Nous avons appris, avec soulagement, dans un contexte de triomphalisme exubérant des Houphouëtistes du pouvoir, la renaissance du MEECI. Le 15 décembre 2014, en effet, trois anciens de ce mouvement, aujourd’hui ministres dans le gouvernement Ouattara, à savoir Hamed Bakayoko, Mabri Toikeuse et Adjoumani, accompagnés par Zié Coulibaly, ont décidé de faire renaitre l’ex-Mouvement des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire, MEECI, créé en 1968 et sacrifié sur l’autel du pluralisme en 1990.
Si le contenu des déclarations ne me touchait pas de près, je n’aurais fait que les féliciter pour avoir mis en place une structure qui va rassembler les anciens d’une organisation estudiantine qui aura marqué notre enfance et notre adolescence de la manière la plus triste possible, pour avoir été le fondement d’une radicalisation idéologique de toute une génération sacrifiée sur l’autel de la gouvernance catastrophique du parti unique. Mais ils ont émis des idées fortes qui nous amènent à nous interroger sur leur motivation à court, moyen et long terme. Car, au-delà de l’opportunité politique de contribuer à la réélection de leur mentor, Alassane Dramane Ouattara, il est utile d’en faire une analyse stratégique pour en tirer les conséquences immédiates et lointaines avant de faire des propositions concrètes.
1- Meecisme et Fescisme : contradictions principales et secondaires
Selon les fondateurs du Meeci Maison Mère, leur action s’inscrit en contradiction avec la Fesci, Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire, dont je fus un des membres fondateurs et aussi le premier secrétaire général actif. Car pour eux, si le Meeci fut « une école de paix », la Fesci fut définitivement celle de la violence. Venant de mes amis comme Hamed Bakayoko et Mabri Toikeuse, je suis vraiment dans la confusion.
L’histoire est un témoignage: l’incendie criminel qui frappa le logis familial en février 1991, la tentative d’assassinat du 15 mai 1991 et le massacre de la nuit du 17 au 18 Mai 1991 contre une cité universitaire endormie par les forces d’élites de notre armée, sont certainement le fait de la direction de la Fesci dont j’étais responsable. Je ne reviendrai pas sur les évènements du 6, du 13 et du 18 février 1992 qui virent la Fesci réprimée, sa direction décapitée et toute l’opposition ivoirienne enfermée en prison. C’est là aussi le fait des opposants enclins à user de la violence ? Souvent, l’histoire prend la couleur de ceux qui l’écrivent comme le diraient mes maîtres du département d’histoire de l’université de Cocody. Mais, je ne saurai m’attarder sur cette diversion tactique qui consiste à accuser l’autre de ce que l’on est pour mieux cacher sa nature profonde. À ce que je crois, c’est du pur stalinisme ! Mais cela n’est étonnant pour l’historien du PDCI que je suis puisque les archives du Parti Communiste Français m’ont été ouvertes et ont livré les secrets de la création de ce parti.
Ce qui est vrai reste que le Meeci et la Fesci relèvent de deux héritages idéologiques et politiques radicalement différents. Le Meeci reste l’école d’apprentissage de l’art de la gestion politique quand la Fesci fut celle de l’art de la lutte politique. La contradiction principale entre le Meeci et la Fesci reste donc leur finalité politique divergente. L’un apprend à s’insérer dans le système. L’autre combat le système et entend le remplacer par un autre, radicalement différent de ce qui est. Alors que la première école respecte les codes du mandarinat, l’autre est loin de ce fonctionnement. Ce n’est nullement une nouveauté dans l’histoire. Après la révolution bolchévique, Stalinisme fut opposé au trotskysme. L’histoire interne des organisations en Chine aussi atteste de ces différences d’approche des structures estudiantines. Là où l’appareil étatique est désormais dans les mains des combattants de la liberté, la gestion étatique prend le dessus sur les principes politiques qui ont régi la lutte précédente. Ainsi donc, le Meeci et la Fesci ne sont aucunement comparables puisque les deux relèvent de deux moments des luttes.
