Côte-d’Ivoire Stéphane Kipré interview « L’éligibilité de Ouattara n’a pas été définitivement réglée par le passé »

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Le premier responsable de l’Union des Nouvelles Générations [UNG] fait dans cette interview un tour d’horion de l’actualité électorale en Côte-d’Ivoire. Il répond aux questions sur l’éligibilité de monsieur Ouattara, sur la fiabilité de la présidentielle de 2015, sur les alliances au sein de l’opposition et sur l’état de son parti, l’UNG, dont le président des jeunes, Zagol Alain Durand se trouve à la MACA [prison] suite à la manifestation des jeunes opposants tenue le 9 juin dernier.

Vous avez perdu votre géniteur il y a quelques mois de cela pendant que vous êtes en exil. Dans quel état vous vous trouvez actuellement ?

Oui j’ai en effet perdu mon père et Dieu seul sait combien j’ai été peiné de le voir partir sans pouvoir personnellement lui rendre un dernier hommage. Cependant, je ne vais pas m’apitoyer sur mon sort car je ne suis pas une exception. Beaucoup d’Ivoiriens en exil ou en prison ont perdu des êtres chers sans pouvoir prendre part à cette ultime séparation. Vous m’offrez aussi l’opportunité de dire merci à toutes ces personnes,auxmilitants de l’UNG, aux partis politiques frères et à tous ces anonymes qui m’ont apporté leur soutien lors de cet évènement malheureux.

L’éligibilité de Ouattara refait surface…

Je ne crois pas que cette question ait été définitivement réglée par le passé alors il est tout a fait légitime qu’à l’approche des élections, elle refasse surface. M. Ouattara avait la possibilité de soumettre la constitution à référendum pour faire changer l’article 35 qu’il estime mauvais. Il ne l’a pas fait et il y a lieu de se demander pourquoi après avoir tant combattu cette constitution, il n’a pas eu le courage d’affronter le point de vue du peuple.
Parler donc de l’inéligibilité de M. Ouattara ce n’est insulter personne et lui même le sait puisqu’en 2010, il a accepté d’être candidat à titre exceptionnel. Mais je voudrais que nous retenions que son inéligibilité est le problème le moins important puisqu’une solution politique peut être trouvée comme cela a été le cas en 2005 à Pretoria. Mais pour cela il va falloir qu’il accepte de discuter avec ses véritables opposants

Le camp de Ouattara évoque la jurisprudence…

Avons- nous la même définition de la jurisprudence qu’eux ? On applique généralement le terme de « jurisprudence » à l’ensemble des arrêts et des jugements qu’ont rendus les cours et les tribunaux pour la solution d’une situation juridique donnée. Est-ce le cas avec l’éligibilité de M. Ouattara ? Je n’en ai pas souvenir.
Quand M. Ouattara évoque la jurisprudence pour tenter de fonder son éligibilité, c’est en réalité un aveu implicite de son inéligibilité. Il va chercher le secours de la jurisprudence parce qu’il sait pertinemment que la Constitution ne règle pas son problème.
D’ailleurs, M. Amadou Soumahoro, secrétaire général du RDR déclarait qu’Alassane Dramane Ouattara sera bel et bien candidat à l’élection présidentielle de 2015 puisqu’il va modifier l’article 35 de la constitution qui le rend inéligible. Peut-on après une telle déclaration encore parler de jurisprudence ou targuer quelqu’un de réveiller de vieux démons quand allusion est faite à ce problème d’éligibilité que le régime même n’a pas eu le courage de mettre sur le tapis en sollicitant l’arbitrage du peuple ?

4-Vous ne craignez pas qu’on vous traite de va-t-en guerre ?

Ceux qui ont armé des jeunes pour attaquer notre pays sont connus et notre nom n’y figure pas. Les lois sont faites pour être respectées même si cela semble être le dernier souci de la dictature actuelle qui prospère justement dans le déni du droit.

Le Conseil Constitutionnel…

Ce Conseil Constitutionnel est illégitime et illégal. Il l’est devenu depuis la date où Francis Wodié a été nommé à sa tête. L’article 90 de la Constitution dit que le président de cette institution est nommé pour 6 ans. Yao Paul n’avait pas fini ses 6 ans, il n’avait pas démissionné et Ouattara l’a démis pour nommer Wodié en violation de l’article 90.
Ouattara a fait de l’épouse de Koné Mamadou sa directrice de campagne à Cocody alors que l’article 15 du statut de la Magistrature interdit au magistrat de prendre des actes relatifs à ses fonctions si ses intérêts ou ceux de son épouse sont en jeu. Comment voulez vous que Koné Mamadou applique le droit en défaveur de Ouattara si la femme avec qui il se réveille chaque matin est dans le staff de Ouattara. Je constate à l’instar de l’ensemble des Ivoiriens que ce Conseil Constitution est suspect et ne mérite la confiance de personne.

Pour en revenir à l’inéligibilité de Ouattara, avez-vous entrepris des démarches auprès des missions diplomatiques, des religieux et de la société civile ?

