« Le cas de la Côte-d’Ivoire devrait également inspirer l’action du Conseil de sécurité » (Ouattara depuis New-York)

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L’Intégralité du discours lu par le chef de l’État ivoirien devant le Conseil de Sécurité de l’ONU hier à New-York

Conseil de Sécurité des Nations Unies
Débat Présidentiel de Haut niveau
présidé par SEM Alassane Ouattara, Président de la République
de Côte d’Ivoire
New-York, le mercredi 5 décembre 2018
Monsieur le Secrétaire Général,
Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Représentants permanents
auprès des Nations Unies
Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement honoré de présider cette séance et ce débat de haut
niveau de notre Conseil, qui s’inscrivent dans le cadre des activités choisies par la
Côte d’Ivoire pour marquer sa présidence du Conseil de Sécurité en ce mois de
décembre 2018.
Il s’agit d’un moment important pour mon pays, qui intervient vingt-sept (27) ans
après son dernier mandat au sein du Conseil de Sécurité.
Notre présidence intervient aussi plus d’une année après la sortie de la Côte d’Ivoire
de l’Agenda du Conseil de Sécurité et la fermeture, en 2017, de l’Opération des
Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), après treize (13) années de présence sur
notre territoire.

Mesdames et Messieurs,
La Côte d’Ivoire assume la présidence tournante du Conseil de Sécurité dans une
période marquée par des bouleversements au plan international, avec une
redéfinition de certains équilibres.
Notre présence dans cette prestigieuse enceinte nous offre l’occasion de redire notre
foi dans un système multilatéral équilibré, qui permet à tous, de faire entendre leur
voix et de voir leurs aspirations prises en considération.
Dans cette période charnière, notre monde est appelé à faire preuve de plus de
solidarité et d’entente, afin de relever les défis en matière de paix et de
sécurité auxquels nous sommes tous confrontés.
Dans ce contexte, notre présidence sera placée sous le signe de l’ouverture, du
partage d’expériences et de la collaboration afin de créer, en toutes
circonstances, les conditions du consensus sur les questions les plus difficiles.
Nous voulons également enrichir l’éventail des réponses apportées par le Conseil de
Sécurité, aux différentes questions dont il est saisi.
Par ailleurs, mon pays accordera, au cours de sa présidence, une
attention soutenue aux questions africaines qui dominent hélas de loin notre
agenda, et requièrent une attention particulière et un engagement total de chacun
de nos pays. J’invite donc les membres de notre Conseil à répondre favorablement
aux attentes et aux appels de l’Afrique à davantage de solidarité dans le financement
de ses opérations de soutien à la paix.

Au regard des nombreux défis liés à la paix et à la sécurité internationales dans notre
monde en constante mutation, l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de
Sécurité apparaissent plus que par le passé, incontournables pour prévenir et
résoudre les conflits.
Je voudrais donc adresser mes encouragements au Secrétaire Général, pour
l’ambitieux projet de réforme de notre Organisation commune qu’il a initié et dont
l’aboutissement permettra de la rendre encore plus efficace.

Mesdames et Messieurs,
La Côte d’Ivoire a bénéficié, pendant plus d’une décennie, d’un engagement sans
précédent de la Communauté internationale, en particulier de l’Organisation des
Nations Unies et du Conseil de Sécurité.
En effet, dans la gestion de la crise que mon pays a traversée, le Conseil de Sécurité
a adopté plus d’une cinquantaine de résolutions. Certaines de ces résolutions,
notamment celles relatives à la certification des élections et à la protection des
civils, constituent des évolutions inédites et courageuses qui resteront gravées dans
les annales du Conseil.
Je peux m’exprimer devant vous, aujourd’hui, grâce à la détermination du peuple
ivoirien, à l’engagement remarquable de la CEDEAO, et de l’Union
Africaine, dont je salue la présence des premiers Responsables, et à celui des
Nations Unies, à travers l’ONUCI.
Je voudrais rendre un hommage appuyé à la CEDEAO pour le rôle qu’elle a joué dans
la sortie de crise en Côte d’I voire.
J’exprime ma gratitude au Secrétaire Général d’alors, Monsieur Ban Ki Moon ainsi
qu’au Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d’Ivoire
au moment de la crise, Monsieur Young-Jin Choi, pour leur courage, leur
détermination et leur engagement à défendre les idéaux des Nations Unies.
Je voudrais, au nom de la Nation ivoirienne, saluer la mémoire des 150 Casques
bleus qui ont fait le sacrifice de leur vie pour en sauver d’autres et pour ramener la
paix et la stabilité dans mon pays.
J’exprime à leurs pays et à leurs familles, ainsi qu’à la grande famille des Nations
Unies, la reconnaissance du peuple ivoirien.
A présent, je voudrais rendre hommage à un digne fils de l’Afrique, 7ème Secrétaire
Général des Nations Unies, pour son exceptionnelle contribution à la paix dans le
monde. Il s’agit de Monsieur Kofi Annan, ce grand Humaniste, qui nous a quittés
le 18 août 2018 et dont la voix et la sagesse manqueront aux grandes causes du
monde.