Une des raisons qui expliquent notre approche reste l’instrumentalisation excessive de la Fesci pendant la gestion des camarades de la refondation. Instrument de lutte pour la conquête des libertés démocratiques, la Fesci fut radicalement transformée en un mouvement appendice du pouvoir qui faisait face à une machine droitière mobilisée pour faire échec à sa stratégie de refondation. Ainsi, mouvement de lutte, la Fesci devint, sous la refondation, un moyen de résistance du pouvoir de la refondation contre l’attaque militariste de la droite se disant officiellement conservatrice ou ultralibérale. Le contexte idéologique confus d’une lutte à la fois ultranationaliste et patriotique ne permit aucunement à la refondation de faire la part des choses pour adopter la tactique appropriée à cette étape de leur combat. Pis, la droite, recomposée dans le RHDP, a consolidé ses bases politiques et stratégiques quand la refondation se perdait en plusieurs sous-combats que la lutte pour le leadership de la jeunesse patriotique entre l’aîné Djué et son jeune frère Charles Blé Goudé symbolisa à souhait. Alors que la contradiction principale était de faire face à une dérive fascisante de la vie politique depuis le coup d’état de 1999, les contradictions internes prirent le pas sur la contradiction principale. L’échec ne pouvait que survenir au bout du tunnel. Il s’agissait tout simplement de revenir aux fondamentaux de la gauche démocratique et positionner le débat politique au cœur des dialectiques sociales. La confusion générale entretenue aida plus l’opposition droitière, au sein même du pouvoir de la refondation comme en dehors, que la gauche devenue ultranationaliste et patriotique, donc, loin de ses priorités idéologiques et politiques.
En somme, Meeci et Fesci sont deux écoles qui se situent à deux moments de l’histoire du pays et ne sauraient aucunement être confondues. Le Président Houphouët-Boigny himself, le 6 Mars 1993, le reconnut devant le défunt commissaire Drissa Toe et Madame Mélèdje, en invitant la direction de la Fesci à un débat historique qui fut, pour certains comme moi, un moment de passage de témoin. C’est au nom de ce dialogue franc et direct entre le Père de la lutte pour l’indépendance et le bâtisseur d’une Côte d’Ivoire moderne et une génération qui affirmait, en somme, le retour aux fondamentaux de la lutte du Syndicat Agricole Africain et du RDA, que j’ai agi depuis. Et la bataille de 2015 qui explique la renaissance opportuniste du Meeci, reste le grand enjeu dont nul ne saurait être distrait par des tactiques de diversion.
2- Perspectives Politiques en 2015-2020 comme lutte idéologique
Ainsi, lorsque trois camarades, membre d’un gouvernement, assurent faire renaitre le Meeci, ce n’est nullement l’école du parti unique que l’on veut remettre au goût du jour. C’est une approche tactique qui consiste à faire en sorte que les fondements de l’appel de Daoukro prennent une dimension idéologique et même sociologique.
En effet, si l’appel de Daoukro consistait uniquement au soutien à la candidature de Ouattara, il est clair qu’il a déjà échoué. La floraison des candidats au sein du PDCI pose clairement la question de l’attitude du parti en tant qu’appareil mais aussi en tant qu’ensemble sociologique, face à l’enjeu de la reconquête du pouvoir présidentiel. Pour les amis de 3M, il ne s’agit aucunement de faire réélire Ouattara. Il s’agit de se positionner dans le cadre de cette perspective, pour les échéances futures. Derrière l’idée donc de la renaissance du Meeci, nos amis entendent faire en sorte que les contradictions entre eux pour la succession de leur mentor, soient résolues longtemps avant, pour prévenir une dispersion de leur base sociologique ou idéologique. Nous sommes en clair dans les manœuvres postélectorales et au cœur du dispositif de la joute de 2020. Ici, pour nos amis, il est préférable d’être dans le camp qui gagnera. Ainsi, par la suite, on a la haute main sur le processus pour mieux gérer les étapes qui suivent.
