Côte-d’Ivoire: Comment Ouattara est devenu maître du jeu, que peuvent espérer Bédié et ses alliés ?

Dialogue pouvoir – opposition

Le 31 octobre 2020, à 18 heures, clap sur l’élection présidentielle de tous les dangers. Le jour le plus long de l’histoire politique de ces dernières années a fini par passer. Si le déluge craint de tous n’eut pas vraiment lieu, l’onde de choc aura laissé une crise que le pays tarde à surmonter. Depuis lors, le calme règne mais tout observateur averti ne peut ignorer que le feu peut encore couver.

C’est pour éteindre le feu que, Alassane Ouattara, auréolé de ses victoires sur ses adversaires politiques, a tenté de recourir à un dialogue entre frères ivoiriens. L’annonce de ce dialogue qui a pris ses repères le 11 novembre 2020 à l’hôtel du Golf a suscité un brin d’espoir chez les populations qui étaient prises entre plusieurs feux et craignaient pour leur sécurité. Mais depuis, plus rien. Un lourd silence règne sur ledit dialogue et sans attendre, les ivoiriens ont repris leurs activités clopin-clopant.

Henri Konan Bédié dans une rare sortie le weekend dernier a donné les raisons pour lesquelles le dialogue entre lui et son désormais rival marque le pas. Le président du Pdci qui connait un peu la psychologie de son ancien allié n’entend pas se faire hara-kiri et a posé des préalables qu’il juge ‘’non négociables’’. Ils partent de la libération de tous les prisonniers politiques civils et militaires au retour d’exil de tous ceux qui y sont encore depuis ces dix dernières années. Dans une sorte de tandem avec le Fpi de Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié veut jouer la carte de la fermeté et imposer son droit d’ainesse, pour le vieux renard de la politique ivoirienne qu’il est.

Mais en face, Ouattara n’est pas né de la dernière pluie. L’homme qu’on croyait plus technocrate que politique, a, depuis lors, gagné des galons de fin politicien, donnant des leçons aux vieux briscards qui en ont fait leur métier depuis des lustres. Ouattara impose désormais sa stratégie et sa tactique qui font mouche. Après avoir remporté une élection que certains observateurs ont qualifié de peu crédible, Alassane Ouattara a eu de la reconnaissance internationale malgré les contestions des opposants.

Le grand coup de massue pour son opposition aura été la lettre de félicitation d’Emmanuel Macron, le président de la France.

En 2010, au terme du deuxième tour de la présidentielle, alors que les deux principaux challengers Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquaient la victoire, cette même voix de la France avait fini par faire la différence et penché la balance en faveur de Ouattara mais dans un tableau bien différent. Depuis Bruxelles, au parlement européen, Nicolas Sarkozy envoyait une salve à Laurent et Simone Gbagbo pour ‘’quitter’’ le fauteuil présidentiel qu’ils occupent.

En d’autres temps et sous un autre président, l’élection de 2020 aurait reçu la réprobation de la France tant les conditions de son organisation étaient discutables. Mais passons, le protagoniste principal s’appelle Alassane Ouattara qui était opposé à un certain KKB après les défections de Bédié et d’Affi N’guessan. Les jeux étaient donc faits d’avance et Ouattara a bien manœuvré et en a récolté les dividendes. Gagnée la bataille de la légalité de son élection, il réussit un deuxième coup de maître en réussissant à imposer un simple affichage avec Henri Konan Bédié qu’il considère comme son plus sérieux contradicteur. Connu sous le nom de ‘’main tendue’’ ou de ‘’dialogue avec l’opposition’’, ce simple affichage suffit à dégonfler comme un ballon de baudruche, la tension qui était montée d’un cran suite aux affrontements communautaires, par endroits très meurtriers. ‘’Ouf ! On revient de loin’’, peut-il alors soupirer. La voie ouverte, il peut dès lors choisir ses interlocuteurs, rejeter du revers de la main les propositions selon lesquelles il doit élargir le dialogue à tout le corps social. Il est dans la peau du vainqueur à qui on n’impose rien et qui fait tout à sa convenance. Les conditions de Konan Bédié quoiqu’elles aient abouti à la libération de quelques proches collaborateurs dans un lot de dizaines d’incarcérés, ne peuvent que lui faire gagner du temps et conforter sa position. Il casse ainsi la dynamique de l’opposition qui ne peut que pousser des cris d’orfraie après avoir échoué à imposer par la désobéissance civile sa revendication première d’une transition en Côte d’Ivoire. ‘’Ceux qui parlent d’une transition peuvent toujours rêver. Il n’y aura pas de transition en Côte d’Ivoire’’, avait-il sèchement tranché lors d’un conseil politique de son parti.

A présent, Ouattara a toutes les cartes en main. Il intègre la nécessité du dialogue qui devrait contribuer à apaiser sa gouvernance. Aussi veut-il imposer son rythme et ses orientations. Depuis ces derniers jours, il réalise enfin que Laurent Gbagbo est un maillon incontournable dans ce jeu de l’apaisement. Comment le ménager et le contrôler quand il sait que Laurent Gbagbo est un véritable silure d’eau douce difficile à saisir. Ouattara élabore donc des scénarios pour arriver à ses fins sur la question Gbagbo. Il veut jouer la montre en se disant que plus rien ne peut le contrarier. En effet, comment avec tout ce temps perdu et des stratégies galvaudées et mises à rude épreuve, l’opposition pourrait-elle encore mobiliser la rue quand la lassitude et le désespoir s’en mêlent ? Ouattara a sûrement de beaux jours encore devant lui en ce début de quinquennat.

Il reste maintenant à l’opposition l’option du moindre mal pour rebondir. Se réorganiser pour obtenir la libération des prisonniers ce qui n’était pas sa revendication principale, participer aux futures législatives afin de peser encore sur le jeu politique des cinq prochaines années. Tout autre chemin pourrait être périlleux sans adhésion décisive et populaire des militants. Toute chose qui reste pour l’instant l’un des talons d’Achille de cette opposition que l’on a vu à l’œuvre ces derniers mois. Elle n’a pas su mobiliser Abidjan, la capitale économique et le bouillonnement de l’intérieur du pays est mort à la phase embryonnaire.

SD à Abidjan

sdebailly@yahoo.fr

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