Côte d’Ivoire (‎Quartiercarrefour‬ ‪Duékoué‬) Eux ils attendent toujours…la vérité et les coupables ‪

En 2011, plus de 500 maisons du village de Diahouin, dans le département de Duékoué, ont été détruites par les Forces républicaines (FRCI). Photo Chris de Bode. Panos-Rea
En 2011, plus de 500 maisons du village de Diahouin, dans le département de Duékoué, ont été détruites par les Forces républicaines (FRCI). Photo Chris de Bode. Panos-Rea

Côte-d’Ivoire: voix sensibles à Duékoué

Encore marqués par la guerre civile qui a ravagé leur ville en 2011, les habitants s’apprêtent à voter pour élire un nouveau président, dans l’espoir d’une paix durable.

Les murs sont rongés par les herbes folles, il n’y a ni toit ni fenêtres. A l’intérieur, tout a disparu. Les habitants ne sont que des fantômes. Personne ne semble être entré dans ces maisons depuis qu’il y a quatre ans, par centaines, elles ont été pillées et incendiées. Bien qu’usé par la pluie, seul un petit panneau de bois semble un peu plus récent. Planté au bord de la route, il annonce : «Fosses communes 5, 6, 7.»

Dans le quartier Carrefour de Duékoué, une ville de l’ouest de la Côte-d’Ivoire, environ 800 personnes avaient été tuées en seulement trois jours, en mars 2011. Alors que dans la capitale, Laurent Gbagbo, le président sortant, contestait la victoire de son adversaire Alassane Ouattara, reconnue par la communauté internationale, de violents affrontements opposaient les deux camps à l’intérieur du pays. Au total, au moins 3 000 personnes ont perdu la vie, selon un bilan des Nations unies.
Apaiser les esprits

A Duékoué, une ville traversée depuis des décennies par des conflits interethniques, les forces armées pro-Ouattara venues du nord, aidées de chasseurs traditionnels, ont fondu sur Carrefour, ses miliciens et sa population, majoritairement pro-Gbagbo et guérées, l’ethnie locale. Malgré les massacres, le surnom du quartier n’a pas changé. «On disait Carrefour parce qu’avant, ici, des gens très différents se rencontraient et habitaient ensemble, explique Denis, le chef du quartier. Aujourd’hui, les cadavres continuent à nous hanter. Quand vous avez vu la mort de si près, quand vous avez eu si peur, ça reste au plus profond de vous. […] Nos populations sont traumatisées mais il faut regarderdevant nous car si on pense à la violence, nous obtiendrons la violence. Alors je parle de paix pour que nous ayons la paix.»

Alors que l’élection présidentielle du 25 octobre approche et que les affiches électorales colorent peu à peu les murs de la ville, Denis multiplie les tournées et répand la bonne parole. Avec l’aide de responsables d’associations locales, ils sont quelques-uns à frapper aux portes et à s’installer à l’ombre des manguiers pour discuter et apaiser les esprits. Edouard Glahou, un des anciens de la ville, fait la leçon aux plus jeunes : «Le dimanche du vote, tu vas mettre ton bulletin dans l’urne, et après tu rentres chez toi. Pas la peine d’aller voir des adversaires, de les insulter. Il faut que tout le monde soit calme.» La période pré-électorale fait ressurgir les vieilles peurs et les mauvais souvenirs, mais pour beaucoup, en quatre ans, Duékoué s’est apaisé. «En 2010, nous savions tous qu’un jour ou l’autre ça exploserait», explique Tra Bi, un des rares journalistes installé dans la ville. Depuis dix ans, la cité commerçante, proche de la frontière avec le Liberia et la Guinée, où de nombreux malfrats profitaient de la culture de cacao, était le théâtre d’affrontements communautaires. L’insécurité y était forte, les règlements de comptes sanglants, fréquents. «Duékoué était coupé en deux. D’un côté, les populations majoritairement originaires de la région ; de l’autre, les gens venus d’ailleurs. On ne s’aventurait jamais dans le quartier d’en face. Dans chaque camp, les hommes étaient armés. On allait au drame, on le savait, la seule question était « quand ? » poursuit le journaliste. Maintenant, les gens se parlent et se mélangent. Ça a vraiment changé.»

