Par Serge Alain Koffi
Le Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, a démenti samedi s’être attaqué dans des propos relayés jeudi par la presse ivoirienne à l’ancien Premier ministre, Charles Konan Banny, candidat déclaré à la présidentielle d’octobre.
“Je suis le premier surpris par la supposée réaction du Premier Ministre Charles Konan Banny, semble-t-il, aux propos que j’aurais tenu le concernant (…) Mes propos n’ont jamais visé M. Konan Banny’’, a affirmé Guillaume Soro, sur sa page facebook.
Mercredi, à l’occasion du lancement d’une caravane visant à soutenir la candidature de Alassane Ouattara à la présidentielle, Guillaume Soro en a profité pour titiller les adversaires du chef de l’Etat ivoirien.
“Ce n’est pas parce qu’on vous applaudi que vous allez penser que vous avez un destin présidentiel. Ce n’est pas parce que dans un meeting, on t’applaudi que tu vas dire que tu peux diriger la Côte d’Ivoire. Pour diriger un pays, il faut y travailler mais, il y a une part de divinité’’, avait-il déclaré.
La presse s’en est fait un large echo, l’accusant de s’en prendre aux principaux adversaires de M. Ouattara au prochain scrutin présidentiel, notamment M. Banny et l’ancien ministre des Affaires étrangères, Essy Amara.
En tournée politique en Europe, Charles Konan Banny a apporté la réplique, en invitant Guillaume Soro, ancien chef de l’ex-rébellion qui a occupé pendant près de dix ans le nord du pays, à aller répondre de ses “crimes’’ et “des casses des succursales de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest)’’.
Si Guillaume Soro, dans sa réaction, dit avoir “beaucoup de respect pour’’ Charles Konan Banny, avec lequel il a “jusqu’alors entretenu d’excellentes relations’’, il assure cependant prendre “bonne note de la virulence’’ de la réaction de l’ancien Premier Ministre.
Guillaume Soro a été tour à tour ministre de la Communication, ministre d’État, de la Reconstruction et de la Réinsertion dans les gouvernements dirigés par M. Banny entre décembre 2005 et mars 2007.
SKO
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Charles Konan Banny : de l’ambition démesurée à l’irresponsabilité politicienne
Une tribune internationale de Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie, Paris, France
Décidément, l’abîme qui sépare l’homme politique du politicien se fait chaque jour plus grand en Côte d’Ivoire. Servir l’intérêt général, telle est la finalité du politique : une vocation, un sacerdoce publics. Se servir du peuple comme marchepied pour ses pulsions égocentriques, telles sont les bornes mentales du politicien : il fait alors feu de tout bois, tous les moyens étant bons pour lui s’ils sont efficaces. Lâcheté suprême ! Quand un homme ne prend son courage à deux mains que dans les circonstances qui paraissent lui être profitables, il y a deux hypothèses légitimes à son sujet : soit c’est un égoïste, soit c’est un lâche. Dans le premier cas de figure, il va de soi que ce sont sans doute les conséquences d’un narcissisme fort ancien et mal soigné qui s’expriment maladroitement ainsi. Dans la seconde hypothèse, notre personnage est en réalité un profiteur de circonstances, qui sèche sa chemise du côté où se trouve le soleil et couvre de louanges suspectes car flatteuses, ceux qui lui en octroient le plaisir fugace. Comment douter que les descriptions qui précèdent correspondent particulièrement au personnage de Charles Konan Banny, ancien président de la Commission Vérité et Réconciliation, ancien et très éphémère premier ministre de Côte d’Ivoire, ancien gouverneur de la BCEAO ? Epluchant les prises de position et propos à la limite de la truculence, que le désormais candidat libre à la présidentielle ivoirienne 2015 délivre à volonté à travers les médias ivoiriens et internationaux, je voudrais montrer qu’un esprit perspicace et lucide ne manquera pas de reconnaître trois constantes : 1) Charles Konan Banny est un personnage politique hypocrite, lâche et inconstant dans ses prises de position publiques ; 2) La candidature de Charles Konan Banny à la présidentielle 2015 n’a rien d’original, tant du point de vue de sa vision politique que de sa capacité pragmatique à transformer la Côte d’Ivoire ; 3) Charles Konan Banny n’a qu’un rêve : dépouiller le FPI de son électorat en passant pour l’intime de Laurent Gbagbo et inscrire éventuellement la fonction de Président de la République dans sa mythologie narcissique personnelle. Je m’attacherai dans les lignes qui suivent à étayer les trois constantes sus-évoquées.
