La Côte d’Ivoire à l’épreuve du temps: défis et contraintes [3e partie et fin]

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Dr. Pierre Soumarey

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2 – Dimension économique de la crise

Une crise économique exceptionnellement longue s’installe vers la fin des années 80, qui après s’être stabilisée vers les années 9O, se dégrade à nouveau à partir de 1999, en raison du contexte d’insécurité et d’instabilité politique du pays.

Sous la direction du Président Félix Houphouet-Boigny, l’essor fulgurant de l’économie de la Côte d’Ivoire, durant les deux premières décades qui suivent son indépendance en 1960 (croissance soutenue de 7% sur une vingtaine d’années consécutives, de 1960 à 1980 : 10% de 1960 à 1965 ; 7% de 1965 à 1975 Cf. Gabriel Rougerie, Encyclopédie Générale de la Côte d’Ivoire, le milieu et l’histoire, Nouvelles Éditions Africaines, 1.978, P. 723), est porté par les recettes d’exportation de son agriculture (principalement le café et le cacao). Le pays fait un bond prodigieux dans le développement, on parle de miracle Ivoirien, mais la politique de prestige et de gaspillage qui l’accompagne, ruine les ressorts de cet élan, dès que les premières difficultés apparaissent à partir de 1980. Ce modèle économique de type colonial (se résumant à l’exportation des cultures de rente, sans transformation locale significative) montre rapidement ses limites. Il s’essouffle et marque un arrêt brutal, qui va durer de 1980 à 1990 (détérioration des termes de l’échange, endettement sur-capacitaire, déséquilibre sectoriel, mauvaise gouvernance, notamment dans les choix stratégiques, car si les résultats économiques précédents sont globalement positifs, l’économie reste extravertie et profondément dépendante).

Dès lors, le bilan économique du PDCI-RDA, le Parti Unique au service d’un pouvoir exclusif, est remis en cause et contesté, c’est le temps syndical, on passe du syndicalisme unifié (UGTCI) au syndicalisme unitaire et autonome (Synesci, Synares et autres). Les tabous tombent, et la pensée unique est brisée. On constate que le béton n’est pas productif, il flatte, mais gèle les ressources financières. On réalise qu’une dette excessive (3.500 milliards CFA) pèse sur le budget et hypothèque l’avenir. L’État n’a pas su capitaliser les fruits de sa croissance, et a dilapidé l’essentiel de ses ressources financières, de manière irresponsable (abus de confiance, abus de biens publics, dépenses somptuaires, évasion des capitaux mal acquis, dans des paradis fiscaux dont la Suisse, etc.…..).

La contestation s’amplifie plus particulièrement durant la période allant de 1985 à 1990, car la pression du FMI, contraint le gouvernement à une série de mesures impopulaires : blocage et réduction des salaires, licenciements massifs, flambée des prix (denrées de base + 50% et hausse généralisée des prix avec une inflation à 15 %), suppression des baux administratifs, des bourses d’étude, et de la gratuité des frais de santé, augmentation des impôts et taxes dont le relèvement ( TVA + 43%) pénalise la consommation. Durant cette période de restrictions, où le pouvoir d’achat chute vertigineusement, il est mis en évidence, par différents audits, des détournements de fonds publics (surfacturation, abus dans les sociétés d’État et les banques). À côté de cette gabegie, il est constaté une confiscation du capital et un enrichissement sans cause, où 10 % de la population, possède par des moyens répréhensibles, en toute impunité, 50% de la richesse nationale. Cette opulence insolente crée une fracture sociale entre la nouvelle bourgeoisie locale et les classes laborieuses. Le peuple de gauche est né.

C’est le temps de la dénonciation et des scandales financiers. Le FPI y prendra une part active. En effet, dans sa stratégie, l’opposant Laurent Gbagbo, avait réussi à s’exiler volontairement, en vue de diffuser et publier librement les informations, relatives à ces scandales à partir de la France (MID), alors qu’elles étaient transmises depuis le pays. Le FPI avait donc réussi à infiltrer le système de l’intérieur, il avait pénétré l’appareil d’État, où il possédait déjà de nombreuses sympathies, complicités, et solidarités. En composant avec la bourgeoisie locale et le grand capital, pour se donner les moyens de ses objectifs, il était dans le schéma marxiste de la prise du pouvoir. Ce n’était plus qu’une question de temps. Le système était lézardé de l’intérieur, il était fragilisé par la contestation, son symbole le plus fort était écorné (un homme de la stature de Félix Houphouët-Boigny, s’est révélé être un gestionnaire imprudent et laxiste, même si cela ne change rien à ses immenses qualités humaines et d’homme d’État), il pouvait donc tomber à tout moment. C’est cette même stratégie d’infiltration et de connexion, à des variantes près, qui aura raison du Général Guéï. La liberté s’arrache, c’est un combat. Il a un visage désormais : Laurent Gbagbo, élevé au rang d’icône.