Dans le centre de Duékoué, les rues de terre sont pleines de monde, les affaires ont repris, il y a l’eau courante et beaucoup moins de coupures d’électricité. Certains anciens combattants ont même accepté de déposer les armes et d’adhérer au programme de désarmement et de démobilisation du gouvernement.
«On ne sait jamais»

Dans le pays, plus de 58 000 hommes ont été réinsérés, dont Blanchard et Silué. Ils étaient autrefois ennemis. Désormais, grâce aux 1 200 euros qu’ils ont obtenus en échange de leur kalachnikov, ils élèvent ensemble des poulets. «Nous sommes redevenus des civils, ça a parfois été compliqué de se parler mais maintenant, nous travaillons ensemble. Je peux aller chez Blanchard et il peut venir chez moi, alors qu’il y a quelques années, c’était impossible», explique Silué. Avec leurs 400 bêtes, ils parviennent à peu près à nourrir leur famille. «Etre mercenaire, c’est parfois plus rentable», reconnaît toutefois Blanchard. A demi-mot, les deux hommes avouent que certains de leurs anciens compagnons ont gardé leurs armes : «On ne sait jamais ce qui peut arriver.» D’autres sont toujours en exil au Liberia voisin.

L’inculpation de certains chefs de guerre a calmé les ardeurs des plus belliqueux. «Tous ceux qui ont commis des crimes seront jugés, il n’y aura pas d’exception», a promis, à plusieurs reprises, Alassane Ouattara, le président ivoirien. Sous la pression notamment des organisations de défense des droits de l’homme, la justice ivoirienne a ouvert deux procédures sur les crimes les plus graves de la crise postélectorale. Une cellule spéciale d’enquête et d’instruction a été créée. Deux des présumés responsables des tueries de Duékoué ont été mis en examen : Amadé Ouérémi, un chef de milice, en 2013, et récemment Losséni Fofana, le commandant de la zone de l’ouest pendant la crise. «Il y a eu des hauts et des bas mais, désormais, la justice va dans le bon sens», assure une personne proche des enquêtes.

Trois magistrats sont, à plein-temps, chargés d’instruire les dossiers de la crise. «Il y aura des procès, l’enjeu est maintenant qu’ils soient bien menés et équitables», insiste-t-elle. En attendant d’éventuelles audiences, beaucoup prient à Duékoué. Comme tous les dimanches, les bancs de l’église du père Cyprien sont bondés. Ce jour-là, l’heure est à la fête. Les bâtiments ont été repeints, le gazon est tondu, les enfants jouent au football et se chamaillent, il y a des sourires sur les visages.

Difficile d’imaginer qu’il y a quatre ans, beaucoup de ces fidèles s’étaient réfugiés ici. Quelque 27 000 personnes se sont entassées dans la paroisse, vivant au son des rafales d’armes automatiques dans des conditions précaires. «Duékoué va mieux, mais c’est une ville vulnérable, prévient le curé. Que personne ne s’avise de ramener la violence. Ici, plus qu’ailleurs, la paix est fragile.»
Chacun son tour

Les cloches se mélangent aux chants de la campagne électorale. A quelques centaines de mètres, sur la place principale de la ville, les partisans des principaux candidats à la présidentielle se succèdent. D’immenses portraits des leaders ont été dressés.

A droite de la route, en bleu et rose, Pascal Affi N’Guessan, le chef du parti fondé par Laurent Gbagbo, brandit le «V» de la victoire. A gauche, un Alassane Ouattara géant est tout-sourire.

Face aux neuf autres concurrents, le président sortant est le grand favori du scrutin présidentiel. Vêtus de pagnes à l’effigie de leur champion, les militants des deux camps ne rechignent pas à la tache. Ils collent les affiches, hurlent les slogans et dansent sous la chaleur moite. Chacun leur tour, ils tiennent un meeting et promettent un avenir meilleur à Duékoué.

Jeanne, une commerçante du quartier tend l’oreille et s’amuse un instant de cette agitation. Rapidement, elle se raidit : «Moi, je n’irai pas voter, prévient-elle. J’ai déjà tout prévu, dans quelques jours, je vais quitter la ville pour mon village natal. J’ai peur. Ici, les élections, c’est trop dangereux. La politique ne nous a amené que la violence.»

Anna Sylvestre-Treiner envoyée spéciale à Duékoué pour Libération

 

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