Troisième Partie –
Cette 3e livraison [lire la 2e partie ici] examine les règles de base relatives à l’aménagement et l’organisation des organes d’État, les mécanismes visant à assurer leur renouvellement, mais aussi les modalités de l’acquisition et de la transmission du pouvoir d’État, autant dire qu’elle aborde un domaine extrêmement sensible et fortement polémique, ou des visions et des philosophies différentes s’affrontent. Il ne s’agit plus d’écriture. Si précédemment celle-ci a pu faire l’objet de quelques suggestions, sans tenir compte de ses contraintes de fidélité, dans la traduction de la volonté du pouvoir constituant, et des règles techniques qui lui imposent la sobriété, pour laisser à la Loi, la plus large ouverture possible pour s’exprimer, il s’agit ici, essentiellement d’une analyse critique de l’esprit même du projet de Constitution. Dès lors, les propositions de variantes, seront très économes.
Article 78 : « Le vice-Président de la République agit sur délégation du Président de la République. »
Il ressort de manière manifeste de cet article, que le vice-Président n’exerce aucune fonction exécutive en propre. En dehors de la perspective d’une potentielle succession, le rôle qu’il pourra jouer dépendra exclusivement de la volonté du Président de la République du moment, alors que sa légitimité populaire lui confère un statut de véritable Chef d’État en second. Dès lors, cette disposition peut intégrer cette donnée de la manière suivante :
« Le vice-Président de la République agit sur délégation du Président de la République. Lorsque ce dernier est occupé, absent, ou empêché, il représente l’État de Côte d’Ivoire, partout où de besoin.»
Article 79 : « Le vice-Président de la République supplée le Président de la République lorsque celui-ci est hors du territoire national. Dans ce cas, le Président de la République peut, par décret, lui déléguer la présidence du Conseil des ministres, sur un ordre du jour précis. »
Cet article est étonnamment optimiste et imprudent. En n’envisageant que l’absence du territoire national, comme empêchement temporaire, il développe implicitement l’hypothèse, que ce dernier ne saurait être victime d’un accident violent ou de santé, ou qu’il ne saurait être empêché autrement, pour des raisons personnelles. Par ailleurs, la délégation faite au vice-Président pour suppléer provisoirement au Président de la République, est strictement limitée à un objet précis, alors que ce dernier possède la prérogative de suppléer au Président de la République, de manière générale. Aussi, cette limitation devrait porter davantage sur une durée, que sur un objet, pour bien distinguer ce qui relève d’un empêchement temporaire, d’une impossibilité définitive, incompatible avec la poursuite de l’exercice de la fonction présidentielle (maladie grave, démence, paralysie physique, procédure de destitution). Cette fonction intérimaire, constitue le fondement même de l’institution du vice-Président, et prépare celui-ci à assumer la charge, conformément à sa vocation. Dès lors, pourquoi la limiter à un objet, qui réduit considérablement son champ d’action, alors que le vice-Président exerce dans le cadre de la politique déterminée par le Président de la République (élimination de tout risque de divergence ou de conflit).
Par ailleurs, compte tenu du bicéphalisme de l’exécutif, il importe de donner au vice-Président la capacité effective (imprégnation des dossiers, suivi de l’intérieur de l’action gouvernementale) de pallier sans à-coups, aux insuffisances éventuelles d’un Président de la République diminué (âge avancé, longue maladie) qui peut, parfaitement s’en accommoder, s’il ne souhaite pas démissionner pour autant (se souvenir du cas Houphouet-Boigny en fin de règne). Aussi, nous pourrions avoir la variante ci –après :
« Le vice-Président de la République supplée le Président de la République lorsque celui-ci est empêché, de manière temporaire. Dans ce cas, le Président de la République peut, par décret, lui déléguer la présidence du Conseil des ministres, pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Celle-ci est renouvelable, autant que de besoin.
Durant cette période provisoire, il ne peut changer l’orientation de la politique générale, déterminée par le Président de la République.
Le vice-Président assiste de plein droit au Conseil des ministres. En revanche, il ne prend pas part aux délibérations de celui-ci.»