Pour la survie de son pouvoir, le Président Houphouët qui n’avait pas supprimé dans la Constitution, les dispositions prévoyant le multipartisme, anticipe et libéralise le régime, en deux temps. Nous passons de la démocratie à l’Ivoirienne (le PDCI-RDA n’a plus le monopole de l’investiture des candidats aux élections) à la démocratie plurielle, réhabilitant ainsi le multipartisme intégral. Dans son génie politique, il s’emploie à récupérer à son profit, le mouvement sociopolitique qui lui fait front de toutes parts, en prenant l’initiative, afin qu’il ne réalise point ses objectifs, à son détriment, en donnant l’impression de le commander (voir le prince de Machiavel). Il s’arrogera l’initiative et la paternité du multipartisme, d’autant plus qu’aucune instance nationale ne l’y obligeait, sinon sa capacité d’écoute et son sens des responsabilités (Journées nationales de dialogue à la place et lieu d’un Conseil National contraignant comme ailleurs).

Toute l’Afrique connaît à la même période, une situation plus ou moins semblable, et est placée, sous la pression des programmes d’ajustement structurels du FMI. C’est la faillite d’un modèle économique, d’un modèle politique de gestion, d’un mode de gouvernance, et d’une forme de coopération et d’assistance. Contrairement à la Côte d’Ivoire, la majorité des États en sont aux conférences nationales souveraines. C’est le temps des gouvernements d’union nationale, avec à leur tête des technocrates à la compétence reconnue, pour la plupart, issus de l’école américaine, du secteur bancaire et de la finance internationale. Avec la réorientation des politiques d’aide au développement prônant la bonne gouvernance, les pouvoirs sont obligés de composer avec leur opposition. Même le très fermé système soviétique, connaît la perestroïka (restructuration) et la glasnost (transparence) introduites par Gorbatchev en 1985. L’Occident qui triomphe de la guerre froide, célèbre partout dans le monde, la supériorité, le mérite et les bienfaits des libertés démocratiques et de la bonne gouvernance. Le monde libre est désormais occupé par les conséquences de l’effondrement du bloc de l’Est, et pousse vers plus de liberté et de transparence dans les affaires publiques et les relations internationales. C’est le nouveau modèle. En France, l’arrivée des socialistes au pouvoir, avec l’élection du Président François Mitterrand (1981), va encourager le mouvement démocratique africain (discours de la Baule 1.990) et redéfinir le sens de sa coopération (Jean-Pierre Cotte). Ce mouvement historique mondial, a de profondes répercussions sur l’Afrique. Il impacte les soutiens des régimes en place, et précipite leur libéralisation.

En dépit de la tempête qui souffle, le régime Houphouet-boigny résiste et se maintient, mais la réalité du pouvoir a changé de mains, avec la santé déclinante de ce dernier. Aussi, le brillant Premier Ministre qu’il a offert à la Côte d’Ivoire, en la personne d’Alassane Ouattara, décide désormais tout seul et assoit, avec son aval, son empreinte et son autorité sur le système. L’exercice du pouvoir suscitera chez ce dernier, des ambitions politiques qu’il n’avait pas au départ (l’appétit vient en mangeant-Boileau). L’action de ce dernier stabilise la situation et permet d’éviter le pire. Le redressement est en marche.

Néanmoins, la croissance réelle est dégradée et reste très basse, même si elle redevient significative (+ 6 %) à partir de 1994 (effet mécanique de l’ajustement structurel du franc CFA) avant de plonger dans le rouge en 1999 (- 3%) sous le Général Guéï. Dès lors, les acquis de l’ère Houphouët-Boigny, notamment en matière de développement humain et d’infrastructures sociales (formation, routes, écoles, hôpitaux, eau potable, électricité, etc.), sont définitivement perdus, faute d’entretien, de renouvellement et d’extension. L’élan de prospérité est brisé, il faudra tout recommencer, dans un contexte nouveau et très difficile.

