Notre projet est de procéder à un examen critique et exhaustif de l’ensemble de l’avant-projet du texte constitutionnel en plusieurs parties, avant de le commenter en guise de conclusion. Cette option se veut contributive, soit à la phase en cours de la retouche finale du texte, soit à l’éclairage de l’opinion, dans la perspective du vote. Ci-après, la seconde partie de cette série. [Lire la 1ere partie ici]
Article 25 : « Les partis et groupements politiques se forment et exercent leurs activités librement sous la condition de respecter les lois de la République, les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie… »
Certaines limitations à l’exercice du droit à la liberté d’association, fondées sur un but légitime et nécessaire (motif impérieux d’intérêt public ou d’ordre juridique) dans un État démocratique, peuvent être envisagées, dès lors qu’elles ne se heurtent pas aux normes internes de protection des libertés politiques et à celles énoncées dans les instruments internationaux et régionaux qu’il a librement adopté. Le cas échéant, elles doivent être énoncées de manière claire et précise dans la Constitution.
Aussi, et dès lors, que les partis et groupements politiques, ont besoin de se doter d’une personnalité juridique, pour obtenir la capacité et la qualité de pouvoir agir pleinement dans de nombreux domaines, en dehors de la sphère strictement politique(acquisition de biens, actions en justice, donations, opérations contractuelles et financières, tenue d’une comptabilité régulière), il leur devient nécessaire, voire indispensable, d’avoir une existence légale, sanctionnée par un acte juridique ou administratif (déclaration d’existence, enregistrement). Cette exigence pose une condition de forme, donc une limitation à leur libre association, tout en leur conférant un statut spécifique, qui les distingue des autres organisations et associations de la société civile.
Il en découle que cet article pourrait être complété, comme suit : « Les partis et groupements politiques se forment et exercent leurs activités librement sous la condition de respecter les lois de la République, les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Ils se font enregistrer légalement, en tant que tels, sur simple déclaration d’existence de leur part. … »
Article 29 : « L’Etat garantit le droit d’opposition démocratique.
Sur des questions d’intérêt national, le Président de la République peut solliciter l’avis des partis et groupements politiques de l’opposition. »
L’esprit de cet article est vraisemblablement inspiré par la volonté de donner un statut particulier à l’opposition, alors que cette dernière peut et doit être accueillie dans la République et y trouver naturellement sa place, à travers les dispositions d’ordre général et de droit commun. Vouloir lui accorder une place et un statut distincts, constitue une rupture du principe d’égalité des partis politiques et des personnes devant la Loi. Il serait même en contradiction avec l’Article 25, Al 2, qui dispose que les partis politiques « sont égaux en droit et soumis aux mêmes obligations ». La notion même de droit d’opposition est très ambiguë, puisque les députés sont réputés libres dans l’expression de leur opinion, et qu’au titre des libertés fondamentales garanties et protégées par l’État, les citoyens ont le droit d’exprimer leurs convictions, leurs opinions, de se réunir, de manifester, et que les groupements politiques qui jouissent déjà de libertés politiques suffisantes pour mener librement leurs activités, ont le droit de faire la propagande de leurs idées. Dès lors, ils disposent de la capacité globale d’influencer un régime dans son ensemble, et de s’y opposer.
Par ailleurs, comment pourrait s’exerce ce droit d’opposition ? Le terme « opposition » en droit, désigne dans son sens procédural, une voie de droit ouverte à une personne physique ou morale, par laquelle cette dernière manifeste sa volonté de faire arrêter l’exécution d’un processus juridique ou judiciaire, ou de s’opposer à un acte ou une décision, en raison d’un défaut de qualité ou d’un vice de procédure. Auprès de qui s’exercera cette saisine ? Et qui statuera sur l’affaire ? L’auteur de la Décision ou l’initiateur de la procédure ? Les limites de cette perspective apparaissent immédiatement. Dès lors, que tout citoyen peut exercer ce droit, devant les juridictions compétentes suivant la nature de l’affaire qui l’occupe, pourquoi en superposer, en créant une confusion entre la politique et le droit ? En effet, tout Ivoirien – en tant que tel, et indépendamment de son appartenance politique – a des droits garantis par la Constitution, inhérents à sa personne, donc opposables en toutes circonstances aux abus du Pouvoir. S’agirait-il alors de la prérogative ou du pouvoir de s’opposer aux décisions politiques, économiques et sociales du Gouvernement et du Parlement ? Suivant quelle voie et auprès de qui ? Ne faisons pas entrer la politique dans le droit. Cela nous a déjà coûté assez cher. En conséquence, cet article pourrait être revu de la façon suivante :
« L’Etat garantit le respect des droits démocratiques de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire, et s’interdit toute forme de répression à son égard, du seul fait de cette qualité, sous la réserve des délits réprimés par la Loi, et des dispositions et restrictions visant à assurer le maintien de l’Ordre Public.