Articles 81 à 83: « Le Gouvernement comprend le Premier ministre, Chef du Gouvernement, et les autres ministres… Le Premier ministre supplée le Président de la République lorsque celui-ci et le vice-Président de la République sont hors du territoire national »
En accord avec les observations et suggestions précédentes (Cf. contribution N°2), sur la pertinence d’un Exécutif tricéphale, le Gouvernement se composerait uniquement des ministres, nommés directement par le Président de la République et placés entièrement sous sa seule autorité. L’institution du Premier ministre, n’est pas pleinement justifiée dans la pratique (absence de pouvoir réel et d’autonomie), dans la mesure où il ne détermine pas la politique du Gouvernement, surtout dans un régime présidentiel, dont l’option est clairement affirmée dans cet avant-projet de Constitution. Variante proposée dans l’optique de la suppression du poste de Premier ministre :
« Le Gouvernement est composé des ministres. Il est chargé de la mise en œuvre de la politique de la Nation, telle que définie par le Président de la République. Les ministres sont solidaires entre eux, et sont collectivement responsables devant le Président de la République. »
Articles 87 à 92 : « Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales et des Ivoiriens établis hors de Côte d’Ivoire. Les sénateurs sont élus, pour deux tiers, au suffrage universel indirect. Un tiers des sénateurs est désigné par le Président de la République parmi les anciens présidents d’Institution, les anciens Premiers ministres et les personnalités et compétences nationales, y compris des Ivoiriens de l’extérieur et des membres de l’opposition politique »
Nous nous abstiendrons volontairement de nous exprimer sur la pertinence et l’opportunité de la création d’un sénat, dans un État de la taille de la Côte d’Ivoire et des moyens dont elle dispose à cet effet. Ce serait donner trop tôt une opinion sur le fonds du projet. Pour l’instant, nous nous limiterons à une analyse critique de l’institution, telle qu’elle est présentée dans l’avant-projet.
Les Ivoiriens établis hors de Côte d’Ivoire peuvent-ils participer concrètement à l’activité législative de l’institution sénatoriale, tout en résidant à l’étranger (disponibilité permanente) ? La défense des intérêts d’un groupe de personnes auprès des pouvoirs publics, relève ordinairement du monde associatif. Vouloir organiser les Ivoiriens établis hors du territoire national en Assemblées électives, plutôt que consultatives, reviendrait par le jeu des intérêts personnels et partisans, à développer des activités politiques en territoires étrangers. Ce qui n’est jamais une bonne chose, même si d’autres pays, tel que la France, l’ont introduit dans leur Constitution. Faut-il institutionnaliser et pérenniser l’émigration ? Faut-il nécessairement emprunter à des pays qui ne vivent pas les mêmes réalités que nous ?
Les consulats et le Ministère de tutelle, sont compétents pour connaître des questions concernant leur vie et des projets de développement susceptibles d’être mis en œuvre dans l’intérêt commun de la Nation. Ces autorités publiques et les organisations représentatives des communautés concernées, sont déjà supposées assurer, ce lien indispensable, sans qu’il ne soit nul besoin d’un pouvoir légiférant. C’est cet axe structurel d’échange et de coopération qu’il faut améliorer et approfondir (cellules spécialisées), et c’est l’environnement des affaires qu’il faut surtout assainir (élimination des lourdeurs et des barrières administratives, du copinage des politiques, du manque d’intérêt et de réactivité des autorités, des détournements de fonds dans les circuits financiers, de la corruption des agents, etc. …), en vue de permettre d’accueillir des compétences (savoir-faire), des investissements (épargne et transferts) et des projets innovants de la part, de ces communautés. Ce n’est pas une affaire de texte, mais de pratique. Par ailleurs, c’est faire intervenir des intérêts privés dans le fonctionnement du Parlement, qui défend en principe l’intérêt général, à la différence des organisations communautaires, qui défendent essentiellement des intérêts particuliers de type économique, politique, et social, en relation avec leur situation. C’est introduire des particularismes, des distinctions catégorielles, des communautarismes, qui sont autant de discriminations, soient-elles positives. En outre, en tant que composante du Parlement, le Sénat exerce un contrôle sur la politique et l’action du gouvernement, à ce titre, le sénateur est le représentant de la nation entière (Art 96). Est-ce bien la place et le rôle des Ivoiriens de l’étranger ? En admettant par sorte d’hypothèse, que cette proposition soit fondée, le parallélisme de forme eut voulu, que l’Assemblée Nationale leur soit également ouverte, pour les mêmes motifs. Or, tel n’est pas le cas, et la notion de territoire, ne saurait valablement justifier cette absence.