Ce raccourci ne doit pas donner à penser que rien n’a été fait par les successeurs du Président Houphouet-boigny. Cela veut tout simplement dire, que l’ensemble de leurs efforts cumulés, s’est avéré insuffisant à redresser et améliorer cette situation, quelles qu’en soient les explications ou les motifs. En effet, le niveau de croissance de 2000 à 2010 (1 à 2 % par an) est resté nettement en dessous du taux de croissance démographique (3 à 4%) et du niveau de l’inflation (2 à 4 %). L’État avait atteint le point de rupture d’une part, avec les Institutions de Bretton Woods (BM et FMI) et l’UE (scandale financier), et d’autre part, sa trésorerie ne lui permettait plus d’honorer convenablement ses engagements (Dette Extérieure et surtout Intérieure), ni de faire face à ses dépenses incompressibles d’investissement de maintien et d’entretien courant. C’est un État potentiellement en faillite, qui va s’écrouler et disparaître à la circonstance de l’affrontement militaro-politique de 2010 (Tout l’appareil de production et le système bancaire sont sévèrement touchés, tandis que l’administration très corrompue, s’effondre en raison d’un exil massif).

Le bilan de cette période de troubles, d’instabilité, de rébellion et de guerre est catastrophique. Les casses répétées de la BCEAO à Abidjan (crise électorale) et de ses agences à l’intérieur du pays (rébellion), ont un coût (Remboursement à l’Institution communautaire des liquidités et avoirs soustraits). La guerre a un cout direct (distraction et pillage de certaines richesses agricoles et minières pendant plusieurs années, manque à gagner du à la séparation des caisses de régie, reconstruction des équipements détruits, fonds d’indemnisation des victimes civiles et institutionnelles, etc…) et indirect (budget de la Commission Réconciliation, Budget ADDR, intégration et reclassement des ex-combattants, cout des accords APO prévoyant un système sécuritaire surdimensionné et budgétivore, alors que nos premiers défis sont économiques et technologiques). Dès lors, les Ivoiriens, d’une manière ou d’une autre, auront à en payer le prix (coût de la guerre, coût d’une décennie de troubles et d’instabilité, coût de la réforme, cout de la gabegie et du pillage de l’économie, cout de la reconstruction). Ils seront également appelés en comblement de passif (remboursement des dettes) et des différents déficits qu’ils ont creusé : alimentaire, structurel, administratif et institutionnel. Il ne s’agit pas de situer des responsabilités, mais de pointer des faits objectifs. Ce poids grève la célérité de la relance et entrave la satisfaction immédiate des besoins des Ivoiriens dans de très nombreux domaines. Tout est à reconstruire, et cette action s’inscrit dans la durée.

3 – Dimension sociale de la crise

De manière concomitante à la crise économique et politique, l’évolution démographique, va venir majorer la complexité de la crise, par son impact sur l’économie et les relations humaines. Comme tous les pays sous-développés la pyramide des âges de la Côte d’Ivoire, est très jeune (plus de 50% avec 43 % de la population en dessous de 15 ans en 1998) avec une croissance rapide (le taux de croissance annuelle est estimé à 2, 4 % en 2010) dont la vitalité va entrainer un accroissement sans précédent de la population sur un laps de temps très court (30 ans, soit une génération), qui modifiera son comportement pour s’adapter à son nouveau environnement (compétition, promiscuité, survie). Pendant ce temps, le taux d’immigration atteint 26 % en 1998 et approche les 30% en 2010 (attendre les résultats du dernier recensement pour confirmation). Ce phénomène migratoire résulte du poids économique du pays dans la sous-région, qui en fait un pôle naturel d’attraction. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire est un carrefour migratoire, dans son histoire et sa tradition. Cette nouvelle donne, en l’absence d’une véritable politique d’intégration (évaluation des tendances, prévision, planification, mesures d’accueil, d’accompagnement et d’insertion) n’est pas sans poser des problèmes, notamment en matière d’emploi, d’habitat, de voirie, de répartition (géographique et sectorielle), et de foncier. Malgré une contribution significative de l’immigration, à la création de la richesse nationale, son importance quantitative influencera les affects des populations autochtones, qui commenceront à se sentir de plus en plus envahies, par ce brusque afflux. L’ivoirité est primitivement, un sentiment populaire et diffus, un état psychologique, que le politique exploitera, plutôt que de les raisonner, les rationaliser et de les rassurer.

