Une analyse du journaliste Philippe Kouhon
Le rapport de la commission des affaires étrangères du parlement français publié le 15 février dernier continue de faire couler beaucoup d’encre tant il est original que bien renseigné.
Mais si les parlementaires français ont attendu le début du deuxième mandat du président Alassane Ouattara pour s’investir en Côte d’Ivoire, c’est pour, selon une source bien introduite, faire d’abord le point du premier quinquennat de celui qu’ils ont aidé à accéder au pouvoir mais aussi rassurer les entreprises françaises en Côte d’Ivoire de la bonne santé du milieu des affaires non sans lancer un avertissement aux nouvelles autorités ivoiriennes qu’elles peuvent diversifier leur partenaires au développement mais qu’elles n’oublient pas la France…
Notons que ce rapport, riche de 185 pages, qualifié de « juste » et « équilibré » renferme trois gros chapitres. Le premier intitulé « Vers une renaissance ivoirienne » dresse un bilan mitigé de la situation politique, économique et social du pays. Le second chapitre « une croissance au pied d’argile : des défis considérables et urgents à surmonter » oriente et conseille les nouveaux tenants du pouvoir sur l’urgence du développement, l’urgence de la réconciliation, l’urgence de la sécurité et l’urgence de la question du foncier rural. Le tout afin de garantir un meilleur climat des affaires. Mais quand les députés français finissent d’apporter une telle expertise, ils en profitent pour rappeler au gouvernement Ouattara la place de la France en Côte d’Ivoire. « La France en Côte d’Ivoire : Une relation forte mais sans exclusive », le troisième et dernier chapitre du rapport avertit les entreprises françaises de ce que la France aurait désormais en Côte d’Ivoire une position fortement concurrencée, craignant la montée en puissance du Maroc, mais de nombreux pays émergents dans les affaires avec la Côte d’Ivoire.
L’autre rapport qui a précipité celui des députés
Chaque année depuis 1979, le conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) sonde les dirigeants des entreprises étrangères implantées en Afrique sur les perspectives de leur activité. Qu’en est-il des résultats de l’enquête CIAN 2016 pour l’activité des entreprises étrangères sur la période 2015-2017en Côte d’Ivoire ?
Dans son rapport 2017 intitulé « rapport 2017 : les entreprises françaises et l’Afrique » publié par le magazine MOCI en décembre 2016, les experts français note un environnement des affaires globalement stable en Afrique. En outre, si le Maroc est en tête du classement et obtient la note de 3,8/5 contre 2,4/5 pour la Côte d’Ivoire (classée 19e/34 pays étudiés), notre pays décrit comme une insolente santé de la première économie de la zone UEMOA devrait avoir une croissance de 7,7% en moyenne sur la période 2017-2019 selon le FMI. Et cette bonne santé économique serait due aux prévisions du nouveau programme national de développement (PND) pour la période 2016-2020 et qui a été adopté avec l’ambition pour les autorités ivoiriennes d’atteindre l’émergence de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020. Mais dans son financement d’un montant de près de 30.000 milliards Fcfa, une place très importante serait dédiée au secteur privé (62% du financement du plan).
En effet, le PND s’articule autour de cinq objectifs : 1)-le renforcement des institutions et de la gouvernance ; 2)-le développement du capital humain ; 3)- l’industrialisation ; 4)- le développement des infrastructures ; 5)-l’intégration régionale et la coopération internationale. Il se matérialise à travers près de 200 projets dont 70 sont en partenariat public-privé (PPP). Parmi ceux-ci, la construction de centrales à biomasse (cacao, coton) et solaires, la ligne 1 du métro d’Abidjan, la fibre optique sur 5000 km, la construction de l’université de San Pedro et d’un central de radiothérapie et d’oncologie médicale.
En outre, si ce plan a déjà reçu un large soutien des bailleurs de fonds lors de la réunion du Groupe consultatif en mai 2016 à Paris avec 15,4 milliards USD soit 9.535 milliards de Fcfa mobilisés sous forme de prêt et de dons et un accompagnement de la part du FMI avec 650 millions USD soit 402,480 milliards Fcfa ; ce qui fait un soutien prévisionnel d’environ 10.000 milliards Fcfa sur les 30.000 milliards recherchés, pour les 20.000 milliards restants, la Côte d’Ivoire a décidé de se tourner vers le marché financier ouest africain et autres investisseurs étrangers en émettant plusieurs emprunts obligatoires. Elle a par exemple émis en février 2016 un Euro bond d’1 milliard de dollar et en août un deuxième sukuk (obligations islamiques) de 150 milliards FCFA avant de lancer en octobre 2016 une troisième souscription de 100 milliards FCFA sur la BVRM d’Abidjan.
A côté de ces emprunts financiers, le régime de Ouattara a décidé volontairement de délaisser le cacao et le café au profit de nouvelles rentes telles que l’anacarde et le coton non sans procéder à la privatisation de certains fleurons de l’économie ivoirienne, à l’instar de Sucrivoire, la CIDT.
