Côte-d’Ivoire – Les contradictions du gouvernement consacrent l’injustice et alimentent les troubles

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« Chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que tu es » Nicolas Machiavel (Le Prince)

La Côte d’Ivoire a été secouée et l’est toujours depuis plus d’une semaine par une révolte militaire engagée par des soldats issus de l’ancienne rébellion et intégrés à l’armée régulière. Selon un communiqué du ministre de la dépense lu sur le plateau du journal télévisé de la mi-journée du 6 janvier 2017 et sur lequel le ministre lui-même est revenu le soir, les soldats en colère « réclament l’augmentation de salaires, la réduction du temps passé dans les grades et des éclaircissements à propos d’une supposée prime ECOMOG (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group – ou “Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Cédéao”) ». Après deux jours de grogne bruyante, ils ont été contentés par le Président Alassane Ouattara qui, un fusil d’assaut sur la tempe, s’est vu contraint de tout leur concéder : « Je confirme, disait-il le samedi 7 janvier 2017, mon accord pour la prise en compte des revendications relatives aux primes et à l’amélioration des conditions de vie et de travail des soldats ». Satisfaits, les mutins ont commencé à passer à la caisse le lundi 16 janvier dernier. Le lendemain matin, d’autres crépitements d’armes se font entendre. Cette fois-ci, ils sont le fait de gendarmes mécontents d’avoir été oubliés. Pendant ce temps, les fonctionnaires restent en grève pour s’élever contre la réduction de 30 à 50% de la pension de retraite et pour bien d’autres revendications. En réponse aux revendications des gendarmes, le gouvernement avance, après le conseil des ministres du mercredi 18 janvier que les primes qu’il a accepté de payer ne concerne que « les ex-Forces armées des forces nouvelles (FAFN) désignés pour sécuriser le processus de sortie de crise entre 2007 et 2011 » et qui n’ont reçu ni primes ni salaires durant cette période. Cette sortie soulève quelques questions.

Pourquoi le gouvernement a-t-il attendu que les gendarmes, ce corps d’élite qu’on connaît pour sa discrétion, son patriotisme et son attachement à l légalité, entrent dans la danse pour avancer cet argumentaire ? Pourquoi est-ce plus d’une semaine après les premières manifestations qui ont commencé dans la nuit du 5 au 6 janvier à Bouaké que le gouvernement produit la déclaration sus-mentionnée qui aurait pu être faite dès le début pour éviter tout débordement incontrôlable si c’était vraiment ce que disaient les mutins ? D’autant plus que cette nouvelle nature des revendications ne transparaît nulle part dans aucune déclaration ni des mutins eux-mêmes ni du ministre de la défense. Pourquoi le Président Ouattara n’a-t-il pas fait sienne cette maxime de Machiavel face à cette brumeuse affaire de primes ECOMOG que l’ivoirien ordinaire ne voit pas recouverte du sceau de la légalité ? « Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner ». (Le Prince, XVII de Nicolas Machiavel). Par ailleurs, la sécurisation du processus de sortie de crise n’a-t-elle été le seul fait que des ex-Forces armées des forces nouvelles ? Quelle a été la contribution des ex-FDS à ce processus de sortie de crise pour qu’une fin de non-recevoir leur soit adressée ? Ces revendications d’arriérés de salaires ne figuraient-elles pas déjà dans les manifestations de novembre 2014 et n’avaient-elles pas été résolues ? Les militaires en colère ne sont-ils pas passés à la caisse au vu et au su de tout le monde ? L’argent destiné à cette paie aurait-il été détourné et par qui ?
Pour rappel, le 18 novembre 2014, des militaires ont manifesté dans plusieurs casernes du pays pour réclamer des arriérés de soldes. Voilà ce que disait l’un de leurs porte-paroles sur les ondes de la radio française RFI : « Depuis les accords de Ouagadougou, nous avons attendu, parce que nous savions que le pays traversait un moment difficile. Entre le 1er janvier 2009 jusqu’au sixième mois de 2011, rien n’a été payé. Le président doit prendre des décisions pour régler cette situation. Il doit dire “votre problème est résolu”, c’est ce que nous voulons entendre ». En réponse à cette colère, le gouvernement s’était donné deux mois, à savoir fin novembre et fin décembre 2014 pour apurer ce passif. Le ministre de la défense d’alors, Monsieur Paul Koffi Koffi avait annoncé la bonne nouvelle sur les antennes de la RTI le mardi 18 novembre 2014. D’où vient-il qu’aujourd’hui on nous parle encore d’arriérés de salaires circonscrits à la période de 2007-2011 pour les soldats FAFN ayant sécurisé le processus de sortie de crise ? Pourquoi ces militaires qui sont en majorité des lettrés et qui connaissent bien l’état de leurs préoccupations n’ont-ils pas parlé d’arriérés de salaires comme en 2014 mais ont plutôt parlé de primes ECOMOG, terme qui met le gouvernement dans l’embarras et qu’il fallait très vite biffer ? Malheureusement, le mot a été lâché par les concernés et les ivoiriens ne sont pas un peuple d’illettrés. Loin de là. Pourquoi le ministre Alain-Richard Donwahi, dans toutes ses déclarations pendant les heures chaudes, n’a-t-il pas évoqué ces arriérés de salaires circonscrits à la période indiquée ? Pourquoi fait-on remonter la dette, si dette il y a, de 2007 à 2011 alors qu’une dette similaire de 2009 à 2011 a été déjà réglée et pour la même catégorie de personnes ?