Rien n’est dit sur les corps intermédiaires devant former le Collège Électoral (statut des électeurs et composition), qui doit procéder à l’élection des deux tiers des sénateurs (suffrage indirect), même si une loi organique fixe les conditions de leur éligibilité (Cf. Art 90). Cette dernière ne règle que les questions d’aptitude des candidats (éligibilité, moralité, incompatibilités) et des procédures de leur élection (sincérité, régularité et validité du scrutin).
La notion d’élection, est incompatible avec la notion de nomination, dans une démocratique représentative. Ce caractère représentatif et général fonde la légitimité du système de gouvernement (autorité, contrainte et usage de la force légale). Même si dans la réalité, cette construction est une fiction, il ne demeure pas moins que la représentation est une nécessité fonctionnelle à la démocratie. L’une reflète la volonté du peuple et exprime sa souveraineté, à travers un système de délégation, à l’inverse, l’autre reflète le choix personnel du Président de la République et traduit une concentration de pouvoirs, inconciliable avec la notion d’équilibre des pouvoirs dans une démocratie. Celui-ci peut-il, déléguer le mandat de représentation qu’il a lui-même reçu du suffrage populaire, en nommant d’autres représentants ? Certainement qu’il le peut, mais uniquement pour le représenter lui-même, et déléguer de son pouvoir dans le domaine pour lequel il a été élu, donc à des postes relevant de l’Exécutif. Autrement dit, un tel acte rompt le principe de la séparation des pouvoirs et contrevient à la philosophie du régime présidentiel qui parcourt tout le texte (vacance du pouvoir exécutif assurer désormais par des organes appartenant à l’exécutif uniquement : vice-Président, Premier ministre). Dans une démocratie représentative, « ne sont représentants que ceux qui expriment la volonté du Peuple ou de la Nation, c’est-à-dire du souverain ». Dès lors, que « le sénat assure la représentation des territoires … », il existerait une anomalie flagrante, sous la forme d’une contradiction, si cette représentation, devait cesser d’être représentative à un certain point.
L’idée de faire bénéficier la nation, de l’expérience et des compétences développées par certaines hautes personnalités, est en soi une très bonne chose. La question est de savoir où et comment fixer cet apport ? Dans les différents corps de l’État (Haute administration) les organes consultatifs (Conseil économique, social et environnemental) et techniques, suivant la spécialité des intéressés. L’on pourrait envisager par exemple, un mécanisme constitutionnel prévoyant de manière statutaire, que les anciens Chefs d’État soient membres de plein droit du Conseil Constitutionnel, que les anciens Premiers ministres soient membres de plein droit de la Cour des Comptes, que les anciens Présidents d’Institutions soient membres de plein droit du Conseil économique, social et environnemental, que les anciens chefs d’État-major soient de plein droit membres du Conseil de Sécurité, ainsi de suite. Le principe est d’éviter, autant que possible, des nominations qui pourraient être, sélectives voire partisanes ou arbitraires.
Par ailleurs, l’on a beaucoup de peine à comprendre le sens de l’expression « y compris … les membres de l’opposition » dans le texte. Ceux-ci forment-ils une catégorie de citoyens à part ? La discrimination en raison de ses idées et de son appartenance politiques, n’est-elle pas interdite ? Tous les Ivoiriens ne demeurent-ils pas égaux en droit ? Dès lors, cette mention, souvent répétée, peut surprendre dans une Constitution.
Pour tous ces motifs, des variantes aux principaux articles querellés, peuvent êtres suggérées, sans qu’il ne soit besoin d’en proposer d’autres, pour les articles subséquents, puisqu’ils se répercutent nécessairement et mécaniquement sur ceux-ci, dans l’entendement de chacun.
« Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales. Les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect. Ils sont élus par de grands électeurs. La composition du collège électoral qui les élit, est définie par une loi organique. Les Ivoiriens établis hors du territoire national, peuvent faire acte de candidature, dans les circonscriptions électorales de leur choix »
On observe également à l’article 92, relatif aux immunités parlementaires, l’emploi du terme « arrêté » qui a un sens pénal, plus restrictif (garde à vue, détention provisoire, emprisonnement, réclusion criminelle) que celui de « mesures coercitives » beaucoup plus large, qui en plus des mesures privatives de liberté précitées, comprend les autres mesures de contrainte (mandat de comparution, mandat d’amener, rétention administrative, liberté sous contrôle judiciaire, interdiction de quitter le territoire, interdiction de paraître). Dès lors, lorsqu’un parlementaire fait l’objet de contraintes, autres que la détention, il ne peut être considéré comme ayant été « arrêté » au sens juridique du terme. Ces mesures ne portent-elles pas atteintes, aussi, à la liberté d’exercice de sa fonction, voire de son indépendances ? De surplus, peut-il assassiner ou faire assassiner des personnes, sans qu’il ne soit immédiatement poursuivi, voire arrêté ? Le cas Kieffer et la jurisprudence du cas Simone Gbagbo devrait nous inciter à y réfléchir sérieusement.
« Les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sont respectivement élus pour la durée de la législature. » (Art 89-3)
Variante proposée : « Les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sont élus par leurs pairs respectifs, pour la durée …»
« Aucun membre du Parlement ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de la chambre dont il est membre, sauf le cas de flagrant délit. » ( Art. 92-1)
Variante proposée : « Aucun membre du Parlement ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière pénale, ou encore de manière plus générale, faire l’objet de mesures coercitives, qu’avec l’autorisation de la chambre dont il est membre, sauf les cas de crime d’assassinat et de flagrant délit.»
Titre V, relatif aux pouvoirs du législatif et de l’exécutif, et leurs rapports.
Le texte constitutionnel laisse, d’une manière générale, au domaine réglementaire, l’organisation des services publics, à l’exception de ceux des transports et des télécommunications. Il serait assez logique dans une perspective d’indépendance et de protection de la liberté d’expression, que la réglementation des médias publics (télévisions, radios, et organes de presse) tombe dans le domaine normatif, d’autant plus que leur financement est assuré par des fonds publics. Faute de cette liberté (financière et d’action), ces organes se transforment assez souvent en instruments de propagande pour les gouvernements du moment (contrôle de la ligne éditoriale, déséquilibre de l’information, reflexe d’autocensure pour protéger son emploi ou sa carrière contre le Ministère de tutelle). En effet, l’exécutif dispose par cette compétence exclusive, d’un moyen direct d’influence, de contrôle et d’intervention sur ces médias. Dès lors, le cadre législatif doit primer sur le cadre réglementaire en la matière, et leur protection constitutionnelle doit être renforcée, malgré l’existence d’organes indépendants de régulation. La capacité de ces médias (qualité, liberté et pluralisme démocratique) dépend de leur financement (insuffisance des recettes publicitaires), et des modes de nomination de leurs dirigeants (garantie d’indépendance). Dès lors, des mesures législatives instaurant des obligations fortes pour le respect du principe du pluralisme démocratique, et renforçant les missions de contrôle confiées aux organes de régulation (égalité d’accès, droits de réponse et de rectification, équilibre de l’information, source de financement, concentration), peuvent être envisagées, en établissant des règles et des principes directeurs.
Variante à l’Article 101 : « La Loi fixe les règles concernant : …..l’organisation et le fonctionnement de la presse et des médias en général, et des médias d’État tout particulièrement. »
Art. 104 « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. En cas de désaccord entre les deux chambres, la décision appartient à l’Assemblée nationale.
La guerre étant une affaire que par trop sérieuse, il convient de na pas la confier uniquement aux politiques, et d’élargir son approbation à la « Chambre des Rois et Chefs traditionnels ».
Variante à l’Article 104 : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement, réunie en Congrès, après consultation obligatoire de la Chambre des Rois et Chefs traditionnels. La décision est prise à la majorité des trois quarts du Congrès »
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