Politiques de déconciliation en Côte-d’Ivoire

Audace Institut Afrique, par Christophe Yahot, Professeur titulaire de Philosophie à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké

Il n’est un secret pour personne que la politique de réconciliation, suite aux à la crise postélectorale de 2011, a échoué en Côte d’Ivoire. Oui, on peut parler d’échec malgré les sommes importantes consacrées au dialogue. Au delà même de cet échec, le constat est que dans toutes les couches de la population, du sommet à la base, c’est la déconciliation qui règne. Une violence non dite crée un mal être général que les Ivoiriens ont du mal à exprimer mais qui peu à peu délite la société au niveaux des partis politiques, de la société civile mais également et surtout, au niveau de l’exécutif.

Les partis politiques

Conflits internes

Les partis politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, s’illustrent par des conflits internes importants. Ces divisions affaiblissent les petits partis et conduisent les plus gros à se concentrer plus sur des histoires de leadership que sur les politiques visant la gestion du pays. PDCI, FPI, MFA sont fracturés. Le RHDP, rassemblement au pouvoir, n’échappe pas à la discorde. Les pressions sur l’ancien président de l’Assemblée Nationale, en témoignent et les discussions sur le positionnement d’un leader pour les élections de 2020 ne font que creuser les fractures.

Conflits externes

Les conflits externes n’épargnent pas non plus le milieu politique. Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), coalition de plusieurs partis politiques dont le RDR, semble diviser plus qu’il ne réconcilie et rassemble. Le PDCI a volé en éclat dans cette union. Historiquement fort, il est brisé en clans recherchant la voie la plus propice à un poste ministériel. La volonté de pouvoir à tout prix vide tout contre-pouvoir.

La Société civile

Instrumentalisation

Force est de constater que du côté de la Société civile, les choses ne vont pas mieux. On peut même dire qu’elle n’existe que de nom et s’apparente plus à des groupuscules instrumentalisés qui semblent d’ailleurs se complaire dans l’instrumentalisation. Au service des politiciens, largement dépendante de leurs fonds, la société civile prend des allures de milices politiques. La cupidité n’échappant pas à cette sphère de la société, elle est prête à tout pour une enveloppe. Ses projets sont bien souvent guidés que par des opportunités financières et rares sont les organisations qui ont une ligne allant dans le sens du bien commun avec des objectifs précis et une vision. Au cœur même de l’instrumentalisation, le cas de la FESCI, fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, est édifiant. Ce syndicat étudiant hégémonique a d’abord lutté pour la démocratie dans les années 1990 puis s’est divisé entre partisans du FPI et du RDR, avant de paraître instrumentalisé aux yeux de l’opinion.

Conflits intercommunautaires

Au niveau des communautés, on voit que pour un rien, des conflits intercommunautaires éclatent. C’est le symptôme de cette déconciliation à l’échelle nationale. Les communautés ont de plus en plus de mal à vivre ensemble et pour un évènement mineur, on brûle, on tue, ce qui est en fait l’expression de ce mal bien plus profond et silencieux. Des non-dits nourrissant une apparence de paix ne font pas une réconciliation. Les populations sont à vifs.

Les grins

Les grins, qui en dioula (langue des Nordistes) signifie espace de discussion, se multiplient et instrumentalisent les populations essentiellement depuis la fin de la dernière crise postélectorale de 2011. Il s’agit bel et bien d’un contrôle social au sein même des quartiers, sur tout le territoire national, en s’appuyant sur des lieux de sociabilité ordinaire. C’est l’expression de la politisation extrême des citoyens ordinaires qui raisonnent de manière binaire « nous et eux », essentiellement au sens pro-Ouattara versus pro-Gbago. Ces multiples groupes mobilisent et recrutent pour un camps politique ou un autre et perdent toute capacité d’analyse puisque leur argument vont forcément dans le sens de la défense du leur camp, indépendamment de toute autre analyse. Les échanges y sont donc de faible niveau. Ces grins sont des espaces plutôt fermés au sens où il faut une autorisation du groupe existant, voire un parrainage, pour pouvoir entrer dans la discussion et la dynamique du groupe. Ces grins sont un moyen terriblement efficace au service des politiciens pour renforcer leur électorat et recueillir des informations sur les tendances des quartiers.

L’exécutif

Le rattrapage ethnique

Le signal donné par l’exécutif est pure déconciliation, au point qu’on se demande si les dirigeants en ont vraiment pleine conscience. En premier lieu, quand de hauts responsables osent parler de rattrapage ethnique, c’est totalement inconvenant dans un Etat dit de droit et ça disqualifie totalement le Président de la République. Ce rattrapage consiste en la nomination massive de gens du Nord au sein de l’administration et aux postes clés.

Le tabouret

Au delà du rattrapage, voilà un nouveau biais : le concept de tabouret. Adama Bigtogo avait déclaré, en visant l’ancien Président de l’Assemblée Nationale, que s’il n’adhérait pas au parti RHDP, il devrait rendre son tabouret. Le Président du Sénat n’a pas rendu son tabouret et a adhéré au RHDP, de même que le Président du Conseil économique et social. Soit tu adhères, soit tu rends ton tabouret. Il s’ensuit une division sociale, politique, professionnelle.

La gouvernance par ordre

Rajoutons que, certains intellectuels se plaignent de l’excès de gouvernance par ordonnances. Pourtant, l’ordonnance a un cadre légal qui restreint les conditions d’utilisation de cette voie de gouvernance. Dans le contexte, nous sommes dans un système de gouvernance par ordre. Il s’agit d’un passage en force. Par exemple, lors du dernier référendum constitutionnel, les chiffres de la participation ne correspondaient à rien, les taux annoncés étaient totalement irréalistes. De même, la « procédure » passionnée et gauche utilisée pour « destituer » l’ancien Président de l’Assemblée nationale de son tabouret en l’obligeant à démissionner exprime cette gouvernance par ordre. Enfin, on peut ici évoquer les dernières élections locales qui, du choix du candidat jusqu’au résultat des urnes exprime un passage en force du parti au pouvoir. Certaines villes comme Bingerville, Grand Bassam, ou encore la commune du Plateau à Abidjan, ont affiché sans complexe la technique du passage en force. Le pays est gouverné sur ordre du Président de la République.

Jadis les alliances à plaisanterie permettaient de lâcher prise dans des conflits et des affrontements importants, de retisser les liens de la cohésion sociale. Ne devrait-on pas s’engager dans une nouvelle alliance nationale dont le fondement reposerait sur les crises successives ayant fracturé le pays ? Il semble que les alliances à plaisanterie, trait culturel fort de notre société, seraient le dernier recours pour gérer ces multiples conflits en cascade qui minent notre société ivoirienne agonisante. Les alliances à plaisanterie au secours de la déconciliation ?

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