Notre Voie
Par la voie diplomatique, l’Etat de Côte d’Ivoire s’organise pour obtenir la libération et le retour du colonel Yao N’Guessan. De son côté, le ministre de la Défense, Michel Amani N’Guessan, a décidé de saisir le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, ainsi que celui du Facilitateur burkinabé dans le règlement de la crise ivoirienne par l’accord de Ouagadougou. Il entend écrire par la suite au Secrétariat d’Etat américain de la très pointilleuse Hillary Clinton pour solliciter l’aide des Etats-Unis contre les vendeurs d’armes américains qui, visiblement, s’organisent pour voler, impunément, près de 2 milliards de FCFA à l’Etat de Côte d’Ivoire essoufflé par huit années de crise.
Hier, après consultation du Premier ministre et du président de la République, Michel Amani N’Guessan a animé une conférence de presse à son cabinet pour, a-t-il dit, éclairer les Ivoiriens sur cette odieuse affaire dans laquelle un digne officier supérieur de l’armée ivoirienne, régulièrement en mission, a été injustement “arrêté” sur le sol américain, sans que les officiels ivoiriens ne soient avisés de ce qui lui est reproché. Devant les journalistes, le ministre ivoirien de la Défense a crié sa colère : “Je déplore et condamne cette façon de faire de certains pays amis dans les relations avec la Côte d’Ivoire”. Puis, le ministre a affirmé : “Je n’ai jamais commandé d’armes de guerre, j’ai commandé, régulièrement et en toute légalité, du matériel de maintien d’ordre aux USA. Et c’est dans ce cadre là que j’y ai envoyé une mission régulière”. Enfin, le ministre ivoirien de la Défense a tiré la sonnette d’alarme sur le processus de paix : “Si l’on nous empêche de disposer du matériel de maintien d’ordre, je garantis que nous ne serons pas en mesure d’assurer la sécurité des élections que nous voulons tous le 31 octobre prochain !”. Fait encore plus troublant, le ministre ivoirien de la Défense n’a aucune idée de l’identité de ceux qui ont “arrêté” son collaborateur, et le fournisseur américain de matériel de maintien d’ordre avec lequel les missionnaires ivoiriens ont traité est injoignable depuis “l’arrestation” du colonel Yao.
Le colonel Yao N’Guessan, officier supérieur des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI), membre du cabinet du ministre de la Défense, a été arrêté, ont révélé certains médias ivoiriens manipulés, le vendredi 10 septembre dernier aux Etats-Unis, “pour trafic d’armes”. Selon ces médias mal informés pour des raisons qui restent à découvrir, le militaire ivoirien, présenté comme “un militant du FPI”, serait allé aux Etats-Unis pour acheter des “armes de guerre” et c’est sur ces faits qu’il a été “arrêté par le FBI”, la police fédérale américaine. La vérité est toute autre. Documents et lettres confidentiels à l’appui, le ministre Michel Amani a démonté ce grossier mensonge, hier, devant les journalistes. De quoi s’agit-il ?
La vérité sur une arrestation inexplicable
L’affaire remonte à 2009. Le 2 juillet, au moment où Beugré Mambé, président de la Commission électorale indépendante (CEI), faisait croire aux Ivoiriens que la présidentielle était possible le 29 novembre, Michel Amani N’Guessan a écrit au président du Comité des sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU (voir fax document n°1), juste pour demander “un allègement de la mesure d’embargo” infligée à la Côte d’Ivoire par les résolutions 1572/2004 et 1580/2005. Dans cette lettre, le ministre ivoirien de la Défense indique que, par l’Accord politique de Ouagadougou du 4 mars 2007, les deux parties signataires ont convenu de déployer un contingent paritaire de 8.000 hommes (4.000 FDS loyalistes et 4.000 FAFN rebelles) constituant le Centre de commandement intégré (CCI) chargé de sécuriser la présidentielle. “Pour permettre à ces forces de police et de gendarmerie de remplir leurs missions habituelles de sécurisation des personnes et des biens, écrit Amani, nous sollicitons…d’importer 4.000 pistolets automatiques, 200.000 munitions 9 mm et 50.000 grenades lacrymogènes”. Et ampliations ont été faites au président de la République, au Premier ministre, au Facilitateur et au Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, M. Choi. Ce dernier, selon le ministre Amani, l’a même assuré de son appui pour faire aboutir cette sollicitation légitime et légale.
La demande a donc été régulièrement transmise au responsable de la Mission permanente de la Côte d’Ivoire à l’ONU, l’ambassadeur Ilahiri Alcide Djédjé, qui, à son tour, l’a envoyée par note verbale, le 14 juillet 2009, au Comité des sanctions du Conseils de Sécurité. Le 30 juillet 2009, tous ces efforts conjugués ont abouti. De par la signature de son président, Claude Heller, le Comité des sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU a répondu favorablement à la demande d’allègement de l’embargo (voir document 2). Comme seule condition, le Comité demande que tout fournisseur de matériel contacté l’en informe pour bénéficier de cette dérogation en faveur du Centre de commandement intégré (CCI).
