Côte d’Ivoire: parfum de corruption entre Abidjan et le géant pétrolier Gunvor
Par Baba Mballo http://oeildafrique.com
La direction du géant pétrolier Gunvor basée à Genève, tremble à l’idée de voir exploser au grand jour un scandale de corruption lié à l’achat de pétrole brut en Côte d’Ivoire. L’affaire implique aussi des hauts cadres de l’administration ivoirienne, a révélé Mediapart.
Le deal ivoirien qui pose problème remonte à mars 2014 et il n’est pas encore arrivé entre les mains de la justice, révèle le site français, spécialisé d’enquêtes et révélations. Citant plusieurs sources, l’affaire liée à l’achat de pétrole brut en Côte d’Ivoire aurait été entachée de graves irrégularités, aboutissant même à la démission mi-septembre d’un membre du conseil d’administration de Gunvor.
La prospection d’un nouveau marché de pétrole vers Abidjan, est née de l’ouverture de l’enquête suisse sur le Congo-Brazzaville où Gunvor est en disgrâce auprès du clan des Sassou N’Guesso.
Selon Mediapart, des liens avaient déjà été noués du temps de Laurent Gbagbo, puis Gunvor avait habilement retourné sa veste en volant au secours de son opposant Alassane Ouattara. «En avril 2011 alors que les combats faisaient rage, la société avait enlevé 1,6 million de barils de brut, permettant ainsi au nouveau président de démarrer son mandat avec une première rentrée d’argent. La collaboration avec le nouveau pouvoir ne s’était cependant pas poursuivie», révèle le site français.
Pour reconquérir le marché ivoirien, Gunvor a fait appel en 2013 à un intermédiaire français. Ce dernier fait valoir des contacts, notamment auprès du ministre de l’Intérieur ivoirien Hamed Bakayoko, selon le média français.
Mediapart ajoute que Gunvor va pouvoir ouvrir des négociations avec la Petroci (Société nationale d’exploration pétrolière de la Côte d’Ivoire) pour enlever une cargaison de brut. Plusieurs membres du conseil d’administration de Gunvor SA, dont le responsable du département développement dans le monde, ainsi que son supérieur qui s’occupe du pétrole brut dans le monde entier, participent aux pourparlers. «Le grand patron, Torbjorn Tornqvist, est lui-même au courant des différentes démarches», lit-on sur le site.
Si la production du pétrole ivoirien est maigre, les conditions de vente sont très intéressantes, permettant de réaliser une marge d’environ 3 dollars par baril (contre 20 à 30 cents en moyenne), avec tout l’arrière-plan de corruption que cela peut supposer. Sur cette base, en juin 2013, une délégation de Gunvor se rend à Abidjan.
Mediapart précise, alors, que le négociant se dit prêt à participer à des projets de développement de l’industrie pétrolière avec la Petroci et évoque la possibilité d’un «partenariat stratégique» avec la Côte d’Ivoire.
Le principal interlocuteur est alors le fameux Hamed Bakayoko, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, dont le domaine d’action n’a pourtant officiellement rien à voir avec le pétrole. Une lettre de remerciement sur papier en-tête de Gunvor lui est envoyée en septembre 2013, rapporte toujours Mediapart dans son articlé mis en ligne vendredi 7 novembre 2014.
Fin 2013, Gunvor remporte finalement un «appel d’offres» auprès de la Petroci pour acheter 650 000 barils de brut provenant du champ pétrolier «Espoir». La valeur du cargo atteint quelque 70 millions de dollars, avec un bénéfice pour le négociant de près d’un million de dollars. La marchandise est enlevée vers le 10 mars 2014, sans tambour ni trompette.
Un étrange contrat d’intermédiaire
C’est à partir de ce moment que se met en place une bien étrange opération, pilotée par le service genevois de compliance (conformité juridique) et le bureau de Gunvor à Dubaï, et attentivement suivie par plusieurs cadres de Gunvor SA à Genève, comme le prouvent plusieurs documents consultés par Mediapart.
Des documents qui attestent qu’il est décidé que Gunvor Dubaï signera un contrat de service avec une obscure petite société basée à Abidjan nommée Petro-consulting. Officiellement, écrit Mediapart, il s’agit de rémunérer son directeur pour les services qu’il est supposé avoir rendus afin de faciliter le deal pétrolier. Ce genre de contrat d’intermédiaire ou d’apporteur d’affaires est rédigé et pré-signé avant la concrétisation de l’opération pétrolière. Ici, tout a été fait après coup.
