A l’occasion de la commémoration de la Journée Internationale des Droits de l’Homme du 10 Décembre 2016, le Comité Ivoirien des Droits de l’Homme voudrait par la présente communication interpeller la communauté nationale et internationale sur la situation des exécutions extrajudiciaires en Côte d’Ivoire.
I- LA SITUATION
Des faits collectés et documentés par notre organisation, il ressort ces dernières années plusieurs cas de meurtre qui portent de lourds soupçons d’exécutions extrajudiciaires. Ce type d’exécutions est autant l’œuvre de forces de l’ordre que de citoyens.
Sur les cas d’exécutions extrajudiciaires commis par des forces de l’ordre entre 2015 et 2016 :
• DOH Amos le 11 Octobre 2016, exécuté dans sa cellule au commissariat de Duékoué.
• Sawadogo Yaya, exécuté à Katiola par des forces de l’ordre le 03 Octobre 2016.
Sur les cas d’exécutions extrajudiciaires commis par des citoyens entre 2015 et 2016 :
• 25 mars 2016, dans l’intention de se faire justice, des violences meurtrières avaient éclaté dans la région de Bouna, entre deux ethnies locales, d’un côté les Lobis, et de l’autre les Koulango, en raison d’un incident impliquant des troupeaux de bœufs de ces derniers;
• Le cas du policier exécuté par des chauffeurs de mini cars le 14 aout 2016 à Adjamé, en représailles à la mort de leur collègue tué à bout portant par le dit policier;
• le cas le 27 Novembre 2016 à Vitré 1 situé à quelques kilomètres de BASSAM d’un jeune présumé coupable de vol qui est exécuté par des populations du même village;
• Le cas à Doropo où des agents des forces de l’ordre sont exécutés par des populations en représailles de la mort de leurs proches.
Il convient de préciser que ces exécutions extrajudiciaires avaient déjà atteint un niveau inquiétant lors de la rébellion armée qui a duré des années. Ainsi autant dans la zone sous contrôle de la rébellion tout comme dans la partie gouvernementale, les exécutions extrajudiciaires étaient signalées.
II- ANALYSE DE LA SITUATION
Il ressort des faits,
D’une part, que les citoyens ivoiriens qu’ils soient civils ou agents de force de l’ordre se rendent eux mêmes de plus en plus justice au mépris des lois de la république. Une telle situation consacre le règne de l’Etat de non Droit malgré l’existence du cadre légal interdisant de telles pratiques. En effet, la constitution ivoirienne proclame :
• En son article 3 que le droit à la vie est inviolable et que nul n’a le droit d’ôter la vie à autrui.
• L’article 7 énonce que tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d’un procès équitable
• La peine de mort est également abolie conformément à l’article 3 de la loi fondamentale ivoirienne.
Par ailleurs, dans les pays où la peine de mort existe, elle est prononcée par voie de justice et non par de simples citoyens.
D’autre part, l’Etat a des obligations vis-à-vis des citoyens en vue de garantir le plein exercice des droits fondamentaux. En effet, l’Etat a l’obligation :
• De respecter les Droits de l’Homme ;
• De les protéger en faisant en sorte que nul n’entrave leurs exercices ;
• L’obligation de mettre en œuvre des mesures appropriées pour rendre effectif l’exercice du droit.
Les pouvoirs publics ivoiriens ont-ils pris la mesure de la gravité de la situation des exécutions extrajudiciaires en Côte d’Ivoire? Ont-ils, tenant compte des normes légales en vigueur, adopté des mesures pour freiner la montée en puissance de ce fléau ?
Au regard de la répétition des cas depuis la crise militaro-civile de 2002 à aujourd’hui avec de nombreux cas d’exécutions extrajudiciaires de civils et d’agents de force de l’ordre, nous sommes amenés à dire que les mesures prises ne sont pas satisfaisantes.
Après avoir fait une étude de ces différentes exécutions depuis 2002 à nos jours, nous pouvons aisément relever deux grandes causes qui sont à la base de ces exécutions. Ce sont :
1. L’impunité
La plupart des crimes politiques et économiques commis en Côte d’Ivoire sont restés sans suite. A ce jour, des crimes extrêmement graves, desquels les populations attendaient une justice exemplaire n’ont jamais été condamnés. Cette pratique qui date depuis des décennies aura fragilisé la confiance des citoyens en leurs institutions. Finalement, cette impunité des crimes politiques et économiques crée un état d’insécurité à combler par les populations.