Sur des questions d’intérêt national, le Président de la République peut solliciter l’avis des partis et groupements politiques, et des Présidents des corps constitués, notamment du Parlement et de la Chambre des Rois et des Chefs traditionnels. »
Article 41 : « Les pouvoirs publics sont tenus de promouvoir, de respecter et de faire respecter la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques et de réprimer la corruption et les infractions assimilées.
Toute personne investie des fonctions de Président de la République, de vice-Président de la République, de Premier ministre, de Président ou de Chef d’Institution nationale, de membre du Gouvernement, de membre du Conseil constitutionnel, de parlementaire, de magistrat ou toute personne exerçant de hautes fonctions dans l’Administration publique ou chargée de la gestion de fonds publics, est tenue de déclarer ses biens conformément à la loi. »
Cet article est timide et gagnerait à être précisé en son alinéa I, et à être renforcé par un régime d’incompatibilité, à la suite du deuxième alinéa. Ce qui pourrait nous donner :
« Les pouvoirs publics sont tenus de promouvoir, de respecter et de faire respecter la bonne gouvernance, la transparence, et le contrôle continu, dans la gestion des affaires publiques. Ils ont l’obligation de réprimer, les détournements de fonds, la corruption, les irrégularités et infractions assimilées, lorsqu’ils les constatent, et d’ouvrir une enquête à cette fin, lorsqu’ils en ont connaissance ou en sont saisis.
Toute personne investie des fonctions … exerçant de hautes fonctions dans l’Administration publique ou chargée de la gestion de fonds publics, est tenue de déclarer sa situation patrimoniale et ses intérêts, conformément aux modalités prévues par la loi. Ces fonctions sont incompatibles avec toute activité, exercée personnellement ou par personne interposée, lorsque celle-ci est susceptible d’entrainer un conflit d’intérêt, un abus d’autorité ou de constituer une prise d’intérêt, dans la gestion des affaires publiques. »
Article 55, Al. 3 : « Le candidat à l’élection présidentielle doit jouir de ses droits civils et politiques et doit être âgé de trente-cinq ans au moins. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine. »
Cet article, à la différence des dispositions constitutionnelles de 2000, élimine la limite d’âge, qui était imposée à l’éligibilité des candidats à la fonction de Président de la République. La levée de ladite limitation, se justifie difficilement, car la fonction présidentielle constitue une charge très lourde, qui exige des ressources physiques et intellectuelles en très bon état de fonctionnement pour l’assumer. Or, il est une évidence, que celles-ci déclinent inexorablement et progressivement, nonobstant les progrès de la médicine, en fonction de la croissance de l’âge. Leur altération est plus prononcée et manifeste à partir de 70 ans, en Côte d’Ivoire. Dès lors, cet âge, supérieur à l’âge légal de la retraite, constitue une limite commode et naturelle, pouvant être repris aussi, dans notre droit positif, par souci d’efficacité et de stabilité, d’autant plus que celui-ci n’est plus soumis désormais à un examen médical préalable, pour vérifier qu’il présente état complet de bien-être physique et mental. Ce serait également dans la cadre de la modernisation de l’État, un rajeunissement de la fonction.
La notion d’origine n’étant pas une notion juridique, elle doit être définie très clairement, pour que l’on puisse s’y référer valablement. Cependant, faute de recouvrir une notion de droit, il est fortement recommandé d’abandonner son emploi, d’autant plus que cette exigence, rentre en conflit avec le Code de la Nationalité, et avec toutes les dispositions affirmant le principe rigoureux et inflexible de l’égalité des citoyens devant la loi, et l’interdiction de discriminer en fonction de l’origine historique, de la race, de la culture et de l’ethnie. En effet, il est plus logique, au niveau de la rédaction d’une Constitution, de ne retenir qu’un concept strictement juridique, comme l’est, l’appartenance à une communauté nationale, au sens politique et juridique du terme, de préférence à l’appartenance à une communauté culturelle, qui du reste, ne cesse d’évoluer et de changer dans le temps.