Hypocrisie, lâcheté, inconstance du politicien
Comme il se plaît à le reconnaître lui-même, toute la carrière professionnelle et politique de Charles Konan Banny a été faite de nominations, jamais d’élections. Or qui nomme-t-on volontiers sous nos tropiques ? Pas seulement des gens compétents, mieux, pas nécessairement. Avant tout, on nomme des gens fidèles, loyaux envers celui qui les nomme, à qui ils retourneront ainsi l’ascenseur en veillant à ses intérêts. Gouverneur de banque, Premier ministre, Président de la CDVR, on n’a jamais entendu Charles Konan Banny broncher contre ceux qui l’ont nommé, parce qu’il savait leur devoir tout et n’avoir, par lui-même, aucune légitimité politique ou démocratique. D’où vient-il donc que celui qui doit tout à Houphouët, à Bédié, à Gbagbo, puis à Ouattara, bref celui-là même qui doit tout aux autres se présente comme valable en soi alors que jamais dans sa carrière due, il ne prit le risque d’affirmer une personnalité, une vision, un caractère propres ? Comment vouloir présider à la république de Côte d’Ivoire alors qu’on n’a jamais pris le moindre risque pour ce pays quand il en était temps ? Comment utiliser le contenu de fonctions exercées grâce aux nominations gracieuses pour contester ceux qui vous les ont octroyées ? Cela s’appelle de l’hypocrisie incarnée et même de l’ingratitude.
Il y a pire pourtant chez Charles Konan Banny. La lâcheté : premier ministre sous Laurent Gbagbo, on a vu la mollesse de Charles Konan Banny devant les oukases du chef des frontistes, qui l’humilia matins et soirs avec constance, avant de reconnaître que de tous les premiers ministres qu’il avait eus, ce n’était ni Pascal Affi N’guessan, ni Seydou Diarra, ni Charles Konan Banny, mais l’ex-Chef de la rébellion ivoirienne, Guillaume Soro, qui fut le meilleur. L’inconstance de Charles Konan Banny vient parachever le portrait de l’homme, louvoyant désormais entre les lignes du PDCI-RDA, du RHDP et du FPI, à la recherche de soutiens aussi contradictoires qu’imaginaires, pour un seul but : être lui aussi président de la république de Côte d’Ivoire. Fâcheuse obsession ! Où était Charles Konan Banny quand l’ivoirité divisait ce pays dans les années 90 ? Au diable vauvert. Qu’a t-il dit, fait, écrit de bon pour éviter à son pays la descente aux Enfers de la discrimination nationalitaire, puis criminelle inspirée par cette idéologie perverse ? Rien qui vaille. Où était Charles Konan Banny quand le pouvoir FPI transformait les Ivoiriens du Nord, les étrangers ouest-africains, les citoyens français en victimes expiatoires quotidiennes de sa xénophobie et de sa haine ? Il faisait le mort. Chaque fois que la Côte d’Ivoire a frôlé l’Apocalypse, cet homme s’est défilé comme une éclipse, pour ne réapparaître que quand on redistribue des postes. Qu’on nous trouve donc les photos, vidéos ou textes de Charles Konan Banny dirigeant une manifestation, une marche, une action de résistance radicale au mal dominant, quand la Côte d’Ivoire avait besoin d’engagements ! Où était Charles Konan Banny quand on arrêtait Gbagbo le 11 avril 2011 ? Bien au chaud. Où était-il quand on le transférait à La Haye ? Tranquille, à s’occuper du budget de sa CDVR. Pourquoi Banny, alors premier ministre, n’a-t-il pas lui-même conduit à sa fin l’enquête sur le casse de la BCEAO à Bouaké alors qu’il en désire absolument les conclusions aujourd’hui ? Quel finaud ! Toujours à vouloir passer entre les gouttes de la pluie, dans une logique exagérée du Gblê. Non ! On ne peut diriger légitimement et utilement une nation pour laquelle on n’a jamais rien risqué et dont on s’est régulièrement engraissé. Or donc, il apparaît clairement que Charles Konan Banny fait partie de ces gens qui ne parlent pas tant qu’ils ont la bouche pleine, voire qui ne parlent que pour de nouveau la remplir. Les insatiables mangécrates de nos tropiques.