Aussi, les infractions et autres crimes commis dans nos différentes cités sont pour la grande majorité mal résolus. Les populations ont le sentiment que justice est rendue au plus offrant. L’appareil judiciaire et les forces de l’ordre sont aussi cités comme étant un obstacle à une sécurité des intérêts des populations.
Ces réalités induisent que les populations trouvent les ressources en elles-mêmes pour sécuriser leurs intérêts. Toutes choses qui impliquent qu’elles se rendre justice. Se rendre justice à donc pris une telle proportion que mettre fin à la vie d’un simple individu voir d’un agent des forces de l’ordre est devenu banal et normal.
2. Le manque de confiance en nos institutions
Trouver recours de Droit auprès des institutions devrait être la pratique de tout citoyen qui se sent lésé. Seulement, nos institutions ne semblent plus refléter la volonté à la sécurité qu’espèrent les citoyens de ce pays. Une telle situation se justifie par les raisons suivantes :
-L’impunité est devenue la règle dans notre pays ;
-L’impuissance de nos institutions face à la corruption ;
-L’influence du pouvoir politique sur les décisions judiciaires ;
-L’influence des pouvoirs traditionnels constitue un obstacle à une justice équitable ;
-L’impuissance des institutions policières face à l’insécurité provoquée par certains phénomènes tels que les microbes ;
-Le mépris de certaines forces de l’ordre à l’égard des droits et la dignité des citoyens présumés coupables d’infraction.
Autant de raisons qui amènent les populations à se rendre justice elles-mêmes au point de commettre des exécutions extrajudiciaires.
Au total, La situation des exécutions extrajudiciaires menacent l’exercice de plusieurs droits notamment le droit à la vie et se présente comme une menace à la démocratie et à l’Etat de Droit.
III- LES RECOMMANDATIONS
Au regard de la menace, il est urgent que le Gouvernement en premier lieu, la Justice, les populations et la Société civile aussi se mobilisent pour lutter contre ce phénomène qui est une menace pour la stabilité de notre pays et pour son développement.
1. A l’endroit de l’’Etat
• Mettre fin à l’impunité au niveau national et local ;
• Travailler à une séparation effective des pouvoirs notamment une véritable indépendance du pouvoir judiciaire ;
• Clarifier les pouvoirs de la chefferie afin d’éviter son influence sur le Droit républicain ;
• Lutter contre la corruption à tous les échelons de notre administration ;
• Renforcer l’enseignement des droits de l’homme dans nos écoles de police et de gendarmerie ;
• Informer et former davantage les forces de l’ordre sur les procédures de recherche, d’interpellation et de garde à vue des présumés coupables;
• Sensibiliser les populations à travers les médias au respect de la loi et de la vie humaine ;
• Démocratiser l’information sur la police, la justice et les droits humains au service des populations ;
• Prendre davantage de mesures pour assurer la sécurité des populations conformément à ses engagements nationaux et internationaux.
2. A l’endroit de la Justice
• Mettre fin à l’impunité en poursuivant sans exception devant ses juridictions les présumés auteurs d’exécutions extrajudiciaires pour ramener la confiance des populations en la justice ;
• Ouvrir les dossiers de nombreux cas d’exécutions extrajudiciaires classés afin de montrer sa capacité à rendre justice ;
• Démocratiser l’accès à la justice pour rendre sa saisine beaucoup plus aisée par les populations.
3. A l’endroit de la population et la société civile
• Se mobiliser pour dénoncer chaque nouveau cas d’exécutions extrajudiciaires ;
• Dénoncer auprès de la justice et/ou des organisations de protection et de défense des droits de l’homme tous les auteurs d’exécutions extrajudiciaires ;
• Saisir la justice et encourager à porter plainte.
Fait à Abidjan, le 07 Décembre 2016
Pour le Bureau Exécutif du CIDH
Le Président
FONDIO Vazoumana
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