Pour le second terminal à conteneurs du port d’Abidjan (560 milliards Fcfa) et l’extension des travaux du port de San Pedro (309,6 milliards Fcfa), le gouvernement ivoirien a chargé l’Italo-suisse Mediterranean Shipping Compagny et la société émiratie Bilal General Transport de réaliser les travaux.
Dans les finances, outre la BICICI et la SGBCI qui restent toujours aux mains des français (Bnp-paribas), l’Etat ivoirien cherche à privatiser la BHCI, Versus Bank et à céder sa part de NSIA Bank. La SIB filiale du groupe marocain Attijariwafa Bank et les autres banques à l’instar toujours du marocain BMCE-Bank of Africa, Exim Bank of Indian sont présentes à Abidjan. La Libye est aussi présente sur le sol ivoirien dans le secteur de la télécommunication jadis dédié à la France. La société postale de télécommunication et d’information de la Libye (LPTIC) vient d’obtenir comme les trois autres opérateurs actifs-Orange, MTN et Moov ( maroc télécom), la licence 4G globale.
Quant au secteur minier, celui-ci a été confié au géant australien, Perseus Mining qui devrait démarrer l’exploitation de la mine d’Or de Yaouré en 2017 pour un coût de 3,2 millions d’onces soit 2.489 milliards Fcfa.
L’exploitation de nos réserves de Manganèse et bauxite est partagée entre l’Ivoirien Lagune Exploration Afrique (LEA) pour la bauxite et le géant Shiloh Manganese SA qui a signé en septembre 2016 une convention minière pour l’exploitation du manganèse dans les départements de Korhogo et Dikodougou où les réserves sont évaluées à plus de 4 millions de tonnes. Le groupe devrait investir 10 milliards Fcfa sur la période 2017-2018.
Enfin, si le pays est résolu à se tourner désormais vers de nouveaux partenaires ce sont les nouveaux avantages accordés à ces investisseurs étrangers qui inquiète plus paris.
Le rapport du CIAN (conseil français des investissements en Afrique) note que qu’en 2016, la Côte d’Ivoire a poursuivi sa politique d’amélioration de l’environnement des affaires et d’attraction des investissements étrangers.
Elle a signé au moins dix (10) conventions, 9 avec la Turquie et 1 avec Maurice, qui portent sur la protection de leurs actifs, la possibilité pour ces investisseurs étrangers de rapatrier librement les capitaux et de recourir aux mécanismes d’arbitrage Investisseur-Etat. Elle a également signé une convention fiscale avec Maurice et la Tunisie, mais aussi le Maroc. « La convention fiscale avec le Maroc et Maurice est d’autant plus stratégique que le Maroc multiplie les actions pour offrir aux groupes internationaux une plate-forme pour leurs investissements en Afrique subsaharienne alors que Maurice peut se prévaloir de ses nombreuses holdings et sociétés d’investissement en Afrique » s’inquiète le conseil français des investissement en Afrique (CIAN) . En clair, Paris craint que le Maroc devienne le passage obligé de beaucoup d’entreprises étrangères voire les entreprises françaises pour atteindre Abidjan.
On comprendra ainsi aisément pourquoi dans son dernier rapport, les députés français ont insisté dans le volet « proposition » au nombre de 20, sur l’importance de l’aide au développement que devrait apporter la France en Côte d’Ivoire, sur la prise en compte des étudiants, talents et jeunes entrepreneurs ivoiriens par la France en leur octroyant des facilités de visas et enfin sur l’utilité de la diaspora ivoirienne de France.
En effet, malgré l’effacement de la dette de la Côte d’Ivoire pour un montant de 200 millions d’euros à travers le programme PPTE, il reste encore une ardoise de 1 milliard d’Euros que notre pays doit à la France. Aussi les députés notent une baisse du fonds européen développement (FED) en direction de la Côte d’Ivoire.
Les députés notent également que 13% de la classe moyenne ivoirienne s’investissent dans des start Up et souhaiteraient consommer français. Pourquoi ne pas leur facilité le visas non seulement pour venir partager leurs expériences avec les français et les fidéliser au moment où la Chine, le Japon et le Canada leur offrent les possibilités alléchantes. Enfin, les députés évaluent à 16 milliards USD la somme d’argent envoyée en Côte d’ivoire par an par sa diaspora, estimée à 700.000 en France. Une Diaspora (en France) qui affiche de plus en plus un désintéressement de l’amitié Franco-ivoirienne depuis la crise postélectorale. « Laurent Gbagbo continue de drainer du monde » affirme les députés français.
Pour terminer, nous sommes tenté de penser que le syndrome de diversification des partenaires au développement qui a emporté les régimes successifs de Bédié et Gbagbo peut emporter celui de Alassane Ouattara. Pourtant jugé proche des multinationales françaises ?
Philippe KOUHON à Paris
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