinaires comme écran de fumée pour l’arsenal de guerre. Donc, N’eut été l’interruption américaine du transit, la cargaison pourrait atterrir au pays sous autre identification qu’un conteneur d’armes.
Il va de soi que cette présumée tentative de camoufler l’emballage suscite une suspicion de potentielle intention lugubre au tour de ces armes, une fois malicieusement introduites dans le pays par M. Gbagbo et son clan.
L’on devient encore plus préoccupé, quand on sait que M. Gbagbo est connu pour avoir balafré le pays avec les miliciens armés qui sont proches de son parti et son groupe ethnique, et que des escadrons de la mort accusés d’avoir des liens étroits avec le Palais présidentiel et auxquels des assassinats d’innocents citoyens ont été attribués sans qu’à ce jour, des investigations exhaustives aient été conduites par les autorités à l’effet d’éclairer l’opinion publique.
Un autre fait de toute aussi grave préoccupation est que l’homme de main dans la transaction présumée, le Colonel Yao N’Guessan est un frère tribal (Akan) du ministre de la défense Amani N’Guessan ; considérant que la triste histoire des tueries interethniques et des assassinats politiques sur le continent africain ont tous été le résultat d’une tribu (ou groupe d’influence/intérêt) se servant du pouvoir d’état pour exterminer les victimes dont le seul crime est d’avoir une opinion et ambition politiques. Dans ces tristes besognes, les victimes sont d’abord traitées de noms condescendants tels que « autre », « étranger », « envahisseur », « cafard » ou « gangrène ». Une fois la déshumanisation est encrée dans l’opinion générale, les agresseurs passent allègrement à l’extirpation du «mal».
À environ 45 jours des prochaines élections présidentielles, de nombreux cadres de l’équipe de grande campagne de M. Gbagbo ont utilisé ce genre d’appellations ‘déshumanisantes’ pour décrire l’opposition ou les personnes soupçonnées d’être proches de l’opposition. Par exemple, le Directeur National de Campagne du président-candidat Laurent Gbagbo, M. Issa Malick Coulibaly, a récemment déclaré à la télévision nationale que la liste électorale est en train d’être « DESINFECTÉE ».
Le Président Gbagbo, lui-même, avait averti tantôt, parlant de la crise ivoirienne, que la situation est comme un film Western qui se terminera par le «dernier grand combat du brave». Le même Président Gbagbo avait déclaré devant ses parents Guérés et Yacoubas au cours d’une «réunion familiale» tenue dans son village natal, Mama, qu’il ne partira pas sans se «battre». Il dit qu’il est le «candidat des Ivoiriens» mais les «autres» sont les «candidats de l’étranger».
Comme si ces appels de pieds n’étaient pas suffisamment clairs, M. Gossio Marcel, le Directeur du Port Autonome D’Abidjan et cadre influent de la campagne électorale de Gbagbo, est récemment allé dans l’ouest du pays pour publiquement « confier » la campagne du Président Gbagbo à la redoutable milice du Front pour la Libération du Grand Ouest-FLGO de Guiglo. La dernière grande activité en date de cette milice avait été une guérilla urbaine contre le détachement de la Gendarmerie nationale de Côte D’Ivoire basé dans la région. Il avait fallu l’intervention musclée de l’armée nationale appuyée par les forces de l’ONUCI pour éteindre ce foyer de tentions. Malgré ce souvenir affreux, M. Gossio vient de les engager, cette fois-ci, contre une population aux mains nues, avec pour consignes d’ «utiliser la même efficacité comme pendant la guerre civile pour assurer la victoire de GBAGBO à Guiglo». Pour s’assurer que le message est sans équivoque, M. Gossio a réinstauré les mêmes chefs de guerre qui étaient à la tête du FLGO durant la guerre civile de 2002-2003.
Il suffit de rapprocher tous ces différents messages codés du clan présidentiel et l’on est en droit d’émettre des réserves sur les réels motifs de cette tentative d’achat d’armes sophistiquées à la veille d’élections où le fauteuil de M. Gbagbo est en jeu.
Compte tenu de la gravité de la présente affaire, le Président Gbagbo et ses subordonnés doivent fournir des explications plus convaincantes sur leur entreprise éventrée, ce afin d’une part, de résolument dissiper tout doute, et d’autre part, instrumenter le processus d’enquête en attente devant le système judiciaire américain. Ce faisant, ils lèveront, incidemment, le fardeau des seules épaules du Colonel Yao ne Guessan qui, selon son patron Amani N’Guessan, a agi au nom du gouvernement ivoirien.
En attendant, j’espère et demeure confiant que les autorités américaines sauront assurer que cet incident soit soigneusement investigué, toute infraction adjudiquée à la hauteur des lois des USA et les dispositions légales internationales relatives à de tels cas.
L’avenir d’un gouvernement comptable et regardant des droits nationaux et internationaux en dépend; le sort de la paix et de la démocratie aussi.
Kehi Edouard
MBA, International Business
Un ivoirien, militant politique aux États-Unis.
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