De la vacuité substantielle d’une candidature
Longtemps après avoir été nommé à tous les postes dont il se gargarise volontiers au lieu de multiplier des actes de reconnaissance, Charles Konan Banny se pique désormais du noble désir d’être élu. Soit, devrait-on dire. On se serait au moins attendu que l’homme commençât par vouloir être député de quelque circonscription, pour tester sa popularité dans un microcosme de la nation. Que non. Banny se voit au pinacle comme le signale d’ailleurs un de ses plus beaux lapsi à la fin d’une interview donnée à la Chaîne Web Events News TV, le 16 mars 2015 en Europe : « Je suis président de la république … Oh pardon, je ne le suis pas encore ». Nous avons tous le droit de rêver, soyons indulgents. Candidater à la présidentielle, dans une démocratie, n’est ni une contravention, ni un délit, ni un crime. C’est un acte légal et légitime de citoyenneté qui ne fera scandale que dans les esprits monomaniaques habitués à vivre en autocratie et allergique au fonctionnement pluraliste des démocraties modernes. Que Charles Konan Banny veuille donc être président de la république de Côte d’Ivoire, c’est parfaitement son droit en tant que citoyen de son pays et nul esprit sensé ne le lui contestera. Cela en rajoutera du reste à la valeur pluraliste de la campagne et à la crédibilité du système démocratique ivoirien. Pourtant, s’en tenir là, n’est-ce pas ignorer le fond du problème au nom d’un formalisme démocratique plutôt candide?
Il faut sérieusement s’intéresser à la substance de la candidature de Charles Konan Banny. On découvre alors le pot aux roses. Que de contradictions dans le projet de notre politicien ! Banny reconnaît que la politique économique et la politique internationale du président Ouattara, dont il est lui-même par ailleurs comptable en tant qu’ancien président d’institution et en tant que membre du PDCI-RDA, est celle qui devrait être menée. A propos de la politique économique et de la politique internationale du président Ouattara, qui pratique un libéralisme social d’une part et d’autre part une diplomatie de la solidarité proactive entre peuples, Etats et Institutions Internationales, Charles Konan Banny qu’on n’a jamais vu briller sur ces sujets par le passé, avoue cependant sur Events News TV : « Je ne ferai pas plus mal que ce qu’ils font ». A quoi sert-il donc de vouloir remplacer une équipe qui gagne déjà les batailles essentielles de la nation ? Le manque de pugnacité des interrogateurs se dévoile ici dans leurs silences.
Mais peut-être est-ce plutôt parce que Banny croit pouvoir damer le pion au régime Ouattara sur les plans de la justice politique et des enjeux de la réconciliation nationale. L’homme prétend donc retourner à l’envoyeur ce qu’il considère lui-même comme sa nomination « piège » par le président Ouattara à la tête de la CDVR. Quels sont donc les arguments de Banny pour croire que les conclusions de la CDVR plaident pour l’habiliter à diriger le pays à l’issue des élections 2015 ? Ils sont globalement au nombre de trois : 1) La culpabilité collective supposée établie des camps Ouattara et Gbagbo par le rapport de la CDVR ; 2) L’absence d’une justice équitable pour tous sous le régime Alassane Ouattara ; 3) La légitimité absolue du PDCI-RDA, et en son sein de ses « irréductibles » qui n’ont trempé avec aucun des camps en conflit.
A notre connaissance, le rapport de la CDVR souffre précisément d’un vice de méthode, lié à l’intention originelle de Charles Konan Banny d’instrumentaliser ledit rapport pour ses ambitions présidentielles. Quel est le vice insidieux de ce rapport ? Il met sur le même plan les acteurs du régime Gbagbo, qui a provoqué la crise postélectorale 2010-2011 et les acteurs du régime Ouattara, qui ont agi en légitime défense contre l’agression perpétrée par le régime du FPI contre la souveraineté populaire ivoirienne. Banny a donc largement contribué à confondre dans le même lot, victimes et coupables, agresseurs et résistants en légitime défense. Or donc, si le coupable de la crise postélectorale 2010-2011, c’est le régime de Laurent Gbagbo, c’est toute la pseudo-démonstration du manipulateur de la CDVR qui s’écroule. Rétrospectivement, on ne pourrait dès lors, que suggérer au Président Ouattara de se méfier pleinement du rapport de la Commission-Banny, eu égard aux intentions actuellement révélées par ce commissionnaire au double langage. La CDVR, décidément, est morte-née des ambitions démesurées de Charles Konan Banny. Et dire que 16 milliards de fcfa se sont ainsi envolés !
