Côte d’Ivoire – L’émergence est impossible avec des caisses de dépôts comme banques

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Dr. Prao Yao Séraphin

Le concept d’émergence est devenu un slogan populaire pour les Présidents Africains. Tous les pays africains veulent devenir des économies émergentes comme si un pays devenait émergent par décret ou par une simple incantation. Les autorités ivoiriennes actuelles ont annoncé depuis trois années une volonté ferme du pays à aller à l’émergence. Mais entre la volonté et la réalité, il y a parfois un grand décalage. C’est le cas pour notre pays. En effet, en économie, le miracle n’a pas sa place car les bonnes réformes engendrent de bons résultats. L’émergence exige une croissance durable, un secteur agricole moderne, un secteur industriel performant, une transformation structurelle de l’économie et une place incontournable dans la gouvernance mondiale. Un autre secteur à développer pour aller à l’émergence est celui du marché intérieur du capital. Et c’est justement du sous-développement du secteur bancaire qui fait l’objet de la présente réflexion. Cette contribution a un message clair : l’émergence est impossible dans notre pays avec des caisses de dépôt comme banques.

Retour sur le rôle des banques dans le financement de l’économie

Dans la zone UEMOA, les marchés financiers sont peu développés. Dans ce cas, le rôle des banques dans l’économie est primordial car elles sont quasiment les seules à pouvoir fournir les services de liquidité et de crédit aux entreprises et aux ménages. Le système bancaire est un des éléments centraux de la vie économique d’un pays. Les banques jouent un rôle majeur dans la vie quotidienne des ménages et des entreprises : assurer la fluidité des transactions en mettant à la disposition des agents économiques des moyens de paiement rapides, pratiques et sûrs ; financer par le crédit l’achat d’un logement, d’un équipement ménager, d’une voiture ou d’une machine-outil ; permettre aux ménages comme aux entreprises de placer et de faire fructifier leur épargne. Autant de circonstances qui amènent les banques à intervenir dans la vie économique.

À une échelle macroéconomique, le système bancaire gère, en relation avec la Banque centrale, l’ensemble de la circulation monétaire.

Le système bancaire ivoirien est sous-développé

Le système bancaire ivoirien est sous-développé. Un secteur bancaire est sous-développé lorsqu’il n’accorde pas de crédit et de services bancaires. Dans notre pays, les banques n’arrivent même pas à prêter les dépôts qu’elles collectent. Les dépôts en 2011 s’élevaient à 3694 milliards de franc CFA contre 3136 milliards de franc CFA en 2010. Quant aux crédits bancaires, les banques ont injecté dans l’économie 3 113 milliards de franc CFA en 2011. En 2012, selon les chiffres de l’association professionnelle des banques et établissements financiers de Côte d’Ivoire (APBEF-CI), les ressources des banques s’élevaient à 3701,22 milliards de franc CFA avec 3060,01 comme emplois. Les ressources tirées de la clientèle s’élevaient à 3324,4 milliards de franc CFA et les emplois à 2136,3 milliards de franc CFA. Les banques enferment l’épargne des ivoiriens dans leurs caisses faisant apparaître une surliquidité bancaire. Les banques ont retiré l’argent de la poche des opérateurs économiques pour le garder dans leurs coffres.

En Côte d’Ivoire, la banque reste encore une caisse de dépôts. Elles ont certes démultiplié leurs agences mais elles rechignent à accorder les crédits bancaires. Il est vrai que dans l’ensemble, le secteur bancaire est en pleine croissance, mais les banques ne financent pas encore le développement. En effet, le secteur bancaire s’est étoffé avec 24 banques en 2013 même si le taux de bancarisation en Côte d’Ivoire reste faible de l’ordre de 11 %. Le secteur reste toujours oligopolistique avec la SGBCI qui reste la banque la plus importante du pays et même de la sous-région, avec 79 milliards de FCFA de fonds propres et 800 milliards de FCFA de total bilan. Le taux de liquidité de l’économie, qui est d’environ 20 % du PIB, reste également très faible, comparativement à ceux d’autres pays émergents qui sont à plus de 50 % du PIB. Les crédits à court terme (moins de deux ans) représentent 79%, alors que ceux du moyen terme (de 2 à 10 ans) font 20% et seulement 1% pour le long terme (plus de 10 ans). Les banques n’arrivent pas à collecter et disposer de ressources longues afin d’accroître significativement le financement des investissements lesquels investissements constituent le véritable facteur d’une croissance économique soutenue et durable.

Une absence de réforme bancaire en Côte d’Ivoire

Les autorités actuelles n’accordent aucune importance au secteur bancaire. La raison est simple : le gouvernement actuel préfère endetter le pays que de promouvoir le marché intérieur du capital. Le président Ouattara disait ceci: « Je n’irai plus emprunter dans des institutions publiques. Je vais aller sur les marchés financiers. Si j’ai besoin d’un milliard d’euros pour faire un chemin de fer, parce que j’ai un déficit quasiment nul, parce que le taux d’inflation est bas, parce que le pays est bien géré, je vais emprunter sur les marchés internationaux. Ce ne sera plus nécessaire d’aller au Fonds monétaire international ou d’aller à la Banque mondiale. ». Avec une telle déclaration, il apparaît clairement ici que le Président Ouattara n’accorde aucun intérêt au marché intérieur des capitaux. Pourtant, le développement du marché intérieur des capitaux est une bonne stratégie de financement des économies en développement.

Les experts s’accordent pour dire que la Chine pourrait devenir le plus grand marché bancaire mondial au cours des 15 prochaines années. En effet, la taille des actifs bancaires chinois pourrait dépasser 30 000 milliards d’USD d’ici 2030. Le crédit privé rapporté au PIB est de 152% sur la période 2011-2015, en Afrique du Sud. En Chine ce ratio est de 142%, 68% au Brésil, 52% en Inde, de 69% au Maroc, 77% en Tunisie tandis qu’il se situe à 22% en Côte d’Ivoire.

Pour aller à l’émergence, la Côte d’Ivoire doit développer son marché intérieur du capital et cela passe par une réforme bancaire.

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