Or, dans le cas d’espèces, d’autres ex-leaders ou militants du Meeci font une autre analyse qui reste que les choix passés des différents amis ont remis en cause le fondamental : La Maison Mère, Le PDCI. C’est que le Meeci ne peut aucunement être séparé du PDCI dont il fut une section pour les élèves et étudiants. Comment alors expliquer faire référence au Meeci comme la maison mère alors que celle-ci est le PDCI ? Or si on prend le segment, la fenêtre de la maison comme la maison, alors on ne s’interroge plus sur ce qu’elle est devenue. On feint, sinon, on entend ignorer son rôle dans sa chute, sinon sa déliquescence. On évite de poser les vraies questions, à savoir pourquoi depuis la mort du Président Houphouët-Boigny, le feu a dévasté la maison ? Qui a envoyé ou entretenu ou encore fait propager ce feu dévastateur ? Peut-on regarder l’histoire en face et répondre, la main sur le cœur, que nous n’avons rien à voir là-dedans ou alors, reconnaitre que nous y avons largement contribué ? Si la réponse est la deuxième, alors, nous savons que nous sommes dans le faux en faisant du fils le père. Le Meeci ne peut aucunement être la maison mère. C’est le PDCI-RDA qui est la maison mère.
En un mot, si la mise en place de cette organisation annonçait la remise en cause des choix des uns et des autres qui expliquent la société ivoirienne actuelle, fragmentée et profondément balafrée par des politiques de divisions et de haine dont nous-mêmes avons été les artisans, alors on pourrait dire que nous étions dans une stratégie cohérente de reconstruction post-crise de notre pays. Alors, les amis Meecistes auraient résolument pris de la hauteur et une longueur d’avance sur leurs amis de la Fesci. Ils seraient en pôle position et joueraient alors les moralisateurs en invitant les fescistes à en faire autant pour que les deux groupes entament enfin une véritable reconstruction de la nation sur des bases principielles, notamment de valeurs morales et politiques nouvelles. Or la démarche reste dans le vieux paradigme opportuniste des arrangements tactiques pour le maintien du système présidentialiste corrompu et tribaliste, contradictoire à la république démocratie.
3- 2015 ou le triomphe des principes sur l’opportunisme
Au total donc, il n’y rien de nouveau sous le ciel d’Éburnie. La campagne électorale est clairement engagée. Deux camps se dessinent. Le premier entend maintenir un système présidentialiste tribaliste qui prend une dimension fasciste avec le rattrapage ethnique. L’autre entend remettre la république au cœur du débat. Entre les deux, le choix ne peut aucunement être brouillé. La tactique ne saurait prendre la stratégie à défaut. C’est la stratégie qui définit la tactique et non le contraire. Ainsi, les ivoiriens sont amenés à faire un bilan officiel et clair entre deux visions. Que l’on soit ex-meeciste ou fesciste ou même tout simplement citoyen lambda de ce pays, il ne s’agit plus de regarder nos origines sociales ou ethniques. Il s’agit de penser quelles valeurs devraient désormais régir notre pays. Doit-on être promu parce qu’on est ex-meeci ou ex-fesci ou alors parce qu’on a des références ou le profil de l’emploi ? Doit-on continuer de construire le pays sur du faux ou sur la dictature de la loi impersonnelle ? Doit-on faire semblant ou alors s’interroger sur les vraies causes de la situation actuelle et y trouver des solutions idoines ? Mais avant tout, doit-on devenir Président pour soi, son clan et ses amis ou alors pour l’ensemble des habitants de la Côte d’Ivoire ? Les regroupements doivent se faire sur la base des principes qui guident l’action de chaque camp. Les meecistes et les fescistes, parce que politiquement formés par leurs écoles respectives, n’ont plus d’excuses. Ils doivent choisir leur camp et assumer pour l’histoire. Suivez mon regards.
Dr Martial Joseph AHIPEAUD
Candidat à la présidentielle de 2015
Président de l’UDL et Coordonateur de la 3ème Voie
Premier Secrétaire Général actif de la Fesci (1990-1993)
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