Côte-d’Ivoire: “L’habitus de la domination transforme le dominé en complice de ses propres malheurs”

Lu pour vous

On peut à la fois être victime des autres et de soi-même. L’habitus de la domination transforme le dominé en complice de ses propres malheurs.

Entre 2002 et 2011, l’Etat de Côte d’Ivoire a été victime d’une vaste tentative de déstabilisation au bout de laquelle il est sorti vaincu.

Pendant cette période, une réforme de la filière cacao a mis en place des instruments de parafiscalité qui ont permis de constituer un trésor de guerre économique. Une bonne partie de ce trésor (au moins 1 milliard d’euros) a été dilapidé par une “tontine” constituée de cadres de la majorité combattue par la France et de l’opposition parrainée par la France. Les uns et les autres ont acheté des maisons en France, des voitures européennes, une usine aux Etats-Unis qu’ils n’ont jamais commencé d’exploiter, des bons de carburant pouvant alimenter toute une armée, etc. Ce qui ressortait de tout cela était une gigantesque envie de consommer et de s’enjailler. La colère de ces hommes et de ces femmes face à l’humiliation de leur pays par la France officielle n’était pas parvenue à susciter en eux un salutaire ascétisme.

Ce ne sont pas les Occidentaux qui les ont envoyés faire ça. Mais ils savaient ce qui se passait et ricanaient. Ils s’en trouvaient rassurés. “Ce n’est pas avec des hommes de cette trempe que l’Afrique cessera de nous être soumise”, rigolaient-ils.

Mes collègues et moi nous sommes procurés le rapport exhaustif décrivant une partie de ces insupportables prédations. Nous avons commencé à le publier.

Nous avons été jetés en prison. Ce ne sont pas les Occidentaux qui nous ont jetés en prison.

Pendant que nous étions en prison, des journaux montraient que Armajaro avait recommencé le type de spéculation qui a précédé la guerre de 2002. Mais aucune information judiciaire n’a été ouverte. Le procureur et le ministre de l’Intérieur étaient les grands copains des contrebandiers exportant le cacao ivoirien via le Burkina Faso et le Togo.

Pendant que nous étions en prison, nos ventes se sont effondrées. Nos révélations nous rendaient suspects aux yeux des partisans du pouvoir et ceux de l’opposition savaient bien qu’on n’était pas camarades.
Quand la grande tempête a soufflé en avril 2011, tout le monde a été pulvérisé.

Au stade où nous en sommes, nous ne pouvons pas nous libérer des autres sans nous libérer de nos propres lâchetés. C’est un double mouvement.

Théophile Kouamouo

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