Mesdames et Messieurs,
Le thème de notre débat, « Reconstruction post-conflit, Paix, Sécurité
et Stabilité », revêt une grande importance pour mon pays, au regard de son
histoire récente.
Ce thème nous offre l’opportunité de partager notre expérience en matière de
reconstruction post-crise ; il nous donne aussi l’occasion d’évoquer les priorités que
nous avons établies afin de rendre irréversibles la paix et la sécurité ainsi
que le développement que connaît la Côte d’Ivoire, depuis la fin de la crise postélectorale.
Nous souhaitons que les leçons tirées de notre expérience contribuent,
modestement, à enrichir la pratique de notre Conseil dans le domaine de la
consolidation de la paix, qu’il a su faire évoluer au cours de ces dernières années.
Notre expérience pourra également être utile aux pays qui sont confrontés à des
situations similaires.

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En 2011, la Côte d’Ivoire est sortie d’une décennie de crise et de la crise postélectorale, fragilisée aux plans économique, social, humain et sécuritaire.
En effet, l’insécurité était généralisée ; tous les indicateurs économiques étaient au
rouge ; les infrastructures socioéconomiques ainsi que les Services publics de
base étaient dans un état de délabrement préoccupant.
Cette situation aurait pu compromettre le retour du pays à la paix et à la
stabilité durables, si des mesures urgentes et une stratégie globale de reconstruction
et de développement, n’avaient pas été mises en œuvre dès la fin des
affrontements.
La reprise en main a été possible grâce à la restauration de l’autorité de l’Etat, que
nous sommes parvenus à mettre en œuvre, en dépit de notre confinement dans un
hôtel d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire.
Comme l’ont démontré plusieurs situations examinées par notre Conseil, la
reconstruction post-crise, la paix et la stabilité sont fortement tributaires de
l’existence de Structures étatiques et d’Institutions capables de remplir pleinement
leurs fonctions.

Mesdames et Messieurs,
Dès 2011, la Côte d’Ivoire a fondé sa stratégie de reconstruction post-crise, de paix
et de stabilité sur la Relance de son économie, le Désarmement, la Démobilisation et
la Réintégration ainsi que sur la Réforme du Secteur de la S écurité et la
Réconciliation.
La relance rapide de notre économie a donné au Gouvernement les leviers lui
permettant non seulement de répondre aux urgences sociales et sécuritaires des
populations mais aussi de travailler au développement du pays sur le long terme.
C’est dans cette perspective que nous avons conçu et exécuté le Programme
Présidentiel d’Urgence (PPU), avec pour objectif de restaurer les infrastructures
sociales de base, en particulier dans les zones rurales fragilisées afin d’accélérer le
retour de l’Administration dans toutes les régions du pays.
Nous avons consolidé ce Programme d’Urgence avec des Plans Nationaux de
Développement couvrant les périodes 2012-2015 et 2016-2020, pour un montant
total d’environ 72 milliards de dollars (près de 40 000 milliards de FCFA), avec une
forte implication du secteur privé.
Ces investissements ont permis une profonde transformation de
l’économie et un taux croissance moyen de près de 9%, par an, entre 2012 et 2017.
Concernant la paix et la stabilité, nous avons initié et mis en œuvre, avec le
soutien de l’ONU, de nos partenaires financiers et techniques, une réforme du
secteur de la sécurité et un vaste et ambitieux programme de Désarmement, de
Démobilisation et de Réintégration.
Ce programme, qui a coûté 200 millions de dollars, a été financé à hauteur de
72% par l’Etat de Côte d’Ivoire ; il a abouti à la réintégration de plus de 65 000 excombattants.
Au-delà de ce processus que nous avons pu mener dans un délai de 3
ans, l’embellie économique du pays a offert de nombreuses opportunités d’emplois
aux jeunes et aux ex-combattants. En effet, ce sont plus de 2 millions d’emplois qui
ont été créés depuis 2012 dans mon pays, qui compte 24 millions d’habitants.
En outre, nous poursuivons la restructuration et la modernisation de l’Armée, des
Services de sécurité et de l’Appareil judiciaire pour plus d’efficacité et de
professionnalisme.
C’est le lieu de rendre hommage à nos Forces de Défense et de Sécurité pour leur
engagement au service de la Nation et leur professionnalisme, notamment lors de
l’attaque terroriste de Grand -Bassam en mars 2016.
Au plan politique, l’Etat ivoirien a pris en charge,
presqu’intégralement, l’organisation de tous les scrutins intervenus dans le pays
depuis 2012, y compris l’élection présidentielle en 2015 et le Référendum
constitutionnel en 2016 qui a doté la Côte d’Ivoire d’une Constitution moderne ; une
Constitution qui garantit davantage les droits et les libertés des citoyens, en
particulier ceux des femmes.
Tous ces scrutins ont consacré la consolidation de la démocratie en Côte d’Ivoire et la normalisation de la vie politique nationale.
Le Gouvernement a également œuvré au renforcement de la bonne gouvernance
avec la mise en place de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance, qui a une
mission de prévention et la lutte contre la corruption.