Le président Houphouët-Boigny a eu à gérer dans la paix et la stabilité, une période de prospérité relative, avec une population allant de 3 millions en 1960, à 13 millions d’habitants à sa mort, en 1993. Dans de telles conditions la cohabitation ne posait aucun problème. Les données ont beaucoup évolué depuis cette époque. Cette population est passée à 16 millions en 1998 et à 24 millions en 2012 suivant les recensements et estimations de l’Institut National de la Statistique. Elle est passée du simple au double, dans un contexte difficile et conflictuel, alors que dans le même temps, le PIB par tête d’habitant a régulièrement décru depuis 1980 (1.215 dollars en 1980, 816 dollars en 1993, pour atteindre son plus bas niveau en 2OOO avec 655 dollars par tête d’habitant). C’est une baisse significative du Revenu des ménages qu’il nous est donné de constater durant les années qui suivent. Le revenu moyen a été réduit de moitié, par rapport à 1980, tandis que la population a doublée, nécessitant un doublement des investissements socio-économiques pour maintenir la même qualité de vie qu’en 1980. Nous retrouverons à peu près le même niveau seulement qu’en 2010 (1.128 dollars) soit 30 ans après. Nous dépasserons ce cap indiciaire qu’en 2013 (1. 332 dollars/tête d’habitant). Il ressort de ce constat, que c’est 30 ans de retard et de recul que la Côte d’Ivoire a enregistré, sans prendre en compte les effets de l’érosion monétaire, due à l’inflation. Toute crise a ses boucs émissaires, souvent l’étranger. C’est ce reflexe de crise, qui se développera dans les milieux illettrés et précarisés, mais aussi politiques, voire intellectuels, par démagogie, opportunisme, et aversion viscérale.

Si l’immigration était hier acceptée (sous le Père de la Nation F. Houphouët-Boigny), voire recherchée (mobilisation des compétences sous régionales, Main d’œuvre bon marché) il est apparu au fil du temps, qu’elle était en réalité tolérée, tant qu’elle n’était pas visible (docile, malléable, numériquement faible et infériorisée par dévalorisation) et qu’elle ne se prévalait pas de droits. En le faisant elle déclenchera la mécanique du passage de l’indifférence à la différence, puis de la différence à la discrimination. Cette dernière débutera par la production de stéréotypes négatifs (renégats, envahisseurs, spoliateurs, expropriateurs, colonisateurs, parasites) et d’un discours plein de sous-entendus qui font sens (mainmise, péril, indépendance, souveraineté, étranger). L’intolérable est apparue, lorsque la descendance de cette immigration, par un comportement déviant, a osé exprimer une prétention au pouvoir et à des positions dominantes dans la société, au détriment des ivoiriens réputés authentiques ou de souche. La réaction réflexive a été le concept d’ivoirité pour y mettre un frein, tant au plan culturel, économique, que politique. Un concept de peur, de repli, et de fermeture. C’est la légitimation du modèle de l’anti-intégration et de la marginalité. Le partage du pouvoir, de l’habitat et des terres, va envenimer les rapports, et la cohabitation, naguère pacifiques, entre les autochtones et les nouvelles ethnicités de l’anté et de la post-colonialité. Désormais selon ce concept novateur, l’assimilation et l’intégration ne sont ni légitimes, ni autorisées en Côte d’Ivoire, en contradiction flagrante avec la réalité sociologique, qui est un processus continu d’incorporation, de transformation et de fusion des éléments nouveaux, appartenant au mouvement permanent de l’histoire. On ne peut pas figer l’histoire, à partir d’une date ou d’une période donnée, selon un choix arbitraire. C’est illogique du point de vue de la construction idéologique, car cette vision statique contredit la réalité.

Donner des moyens de subsistance à toute cette population est une gageure, qui passe par le plein emploi (taux de chômage global inférieur à 5% suivant les normes du BIT, et inférieur à 1% suivant les tenants de la marginalité de type Keynésien), alors que le pays est en pleine crise économique et politique. La demande est sur-capacitaire par rapport à l’offre. En 2010, la population active est estimée à 8 millions de ménages. Faute de pouvoir absorber cette demande potentielle dans l’économie institutionnelle, l’économie populaire (secteur informel) va se développer au point de fournir 3,5 à 4 millions d’emplois précaires et semi-professionnalisés dans la production, les services, et l’artisanat. Le secteur agricole emploie 45 à 50 % de la population active, aussi le reliquat correspondant à la demande urbaine, se situe arithmétiquement autour de 4 millions de ménages. La maigre voie du recrutement de l’Administration a été épuisée avec à peu près 300. 000 fonctionnaires en 2010. Cette saturation met à nu la problématique du profil de la formation des élites et de l’adéquation de celle-ci avec les besoins de l’économie de développement. Il sera néanmoins observé, que le service public (couverture du territoire national et proximité à la personne) est très faible, pour ne pas dire quasi-inexistant (services sociaux de base). Il existe en conséquence, une très forte marge de progression des effectifs dans le secteur public et parapublic (chercheurs, magistrats et auxiliaires de justice, enseignants et personnels éducatifs, médecins et personnels sanitaires, contrôleurs, inspecteurs et travailleurs sociaux, pompiers, postiers, transports publics, fonctionnaires territoriaux, etc.).