Non ! Nous n’entreprenons pas des démarches envers des diplomates pour parler exclusivement de l’inéligibilité de Ouattara Mais nous dénonçons aussi le manque de démocratie dans notre pays. Nous dénonçons le fait que cinq années après, plus de 500 Ivoiriens soient maintenus en prison, sans jugement pour des raisons politiques ! Nous réclamons que le régime Ouattara prenne toutes les dispositions pour faciliter le retour d’exil de nombreux Ivoiriens qui vivent dans la précarité et le dénuement le plus total ! Nous réclamons le dégel des avoirs. Avec quels moyens par exemple pouvons nous aller à des élections et faire campagne tandis que nos avoirs sont gelés ? En un mot, nous disons qu’il faut régler les problèmes liés à la crise postélectorale de 2010 avant d’organiser de nouvelles élections. Ayons le courage de nous asseoir pour discuter franchement car aucun sacrifice ne sera trop grand pour éviter le chaos à notre pays.

Que pensez-vous de la Commission Electorale Indépendante ?

Le fait même que vous me posiez cette question prouve qu’elle est problématique ! Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, il y a deux blocs politiques : le Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) et ses satellites et la Coalition Nationale pour le Changement (CNC) qui regroupe les véritables opposants et des candidats déclarés. Pouvez vous comprendre que la CNC qui a en son sein plusieurs candidats déclarés ne soit point représentée dans cette commission censée arbitrer les élections ? En plus de cela, je pense personnellement que Youssouf Bakayoko à la tête de la CEI c’est une insulte à l’intelligence des Ivoiriens et c’est une profanation de la mémoire des victimes de la crise postélectorale de 2010. De vous à moi, quelle compétence ce monsieur a-t-il démontrée dans sa mission à la tête de la CEI en 2010 pour qu’il soit reconduit ? Au contraire c’est son incompétence qui a conduit la Côte d’Ivoire à la guerre. Donc quand Alassane Ouattara le reconduit, ça veut dire qu’Alassane Ouattara veut s’imposer à la Côte d’ Ivoire dans les mêmes conditions qu’en 2010. Offrons une chance à la paix en cassant cette CEI des partis politiques.

Pascal Affi N’guessan vient ce jeudi, de déposer sa candidature. Quel commentaire cela vous inspire.

En toute franchise, cela m’importe très peu. Pascal Affi N’guessan est dans le rôle que Ouattara lui a confié. Il sait lui-même qu’il est candidat pour obtenir des strapontins ministériels et non la magistrature suprême.

On parle de plus en plus de transition. Des partis l’ont même réclamé. Quelle est la position de l’UNG sur la question ?

Arrêtons de jouer avec les mots. Que l’on l’appelle transition, report technique ou changement de date, ce qu’il faut retenir, c’est que les Ivoiriens ne sont pas prêts à aller aux élections en octobre 2015. Il faut régler des questions urgentes avant d’envisager d’aller aux élections : libérons les prisonniers politiques, travaillons au retour des exilés, réorganisons la Commission Electorale Indépendante et le Conseil Constitutionnel, créons les conditions d’une véritable réconciliation sinon nous fonçons tout droit dans un mur. Si par transition, l’on entend le fait de repousser la date de l’élection présidentielle afin que tous les écueils que nous soulevons soient aplanis, alors j’y souscris pleinement.

Le FPI, votre allié vient a contrario d’appeler ses militants à boycotter par tous les moyens légaux les futures élections…

J’avoue comprendre cette position du FPI car cela fait des années que nous réclamons des discussions franches avec le pouvoir en place pour régler tous les problèmes. Mais celui-ci, fort de la terreur qu’il inspire aux Ivoiriens semble n’avoir cure de ces propositions pertinentes. La convention à venir de notre parti nous permettra de dégager nous aussi une position claire sur toutes ces questions liées aux élections. Je garde cependant espoir que ceux qui ont en main,contre sa volonté les destinés de notre peuple soient habités par la sagesse afin que nous n’arrivions pas à des situations extrêmes.

Votre parti a annoncé une convention pour la mi-septembre à Daloa. A quoi devons-nous attendre ?

La convention est un organe statutaire de notre parti.Elle est prévue les 11, 12 et 13 septembre sous le thème suivant : « l’UNG face aux enjeux des élections de 2015 » Elle permet à la direction et aux militants de se retrouver pour réfléchir sur la marche de notre structure politique et se prononcer sur les sujets importants du moment. Depuis la crise de 2010, c’est la première fois que nous nous retrouvons en convention alors elle revêt une importance capitale tant par les sujets qui y seront abordés que par les enjeux de l’élection présidentielle à venir puisque nous ferons connaître notre position à ce sujet à cette convention.

Le réveil de votre parti sur le terrain, coïncide malheureusement avec une vague de démissions de certains de ses responsables. Qu’est- ce qui explique cela ?

