Esclavage moderne : la compagne d’un ex-ministre ivoirien jugée
Par Louise Colombet Leparisien.fr
Nanterre (Hauts-de-Seine), hier lundi 8 septembre 2014. David Desgranges, l’avocat des deux nounous (de dos), a plaidé pour que le tribunal reconnaisse le délit de traite d’êtres humains. «Il y avait trop de travail, mais le pire, c’était les insultes »
DES JOURNÉES à rallonge, passées à s’occuper d’un enfant malade, à faire le ménage, la vaisselle, les courses, sans aucun jour de congé et pour une rétribution dérisoire, le tout ponctué d’insultes et d’humiliations. C’est ainsi que deux jeunes femmes, âgées aujourd’hui de 28 et 30 ans, ont décrit hier devant le tribunal de Nanterre (Hauts-de-seine) leur quotidien passé au service de Kadidia Sy, l’ex-compagne de Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et ancien Premier ministre.
La prévenue comparaissait notamment pour travail dissimulé, rétribution insuffisante mais également pour traite d’êtres humains, la demande, pour ce dernier chef, du Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) qui a accompagné les deux jeunes depuis leur fuite du domicile de leur employeur, respectivement en 2008 et 2010.
En 2006, Rosalie est embauchée comme nounou au Burkina Faso pour s’occuper d’Olivier, le bébé de Guillaume Soro. Elle accompagne ensuite la mère et l’enfant au cours de nombreux voyages à Paris, destinés à soigner l’hémophilie sévère — une maladie empêchant la coagulation — dont le petit Olivier est atteint. Elle passe ainsi près de six mois dans la capitale en 2008,
s’occupant de l’enfant nuit et jour, mais aussi, parfois jusqu’à très tard le soir, de l’entretien de la maison, des courses, ou même des enfants des amies de Kadidia Sy… Laquelle,
d’après ses dires, passe son temps a faire du shopping ou à sortir le soir.
Ayant récupéré son passeport dans les affaires de son employeur, Rosalie décide de s’enfuir en août 2008. C’est alors que Marie est embauchée pour lui succéder, payée elle aussi, hors quelques «primes» exceptionnelles, environ 45 € par mois, l’équivalent du smic… au Burkina Faso. Un tarif pour lequel «on a non pas une nounou, mais une vraie bonne à domicile, au sens du XIX e siècle, taillable et corvéable à merci», relève le procureur.
Business class et Disneyland
Une accusation qui fait bondir la prévenue. «Mais elles étaient nourries, logées, blanchies. Je leur achetais même leurs serviettes hygiéniques et leur déodorant !» Si elle reconnaît «n’avoir pas bien payé» ses deux nounous, et qu’elle ignorait qu’elle aurait dû s’aligner sur le droit du travail français lors de ses séjours à Paris, Kadidia Sy réfute le terme d’esclavage, montrant des photos de Marie et d’Olivier à Disneyland, ou sur les Bateaux-Mouches… «Comment peut-on dire qu’on est esclave quand on voyage en business class ?», s’insurge-t-elle.
A l’aide d’un traducteur, Marie, qui a quitté l’école en CM 1, détaille son parcours, résumant son calvaire en une phrase : «Il y avait trop de travail, mais le pire, c’était les insultes.» Après dix-sept mois dans la capitale, elle aussi se tournera vers le CCEM. «Elles se sont liguées pour d’obtenir de l’argent et des papiers pour rester en France», estime Kadidia Sy. Me David Desgranges, l’avocat du CCEM, dénonçant «une véritable mainmise sur le personnel domestique», a plaidé pour que le délit de traite d’êtres humains soit reconnu dans cette affaire, à l’inverse du parquet, qui a souhaité «relativiser» et a réclamé une peine de trois mois de prison avec sursis et 5 000 € d’amende. Jugement le 6 octobre.
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