Le sous-emploi fait ressortir aussi l’insuffisance de l’offre d’une économie troublée par 32 années de crise (1980-1990 ; 1999-2011). Le secteur privé occupe en 2010, 500. OOO salariés, alors qu’il comptait environ 600.000 personnes en 1998, soit un retard de plus de 15 ans, dans la progression de ce secteur. Celui-ci est confronté aux difficultés de trésorerie résultant du niveau exorbitant de la dette intérieure laissée par la gestion précédente, et a du faire face dans le passé, à l’insécurité et à l’instabilité institutionnelle, avec pour conséquence des fermetures d’entreprises en cascade et des délocalisations d’activités avant 2011. Par ricochet ces facteurs ont contribué à alimenter un chômage structurel et massif. Ce chômage urbain, inégalement distribué, évalué à près de 300. 000 à 500.000 personnes (7% à 12%), génère une paupérisation importante des populations dans la capitale Abidjan et les grandes villes du pays, notamment chez les plus jeunes (profil de la pyramide des âges oblige), tandis que les classes intermédiaires s’enfoncent à leur tour, dans la fragilité économique. Pour la cohérence des chiffres, rappelons que 45 % de la population urbaine est inactive (40% en âge de scolarisation – de 15 ans et 5 % en âge de retraite) et précisons que pour être prudent, les fourchettes sont très larges (fiabilité des statistiques et opacité de l’économie populaire).

La jeunesse qui constitue la composante dominante de cette population, fera les frais de ce chômage. C’est la génération perdue, sacrifiée, laissée pour compte. Rien n’a été préparé pour accueillir cette explosion démographique et transformer cette donne en un avantage: Goulots d’étranglement dans l’appareil d’éducation et de santé, saturation du marché de l’emploi, essoufflement de l’urbanisme et détérioration des équipements de voirie, insuffisance de l’approvisionnement en logements, eau, et électricité. La chute de la croissance économique n’a pas permis de porter cette nouvelle vague et lui fournir les conditions d’épanouissement qu’elle est en droit d’attendre de l’Etat. La misère et l’inactivité étant mauvaises conseillères, elle (la jeunesse) sera instrumentalisée par le politique. Perméable aux idées et malléable, elle sera la victime d’un projet d’édification d’une conscience politique et civique, (nationaliste, souverainiste, africaniste et ivoiritaire), mal élaboré dans sa stratégie (irréaliste et isolationniste) et sa méthodologie (absence de formation adéquate), qui va conduire le mouvement à des dérives et au populisme. Cette révolution, au lieu de créer une culture politique et démocratique, célèbrera le verbe, la facilité, la médiocrité et la malhonnêteté intellectuelle. Elle créera une culture de violence et du refus de la différence, censée l’enrichir. Cette jeunesse abusée, endoctrinée, exploitée a été abandonnée à son sort (chômage, précarité et absence de perspective). Cette désespérance, alimente le banditisme, l’escroquerie, la corruption, la marginalisation, la déchéance morale, la débauche et la violence urbaine. C’est le pacte social qui est mis à mal, par la promesse d’un avenir déçu. Cette jeunesse constitue le terreau d’une révolte potentielle, le carburant d’une prochaine détonation sociale, si les choses restent en l’état, et si les politiques échouent dans leur responsabilité et leur mission, de réussir la transformation de la société, le changement des esprits en faveur d’un nouveau pacte social et politique de concorde nationale.

L’espoir est possible, si l’économie réussit à modifier positivement les conditions matérielles d’existence de l’ensemble des populations, dans l’égalité et la justice sociale. Ceci aura un impact sur les comportements et facilitera la réconciliation par la base. Tel est le pari du pouvoir et le schéma de sortie de crise pour lequel il œuvre. Aura-t-il l’adhésion de tous ? Avons-nous bien compris la connexité des différentes dimensions de la crise ? Avons nous bien saisi les éléments et les étapes qui nous y ont conduit ? Il dépend de nous que les moyens politiques ne finissent pas par s’opposer aux finalités de leur action, et que la politique ne trahisse pas le peuple, la nation. L’analyse critique de notre histoire peut nous permettre de mettre notre avenir en perspective. C’est l’affaire de chacun, pris individuellement, car nous sommes tous des relais sociaux, sur qui repose une responsabilité particulière, celle de nous élever au-dessus de nos réserves, de nos peurs, de nos différences, de nos partis pris, pour dire non à la reproduction de ce qui s’est passé. Notre évolution historique et sociale doit nous conduire à la paix, pour que s’expriment toutes nos capacités, au service de cet avenir.

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