Voilà ce que disait le ministre d’Etat Ahmed Bakayoko le 18 novembre 2014 sur le plateau de la première chaîne, pour avoir conduit les négociations avec les militaires en colère : « Le groupe le plus important, qui sont les caporaux, ils sont 8 400. Ils demandaient que les arrêtés de solde courent à compter de 2009 ; la réponse elle est claire. Elle est nette. Elle est positive. Tout ce qui reste, c’est de voir avec eux les modalités pour l’exécution. Je dois vous dire que le président n’était pas très content de savoir que cette question qui était prévue par les accords de Ouaga depuis 2009 n’avait pas été traitée et exécutée.

Donc, ce que je veux dire aux jeunes, vous vous êtes exprimés. Vous avez parlé. Le président a compris. Il a donné des instructions au gouvernement pour régler votre problème. (…) Dès demain, nous allons entamer des discussions précises pour les modalités d’exécution ».
La déclaration produite par le gouvernement le mercredi 18 janvier 2017 est, dans le fond, assez proche de la précédente déclaration de 2014 du ministre Ahmed Bakayoko de l’intérieur et de la sécurité : « la prime concerne les ex-Forces armées des forces nouvelles (FAFN) désignés pour sécuriser le processus de sortie de crise entre 2007 et 2011. Bien que leur prise en charge était prévue dans le Budget de l’Etat, ces soldats n’ont reçu ni primes ni salaires durant cette période ».

Pendant que le gouvernement, en un temps record et sous la menace des armes, trouve des milliards pour satisfaire les militaires des ex-FAFN en colère, il refuse de payer aux enseignants le stock des arriérés dus aux effets financiers des mesures de revalorisation salariale datant de 2009. Sur la question, le tout nouveau Vice-président investi le lundi 16 janvier dernier s’est d’ailleurs montré très désagréable en 2014 lors d’une réunion avec les enseignants en leur disant très sèchement que le gouvernement ne pouvait pas leur payer cet argent et qu’ils devraient plutôt l’oublier.

La sortie du gouvernement du mercredi 18 janvier 2017 laisse perplexe et alimente les supputations et autres malaises dans le corps social. De nombreuses questions restent sans réponse. Les ivoiriens sont fatigués de ce que la technique du deux poids deux mesures soit constamment exploitée par le Président Ouattara devant les revendications des uns et des autres. En son temps, il se plaignait de cette politique inique de deux poids deux mesures qui a nui gravement à la cohésion nationale en catégorisant les ivoiriens en ivoiriens pleins et en demi-ivoiriens. Au pouvoir, le Président Alassane Ouattara n’a fait que donner un autre format à cette catégorisation malheureuse des ivoiriens : ceux qui ont combattu pour lui et qui ont droit à toutes ses faveurs de nature à faire pâlir de jalousie les autres et ceux qui sont restés prudemment neutres ou qui l’ont combattu d’une manière ou d’une autre et qui doivent subir la vendetta dans les admissions aux concours, les nominations aux postes viandés de l’administration et le paiement de primes aux contours parfois flous pour certains. La logique du rattrapage est ainsi devenue une hydre à mille têtes qui innerve tous les actes de largesse posés par le Président Ouattara. Comme on le dirait à Yopougon : « il y a les uns et il y a les autres ». Cette tendance à ne contenter que les gens de son bord, tous ordres confondus, nonobstant les investissements dans les infrastructures qui profitent bien évidemment à tous, est contraire à l’image de Père de la Nation qu’il devrait incarner. A trois ans de la fin de son mandat, il n’est pas encore tard pour lui de rassembler autour de lui tous les ivoiriens. Les discours lénifiants doivent faire place à des actes eux aussi lénifiants et non plus irritants, qui montrent qu’il est à équidistance de tous. La réconciliation doit se faire et doit se nourrir d’équité dans tous les actes de la vie nationale. Dans le cas contraire, les ivoiriens retiendront de lui celui qui a construit des ponts et des routes mais qui a érigé des barricades et des clôtures surplombées de barbelés vindicatifs dans le cœur des ivoiriens en favorisant l’émergence d’admis aux concours rattrapés pour la plupart, de militaires aux primes rattrapées et de nominations dans l’administration elles aussi rattrapées. Il n’est pas bon, disait le chanteur Alpha Blondy, qu’une seule ethnie monopolise le pouvoir. Nous invitons le Président de la République à libérer les concours de la fonction publique, les nominations publiques et bien d’autres choses comme la gestion de certaines crises sociales de la pratique monopolistique. Nicolas Machiavel disait : « Un acte de justice et de douceur a souvent plus de pouvoir sur le cœur des hommes que la violence et la barbarie ».

FOBAH Eblin Pascal,
Analyste politique

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