Nous avons aussi procédé au financement de l’indemnisation des victimes des crises
successives que notre pays a connues.
Le processus d’indemnisation a démarré en 2015, avec la mise en place d’un fonds
spécial, d’une dotation initiale de 10 milliards de FCFA, qui est alimenté chaque
année.
Enfin, plusieurs initiatives ont été prises pour promouvoir et renforcer la
réconciliation nationale et la cohésion sociale.
Il s’agit notamment de la mise en place de structures telles que la Commission
Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR), la Commission Nationa le pour la
Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes (CONARIV) ainsi que la Chambre des
Rois et Chefs Traditionnels.
Dans ma volonté de consolider la réconciliation et de solder définitivement le
contentieux relatif à la crise post-électorale, j’ai pris, en Août 2018, une loi d’amnistie
concernant environ 800 personnes, poursuivies ou condamnées pour des infractions
en lien avec la crise post-électorale de 2010 ou des infractions contre la sureté de
l’Etat.
Ces initiatives ont donné des résultats significatifs. Aujourd’hui, tous les déplacés
internes sont retournés dans leurs localités d’origine et la quasi-totalité des réfugiés
sont revenus en Côte d’Ivoire.
Les ivoiriens vivent ensemble, dans la paix et la tolérance.

Mesdames et Messieurs,
Le cas de la Côte d’Ivoire devrait également inspirer l’action de notre Conseil et celle
de la Communauté internationale dans d’autres situations post-conflit.
En effet, la reconstruction post-conflit, la paix et la stabilité durables nécessitent :

1- l’existence d’un Gouvernement qui tire sa légitimité
d’élections démocratiques et transparentes ;
2- la mise en place et le redéploiement d’une Administration fiable qui
inspire confiance ;
3- un processus de réconciliation crédible ;
4- une réforme du secteur de la sécurité qui conduit à une Armée et des
Services de sécurité professionnels ;
5- un plan d’investissement d’urgence pour la fourniture équitable de
services sociaux de base et la création d’emplois.

Ce processus requiert un accompagnement politique et technique soutenu ainsi que
d’importantes ressources financières qui ne sont pas disponibles dans les pays qui
sortent de conflit.
C’est pourquoi, il est important que dans de tels pays, la Communauté internationale,
notamment l’ONU, reste engagée de façon décisive et résolue, tout en évaluant les
conditions d’un retrait ordonné, comme ce fut le cas pour la Côte d’Ivoire.

Mesdames et Messieurs,
Nous devons cependant nous rendre à l’évidence que la paix, la stabilité
et le développement à l’intérieur d’un pays qui sort de crise demeurent également
tributaires de l’environnement sécuritaire régional. C’est le cas de l’Afrique de l’Ouest
et du Sahel, marqués par d’intenses activités terroristes, des menaces auxquelles
nous devons répondre ensemble.
A cet égard, je lance un appel à notre Conseil pour un financement adéquat et
durable des opérations de maintien de la paix en Afrique et en particulier du G5
Sahel, qui demeure une préoccupation majeure pour mon pays et notre sous-région
d’Afrique de l’Ouest.
Pour terminer, je voudrais réitérer mon souhait ardent de voir l’expérience de mon
pays venir enrichir les recommandations et les décisions qui se rapportent aux Etats
engagés dans des processus complexes de sortie de crise et de reconstruction postconflit.
La Côte d’Ivoire entend y contribuer pleinement. C’est à ce titre que nous mettons à
la disposition de la MINUSMA et de la MINUSCA ou de tout autre
théâtre d’opérations en Afrique, un contingent que nous avons formé et équipé.

Je vous remercie.

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