Comme l’a appris Mediapart, le directeur de Petro-consulting vit au Mozambique et n’a jamais fourni aucun travail. «C’est un partenaire de l’intermédiaire français et il a juste accepté de jouer l’homme de paille pour réceptionner des fonds. Certains documents montrent comment une employée du bureau compliance à Genève l’a guidé pas à pas, dès le 1er avril (soit vingt jours après que Gunvor a levé le brut), pour qu’il rédige en bonne et due forme le contrat».
Ensuite, le 14 et le 28 avril 2014, plus de 400 000 dollars sont versés sur les comptes de la Petro-consulting à Abidjan. Selon les informations du site français, la BNP Paribas aurait refusé d’effectuer la transaction estimant que les garanties de transparence n’étaient pas suffisantes. Une banque moyen-orientale aurait finalement accepté. Plusieurs sources indiquent que l’argent a ensuite été reversé ailleurs, atterrissant in fine dans la poche d’un officiel ivoirien.
Cet été, des preuves ont commencé à fuiter dans certains milieux du pétrole. C’est alors la panique au siège de Gunvor à Genève qui croit revivre l’épisode de l’été 2012 quand le ministère public de la confédération avait perquisitionné les locaux sur le dossier Congo-Brazzaville. Celui qui s’est le plus exposé dans l’opération ivoirienne, le directeur du bureau pour le développement, est invité à quitter le navire. À la mi-septembre, ce cadre signe sa lettre de démission avec un salaire payé jusqu’en décembre 2014.
Au registre du commerce, son nom a effectivement été rayé du conseil d’administration de Gunvor SA. Certaines sources indiquent qu’il aurait touché, en échange de son accord pour jouer les fusibles, une très grosse somme.
Selon Mediapart, l’intéressé réfute ces informations affirmant avoir démissionné en «raison de désaccords professionnels» et avoir désormais «tourné la page», estimant qu’il revient à la direction de Gunvor de répondre aux questions sur le deal ivoirien. Les ponts ont aussi été rompus avec le Français qui avait joué les intermédiaires auprès du ministre Bakayoko et qui a été pour cela rémunéré par Gunvor. Toute perspective de transaction avec la Côte d’Ivoire a été abandonnée et le négociant a décidé de quitter le marché africain, décidément trop compliqué et dangereux.
Mediapart précise qu’un membre de la direction de Gunvor à Genève confirme l’achat de 650 000 barils de brut ivoirien en mars 2014, se défendant de toutes malversations. Il affirme que le directeur de Petro-consulting à Abidjan n’est pas un homme de paille et qu’il a fait, dès novembre 2012, l’objet d’un examen scrupuleux de la part du service de compliance, et même d’une enquête de Salamanca Group, une société d’intelligence économique. Le CV de cet ancien d’Elf Aquitaine aurait été jugé parfaitement sérieux.
Pourquoi alors avoir signé un «service agreement» après l’enlèvement du cargo, en violation flagrante de ce qui se fait habituellement ? «Probablement nous n’avons pas eu le temps et il y avait alors d’autres choses à faire», répond Gunvor. Quant au Français qui a joué les apporteurs d’affaires en Côte d’Ivoire, son contrat de consultant aurait été résilié le 30 janvier 2013, «car il n’avait pas passé le test de compliance», affirme Gunvor. Or plusieurs documents consultés par Mediapart montrent que cet intermédiaire a continué à travailler jusqu’en 2014.
Baba Mballo
© OEIL D’AFRIQUE
Le démenti d’Hamed Bakayoko publié sur sa page Facebook
« Article de Mediapart »
Lors d’une mission à Paris, j’ai accordé une audience au groupe Gunvor, qui m’a fait part de son intérêt d’investir en Côte d’Ivoire. Je l’ai rassuré sur le net progrès de l’environnement sécuritaire et l’ai encouragé à le faire.
J’ai à nouveau reçu une délégation de ce groupe, cette fois à Abidjan, lors de l’un de ses passages en Côte d’Ivoire.
Mon contact avec ce groupe se limite à ces deux rencontres, qui ne sont que des rencontres classiques dans le cadre du travail gouvernemental. Je m’étonne qu’une lettre de remerciement fasse l’objet d’interprétations tendancieuses. Pour être clair, je n’ai perçu aucune rémunération d’aucune sorte du groupe Gunvor.
Personne ne peut et ne pourra établir le contraire.
Le Gouvernement est engagé dans la mise en œuvre des principes de bonne gouvernance. J’en fais une valeur essentielle dans la conduite de ma mission
Hamed Bakayoko
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