La nationalité est le seul lien juridique qui lie un individu à un État, et la transmission de celle-ci, ne s’effectue que par le sang ou par le sol, et non par la culture ou l’histoire. Pour exemple, le lien culturel et historique que peut avoir un Wêh de Côte d’Ivoire avec un Wêh du Libéria, n’en fait pas un citoyen Libérien, et vis versa. Il en est de même, des Baoulés et des Ashantis du Ghana, ou encore des Sénoufos de Côte d’Ivoire (Kong) et ceux du Mali (Cikasso) ou du Burkina-Faso. Au plus, seul le critère sélectif, de la naissance sur le territoire national, peut être valablement retenu, en addition éventuellement à d’autres critères qualitatifs, comme avoir une expérience significative dans la gestion des affaires, par exemple. Compte tenu de ce qui précède, nous pourrions avoir la variante suivante :
« Le candidat à l’élection présidentielle doit jouir de ses droits civils et politiques et doit être âgé de trente-cinq ans au moins, et de 70 ans au plus. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, et être né sur le territoire national, sauf si ses parents ou l’un d’entre eux, accomplissaient pour le compte de l’État Ivoirien ou à titre privé, une mission ou une fonction officielle à l’étranger, au moment de sa naissance. Il doit résider en Côte d’Ivoire avant l’année de la date de l’élection. Il doit présenter un état complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois médecins désignés suivant les modalités prévues par la Loi. Ces dispositions s’appliquent également au Vice-Président. »
Article 70 : « Le Président de la République nomme le Premier ministre, Chef du Gouvernement. Il met fin à ses fonctions.
Sur proposition du Premier ministre, le Président de la République nomme les autres membres du Gouvernement et détermine leurs attributions. Il met fin à leurs fonctions dans les mêmes conditions. »
Dès lors, que « Le Président de la République détermine et conduit la politique de la Nation » (Art. 64), il n’est plus besoin d’un premier ministre, car celui-ci se trouve de fait, vidé de tout pouvoir réel. Il est un super ministre dont la fonction est d’exécuter les orientations et les décisions du Chef de l’État, en coordonnant l’action gouvernementale. Autant le nommer comme Ministre d’État (rang protocolaire et position d’autorité), chargé de la coordination et de l’animation de l’action gouvernementale. Non seulement, cette approche permet de donner une meilleure cohérence à l’ossature de l’Exécutif, qui comprend déjà un Vice-Président dont les fonctions et le rôle ne sont toujours pas clairement définis, mais aussi, de réaliser des économies substantielles. Ainsi, on pourrait aboutir à une formule toute simple, comme suit :
« Le Président de la République nomme les membres du Gouvernement et détermine leurs attributions. Il met fin à leurs fonctions dans les mêmes conditions. »
Article 73 : « Lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances, après consultation obligatoire du Président de l’Assemblée nationale, du Président du Sénat et du Président du Conseil constitutionnel. »
Cette disposition qui permet de parer immédiatement à la survenance brutale d’une crise majeure (envahissement du territoire national, attaque terroriste répétée ou continue dans la durée, etc.) se justifie en présence d’un exécutif faible (absence d’outils adéquats, faible capacité de réaction) , et non d’un exécutif fort comme c’est le cas dans cet avant-projet de Constitution, doit être mieux encadré, tant dans les conditions de fonds de sa mise en œuvre, que dans l’étendue et la portée du pouvoir exceptionnel qu’il délivre au Président de la République, durant cette période de crise. En effet, l’expérience a démontré à travers notre histoire récente, qu’elle pouvait être mal comprise et mal utilisée.
Aussi, la variante suivante peut être proposée, avec une meilleure articulation des conditions cumulatives de fonds, et une définition précise des objectifs visés, qui en constituent la limite :
« Lorsque d’une part, les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que d’autre part, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances, après consultation obligatoire du Président de l’Assemblée nationale et du Président du Sénat.
Il fait constater par le Conseil constitutionnel, d’une part, l’existence des éléments de la crise et que les conditions lui permettant de prendre des exceptionnelles sont réunies.
Il ne peut durant cette période ni réviser, ni suspendre, ni outrepasser la Constitution en tout ou partie, au motif de ces circonstances exceptionnelles.
Le Conseil constitutionnel doit être consulté pour chacune des mesures prises par le Président de la République dans ce cadre.
Les mesures qu’il prend, ont pour but, d’une part d’assurer efficacement la défense et l’indépendance de la nation, et d’autre part, de rétablir les pouvoirs publics constitutionnels, ou de leur procurer, les moyens adéquats pour accomplir leurs missions régaliennes dans ces circonstances de crise.
L’application de ce régime exceptionnel ne peut excéder une durée de trois mois. Celle-ci peut être prorogée ou renouvelée, autant de que de besoin, selon la même procédure de consultation préalable.
SOUMAREY Pierre Aly
Auditeur, Essayiste, Ecrivain
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