Banny s’attaque en outre aux conclusions actuelles de la justice ivoirienne qu’il propose de désigner désormais, non pas seulement comme une justice des vainqueurs, mais comme « une justice aux ordres ». Comment comprendre que quelqu’un qui a volontiers accepté de travailler sous les ordres du président de la république conteste la légitimité des institutions judiciaires du pays qu’il a pourtant contribué à cautionner ? La contradiction flagrante de Banny est d’autant plus odieuse qu’elle s’accompagne d’une amnésie tactique presque piteuse. Elle est donc aux ordres, la justice ivoirienne, quand on libère 14 soldats FDS jugés pour l’assassinat présumé des populations d’Abobo et déclarés finalement non coupables ? Elle est aux ordres quand tous les acteurs secondaires de la direction du FPI écopent de peines symboliques en raison de leur non implication directe dans la chaîne hiérarchique qui a orchestré la crise postélectorale ? Elle est aux ordres, la justice ivoirienne, quand elle condamne fermement Madame Gbagbo qui se targuait elle-même d’être la véritable numéro 2 du régime de son époux, se présente avec arrogance au Tribunal et refuse de reconnaître son rôle funeste dans la radicalisation criminelle de la Refondation ?
Banny prétend enfin que le PDCI-RDA, pourtant parti autrefois doctrinaire de l’ivoirité avant le FPI, se partage désormais entre les Suiveurs de l’Appel de Daoukro et les Irréductibles dont il se proclame le chef, face au Président Bédié. Rappelons cependant que Banny doit toute sa carrière passée à ses talents de suiveur…Mais qui reste-t-il derrière et que reste-t-il derrière Banny ? Comment comprendre que Banny se croit encore majoritaire dans le PDCI-RDA alors que l’écrasante majorité des militants et députés de ce parti à régulièrement suivi et soutenu les orientations décisives données par le président Bédié lors des deux derniers congrès décisifs de cette formation politique en 2013 et en 2015 ? Dans l’art de la politique fiction, on a rarement vu mieux. La candidature unique du président Ouattara, tant contestée aujourd’hui par le nouvel « irréductible » Banny, n’est pas une entorse au RHDP, mais une réforme pragmatique du RHDP au regard de son expérience de cogestion du pouvoir depuis la présidentielle 2010 gagnée par le président Ouattara. Comptable du bilan Ouattara, le PDCI-RDA, dont le président Ouattara est issu comme le RDR, ne saurait se tirer lui-même une balle au pied en 2015, en critiquant une mandature à laquelle il a lui-même contribué. Ainsi, au fond, Banny a dû parier sur autre chose pour se lancer dans cette campagne présidentielle. Car au PDCI, c’est trop dire que Charles Konan Banny ne détient que quelques miettes électorales. Mais sur quoi fantasme-t-il donc au juste ?
Le rêve fou de Charles Konan Banny : ravir l’électorat du FPI de Laurent Gbagbo
Comment faire de miettes électorales une majorité présidentielle ? Après le miracle chrétien de la multiplication des pains, voici celui de la multiplication bannyenne des miettes électorales. Charles Konan Banny se voit en dépositaire du plus grand miracle politique de l’an 2015 en Côte d’Ivoire. Comment ? Notre homme, qui n’est pas fou même s’il rêve follement, a certes perdu tout espoir de régir le PDCI-RDA, le président Bédié l’ayant étalé à plate couture. En outre, Konan Banny n’a aucune chance d’obtenir une seule voix de l’électorat du RDR. Que faire dès lors, quand on croit mordicus en sa propre étoile ? Miser sur l’hypothèse la plus absurde, comme le joueur de cartes obsédé abattrait une carte quelconque en croyant avoir ainsi un joker. Charles Konan Banny a décidé de jeter son dévolu sur l’électorat du FPI de Laurent Gbagbo qu’il n’a jamais autant caressé dans le sens du poil. Multipliant à volonté des anecdotes médiatiques sur son intime fraternité avec Gbagbo, pleurant publiquement à chaudes larmes de crocodile la mère défunte de l’ex-président ivoirien, jurant qu’il s’est toujours opposé à son transfert à La Haye par amour pour la Côte d’Ivoire, Banny se présente désormais comme celui qui aime le FPI plus que le FPI ne s’aime lui-même. Mieux encore, Banny disculpe volontiers l’électorat frontiste des crimes commis par les dirigeants du FPI, comme si Gbagbo avait pu agir aussi criminellement sans l’appui de larges franges de l’opinion et de la population acquises à sa cause. Ainsi faisant, Banny ne devient-il pas le nouveau parrain du camp de l’ivoirité ? Ce faisant, Banny ne devient-il pas comptable du bilan calamiteux de la Refondation qu’il n’aura jamais réellement affrontée ni contestée ? Voilà comment Charles Konan Banny passe allègrement de l’ambition démesurée à l’irresponsabilité politicienne. Une bien mauvaise nouvelle pour la démocratie ivoirienne…Sauf à prendre les électeurs du FPI et en particulier les partisans de Laurent Gbagbo pour des idiots, ce que je ne suis pas près de croire !
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