Non, il n’y a pas de vague de démissions à l’UNG. Quelques camarades ont estimé qu’ils étaient arrivés au bout de la course avec nous et nous avons pris acte de leur départ sans haine ni rancœur parce qu’en même temps qu’ils partent, nous enregistrons de nombreuses adhésions qui consolident notre parti et nous rendent meilleurs qualitativement et quantitativement. Vous le dites vous même, notre parti occupe aujourd’hui le terrain politique et c’est le plus important. Les quelques camarades qui se sont laissés manipuler et sont partis savent que la porte leur reste toujours ouverte.

Vous avez plusieurs militants emprisonnés, comment l’UNG gère cette situation ?

En effet, on ne le dit pas assez mais c’est une cinquantaine de camarades que notre parti compte aujourd’hui en prison. Hormis Zagol Alain Durand, le président de la jeunesse dont l’arrestation a été rocambolesque, nous y comptons aussi le secrétaire national Datte Frederick et de nombreux militants anonymes qui attendent depuis des années que le régime Ouattara veuille bien les juger afin que leur innocence soit prouvée et par conséquent qu’ils soient élargis. Le régime s’est donné pour mission de décapiter notre jeune formation politique mais nous résistons et nous tenons fermes. Nous continuons de porter assistance à nos camarades en prison et à ceux qui sont en exil. Nous continuons démocratiquement d’exiger leur libération parce qu’il est impossible de construire la Côte d’Ivoire avec autant d’exilés et de prisonniers politiques. Au delà des militants de l’UNG en prison, la situation de tous les prisonniers politiques et militaires est préoccupante.

Que recherche l’UNG dans la CNC ?

L’UNG est dans la CNC et nous nous y sentons très bien car la raison de notre présence dans cette coalition est de nous unir pour obtenir par notre lutte la démocratie et la liberté en Côte d’Ivoire. Le jour que ce objectif sera atteint ou changera nous aviserons comme cela a été le cas à l’AFD (NDLR : Alliance des Forces Démocratiques dirigée par un certain Pascal Affi N’guessan) quand certains ont voulu se l’approprier pour mener des combats à titre personnel, combats perdus d’avance, mais avec la CNC ce n’est pas le cas pour le moment.

Vous avez coutume de dire que le chef de l’Etat a échoué et pourtant on ne peut occulter certaines avancées notables de son régime.

M. Ouattara a battu campagne en 2010 notamment sur le coût élevé de la vie, il stigmatisait le prix des denrées de première nécessité. Demandez maintenant aux Ivoiriens combien coûte le prix du kilogramme de l’huile, le kilogramme de viande, le litre d’essence et de la tomate par exemple ? Les prix sur les marchés ont flambé. M. Ouattara avait aussi promis 5 universités, soit une université par année de gouvernance l’accouchement gratuit, une assurance maladie et des logements sociaux, etc. Quand la preuve me sera apportée qu’il a tenu ces promesses, je le féliciterais publiquement. En vérité l’acharnement de Ouattara consistait à prendre le pouvoir pour appauvrir le peuple et se bâtir une posture pour s’enrichir lui et ses proches.

Et les infrastructures ?

Il y a quelques améliorations au niveau des infrastructures et cela est indéniable même si plusieurs d’entre elles étaient déjà en cours d’exécution. Mais malgré cela, les Ivoiriens vous rétorquent ironiquement qu’on ne mange pas le goudron. C’est dire qu’ils ont des problèmes existentiels que le gouvernement ne s’empresse pas de résoudre. Il y a aussi une vérité qui est que la majorité des chantiers qui ont démarré sous le pourvoir Ouattara sont confiés à des entreprises pour les récompenser de leur participation active dans la guerre contre la Côte d’Ivoire pour la prise du pouvoir. Cela a été le cas de la rénovation de l’université de Cocody. Ce qui se passe est qu’on utilise l’argent du peuple pour l’endetter pour des décennies en lui faisant croire qu’on lui offre des routes alors que nous sommes toujours dans le partage du butin de guerre. Voilà pourquoi tous ces chantiers sont facturés à des coûts nettement supérieurs à leur valeur réelle.

Que doivent retenir les Ivoiriens aujourd’hui de l’Union des Nouvelles Générations ?

Nous sommes un jeune parti mais un parti qui a un projet de société pour la Côte d’Ivoire que nous mettons au dessus de tout. Pour nous, il est temps que notre pays remporte la bataille de l’indépendance politique afin de gagner l’indépendance économique. C’est pour cela que nous restons attachés au combat du président Gbagbo qui ouvre une perspective sur l’aboutissement de cette lutte. Pour le moment, nous pensons qu’il faut aider la Côte d’Ivoire à se libérer du régime Ouattara par tous les moyens légaux car il constitue un obstacle à cette volonté de liberté et d indépendance véritable de notre peuple. Voilà pourquoi depuis quatre ans nous sommes engagés dans ce combat aux cotés du peuple qui tient et doit continuer de tenir puisque nous ne sommes plus loin de la victoire finale. Tous les signaux positifs nous font dire que le soleil va se lever bientôt sur nos espérances.

Par A.A.

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