Ces Frci: héros ou bourreaux ? par Tiburce Koffi

A la mémoire de Barthélemy Tahi Krou et d’Alla Anatole

Il s’appelait Barthélemy Tahi Krou. On le conjugue aujourd’hui au passé car il n’est plus parmi nous depuis le jeudi 15 décembre dernier. Décédé à la suite d’un arrêt cardiaque. Sa vie a fini comme dans une fin de chapitre d’un roman ou une pièce tragique. On peut (re) dire une part de son histoire.

Elle est loin d’être originale, tant elle se confond avec celle de ces milliers d’Ivoiriens qui ont vu l’effort de toute une vie de labeur honnête passer entre des mains rapines de soldats appelés Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire). Tahi Krou était un enseignant de l’Institut national des arts et de l’action culturelle (Insaac). Il étai à la retraite. Une retraite qu’il avait patiemment préparée, et avec bonheur : il s’était ‘‘offert’’ un véhicule 4×4.

— un luxe, sinon un privilège, quand on sait ce que touche un enseignant ici. Ce véhicule lui a été arraché, il y a quelques mois, par des éléments des Frci. Nombre de nos concitoyens ont été victimes de la fureur rapine de ces étranges soldats destinés à servir la République. En vain Tahi Krou avait-il mené des démarches auprès des autorités afin que son véhicule lui soit rendu. On dit qu’il lui arrivait de voir, parfois, en ville, son véhicule rempli de soldats en armes, et s’offrant le plaisir insolant de rouler en sens interdit. Et, toutes les fois qu’il voyait ce spectacle affligeant, il songeait, Tahi Krou, à toute sa vie professionnelle investie dans l’a- chat d’un véhicule désormais aux mains d’hommes en treillis républicains. Des impunis. Barthélemy Tahi Krou. Il était, m’ont dit ses collègues hier, la mémoire sonore de cet institut des arts aujourd’hui en état de ruine. Il avait enregistré, pour leur conservation et transmission, des centaines de textes musicaux du patrimoine culturel ivoirien. Un travail aussi colossal qu’utile ; et cela suffisait à donner un sens à sa vie professionnelle. Puis, sont arrivées nos années sèches : plus d’une décennie de régence nègre, brouillonne. Palabres sauvages, déchirures fratricides, entretien de la fracture sociale, climat exacerbé de belligérance, culture de la jactance offensante et offensive. Et, par-dessus tout, le délabrement de l’administration, de l’institution scolaire et universitaire, la dévalorisation du métier d’enseignant. Bien mortes les ambitions des chercheurs ! Conservation du patrimoine musical traditionnel national ? Qu’est-ce que c’est que ça encore ? Que va-t-on en foutre, pardi ! Il y avait plus urgent : la Fesci, le zouglou, la Sorbonne, la promotion des giga maquis, la roublardise politique ; enfin, l’abêtissement de tout un peuple par des politiciens enragés et félons… Que devient Barthélemy Tahi Krou au milieu de tout cela ? Un cerveau en errance, un chercheur frustré, un enseignant aux idéaux crevés, et déjà à la retraite ! Seul souvenir heureux de ces temps de labeur non ensemencés : le véhicule 4×4 qu’il s’était offert

— couronnement d’un honnête parcours social. Mais ils lui ont arraché son véhicule. Ils : une bande de gamins armés appelés Frci. Oh ! Ils ne se sont pas toujours offerts à nous sous ces traits-là, d’agents de la terreur qui nous causent aujourd’hui tant de peine. Ils furent, bien au contraire, de braves soldats. Des héros même

— nos héros, quand le régime d’hier mitraillait notre peuple de balles enragées et criminelles ! C’était le temps de l’épreuve virile et de l’adversité rouge ! Que s’est-il donc passé pour qu’aujourd’hui, nos libérateurs d’hier deviennent ces bourreaux qui nous infligent tant de supplices au mois ? Vavoua, Tabou, Toumodi, Bingerville, Koumassi… tant de ces noms de villes tâchées de sang, sous la fureur rouge de nos héros d’hier ! La récente tragédie de Vavoua n’est qu’une goutte d’eau dans un vase déjà à ras bord et suscitant, depuis un bon bout de temps, un ras-le-bol collectif. Le Chef de l’Etat, en dirigeant responsable, a reconnu la faille, pris conscience de l’ampleur du désastre et de ces manquements républicains qui continuent de semer deuils et misères dans ce pays déjà si las de souffrances endurées. Les résolutions rigoureuses qu’il vient d’annoncer augurent de lendemains rassurants. Reconnaître les fautes, identifier les fautifs et prendre des mesures rigoureuses pour endiguer le mal : c’est ce que l’on attend d’un vrai chef… Comme récemment celle de Bingerville, la tragédie de Vavoua nous a interpellés. Parce qu’elles ont été d’une amplitude sociale très prononcée. Mais combien d’individus isolés ont perdu la vie, dans l’anonymat, du fait des agissements brutaux et violents de nos Frci ? Parmi ces nombreuses victimes, Barthélemy Tahi Krou, Alla Anatole (ex-chef de cabinet de l’ex-maire de Bouaké, Konan Konan Denis), mort, lui aussi, d’une attaque cardiaque, et dans le dénuement: il avait perdu tous ses biens, à Bouaké, dès le début de la rébellion, en 2002. Alla Anatole, Barthélemy Tahi Krou. Milles révoltes, déceptions et frustrations dans leur cœur fragile d’enseignant rêveur, bosseur et, sans doute, idéaliste, et de cadre honnête de l’administration. Cette nuit mauvaise du jeudi 15 décembre, le cœur de Tahi Krou a cédé. Comme celui d’Alla Anatole. Qu’hommage soit rendu à ces dignes serviteurs de la culture, des arts, et de l’administration ivoirienne.

Par TIBURCE KOFFI

tiburce_koffi@yahoo.fr

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