Akwaba au fournisseur américain
Ce genre de courriers attirent rapidement les vendeurs d’armes. Au nombre de ceux qui tourbillonnent autour de l’affaire, se trouvent des fournisseurs américains représentés par un cadre ivoirien, le nommé Innocent Nagnon, aujourd’hui aux abois. Car, dans les négociations, les fournisseurs américains se seraient montrés sérieux, professionnels et moins gourmands. Ils sont mêmes venus des Etats-Unis pour rencontrer le ministre de la Défense à Odienné, lors de la visite du président Gbagbo dans le Denguélé. C’est avec eux que le ministre Amani a passé les commandes portant sur le matériel de maintien d’ordre présenté à l’ONU. Le contrat signé stipule que la Côte d’Ivoire paie 50% du montant à la commande et 50% à la livraison. Ils ont assuré le ministre ivoirien des dispositions qu’ils prendraient auprès du Comité des sanctions de l’ONU pour la transaction et, le ministre de l’Economie et des Finances sollicité a décaissé l’acompte sur les fonds du Trésor public ivoirien, soit l’enveloppe de 920 millions FCFA.
Seulement voilà, depuis que les fournisseurs américains ont perçu cette avance de 50%, ils ont commencé par tergiverser jusqu’à la fin de l’année 2009. Entretemps, les élections n’ont pas eu lieu en novembre 2009 et des émeutes ont éclaté le 12 février 2010 suite à la dissolution de la CEI et du gouvernement. « Ces émeutes, qui ont vu les FDS en danger tirer à balles réelles face à la foule, ont poussé l’ONU à condamner la Côte d’Ivoire, mais elles m’ont édifié en tant que ministre ivoirien de la Défense sur la nécessité de disposer de matériel de maintien d’ordre pour la police et la gendarmerie », explique Michel Amani N’Guessan. Mais patatras ! Les fournisseurs américains relancés se mettent à faire de la surenchère. Comme de vulgaires voyous, ils exigent désormais le paiement des 50% restant avant livraison. Ils exigent une rallonge de 121 millions FCFA, vu le délai de la commande rallongé par les émeutes en Côte d’Ivoire.
Une mission de
clarification
Le ministre de la Défense, craignant une opération d’escroquerie, décide d’envoyer en mission auprès des fournisseurs américains le colonel Yao N’Guessan. Le ministre de l’Economie et des Finances lui adjoint M. Yapo, l’un des collaborateurs du Trésorier payeur. Aux Etats-Unis, les deux hommes bénéficient de l’assistance du colonel Aphanou, attaché militaire de la Représentation permanente de la Côte d’Ivoire à l’ONU. Leur mission est simple : vérifier la fiabilité des offres des fournisseurs et établir avec eux un chronogramme de livraison du matériel commandé et payé en partie par l’Etat ivoirien. Sur le premier point, les missionnaires ivoiriens sont apparemment rassurés. Le matériel existe et ils le font savoir régulièrement au ministre Amani par des coups de fil. Mais au cours des discussions, les fournisseurs américains exigent d’être entièrement payés avant livraison. Là, le colonel Yao N’Guessan, chef de la mission, tape du poing sur la table et les discussions s’enlisent. Alors, M. Yapo, le représentant du Trésor, supplie l’officier ivoirien de céder, l’essentiel étant que le matériel arrive en Côte d’Ivoire avant les élections qui approchent à grands pas. Le colonel Yao a écouté son co-missionnaire mais, apparemment, il a mis en courroux les fournisseurs américains…
Kidnappé comme dans un polar
La mission du colonel Yao N’Guessan et de M. Yapo a pris fin le jeudi 9 septembre 2010. Heureux d’avoir pu débloquer, pensaient-ils, une situation désespérante, ils sont raccompagnés, le lendemain vendredi, dans un des aéroports de New York d’où ils devaient embarquer pour la Côte d’Ivoire. Le reste dépasse l’entendement.
L’agent du Trésor ivoirien, M. Yapo, qui a rejoint tranquillement la Côte d’Ivoire, a dit au ministre de la Défense que le colonel Yao et lui étaient dans les rangs pour aller prendre l’avion quand l’officier ivoirien l’a informé qu’il allait aux toilettes. M. Yapo a continué son chemin et a embarqué. De l’avion, il déclare avoir essayé de joindre par le portable, en vain, son co-missionnaire. L’avion a décollé et a atterri huit heures plus tard à Paris pour une escale au cours de laquelle il espérait retrouver le colonel Yao. Là aussi, point de colonel Yao. La mort dans l’âme, le représentant du ministère de l’Economie et des Finances rentre à Abidjan sans l’officier supérieur des FDS. C’est la presse manipulée de l’opposition qui a révélé, depuis trois jours, que le colonel Yao N’Guessan est “un militant du FPI, le parti au pouvoir décidé à reprendre la guerre” ; et que de ce fait, il a été “arrêté par le FBI pour trafic d’armes aux Etats-Unis”.
En vérité, le militaire ivoirien a été proprement kidnappé dans un aéroport de New York. Et si c’est le FBI qui a fait ce rapt, s’il l’a fait comme le décrit M. Yapo, il faut en convenir, la méthode est foncièrement abjecte et indigne des Etats Unis d’Amérique dont le monde entier rêve. Elle prolonge le grand bordel utilisé le mois dernier contre le Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, qui, muni d’un visa à jour, régulièrement embarqué à Abidjan pour New York, a été déclaré persona non grata sur le sol américain, au bout d’une escale à Paris.
César Etou (cesaretou2002@yahoo.fr)
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