Alassane Ouattara, chef d’Etat d’urgences

Par Vincent Hugeux – lExpress.fr

La cérémonie d’investiture de ce samedi n’offrira au nouveau président ivoirien qu’un bref répit. Car il lui faut panser sans tarder les plaies d’un pays meurtri.

Défi n°1: la sécurité

Enfin, les difficultés commencent… Parmi les nombreux chantiers auxquels s’est attelé Alassane Dramane Ouattara (ADO) -dont la cérémonie d’investiture, solennelle et fastueuse, aura lieu le 21 mai à Yamoussoukro-, celui de la sécurité passe pour le plus délicat.  » Une tâche de longue haleine, admet un expert élyséen, complexe et coûteuse « . L’élu doit sans tarder désigner un chef d’état-major jugé acceptable par le Premier ministre Guillaume Soro, titulaire du portefeuille de la Défense, Dans le rôle du favori, le général Michel Gueu, un fils de l’ouest d’ethnie yacouba, qui fut en 2002 le premier officier supérieur à rallier les insurgés nordistes. Quant au statut d’outsider, il revient à Mathias Doué, chef d’état-major de l’ère Laurent Gbagbo jusqu’à leur  » divorce  » de 2004, fraîchement rentré d’exil.

Autre priorité, la mise au pas des barons des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) et autres « comzones » -commandants de zones-, issus de l’ex-rébellion. Il s’agit de les convaincre de rentrer dans le rang, voire de se reconvertir dans les affaires ou la politique, quitte à briguer un mandat de député lors des législatives prévues en fin d’année. On n’en est pas là: pour l’heure, les centurions ouattaristes, enrichis huit années durant grâce aux trafics divers et aux taxes instaurés sur leurs « territoires », se partagent le contrôle de la capitale économique Abidjan, divisée comme le souligne la dernière livraison de La Lettre du Continent, en quatre secteurs. A tout seigneur (de la guerre) tout honneur: l’ancien patron des Forces nouvelles Issiaka Ouattara, alias Wattao, s’est adjugé les quartiers de Marcory, Koumassi, Port-Bouët et Treichville. Chérif Ousmane, hier prince de Bouaké, régente les communes du Plateau et d’Adjamé, annexant au passage les bureaux qu’occupait au Camp Gallieni Philippe Mangou, successeur de Doué à la tête de l’état-major, et dont l’allégeance tardive ne suffira pas à sauver la carrière. Quant aux satellites urbains de Yopougon, Abobo, Anyama, Cocody et Attécoubé, ils échoient à une poignée d’autres caïds.

Casernes et des commissariats annexés par les cadors des FRCI

Cette mainmise masque un phénomène préoccupant: l’impossibilité, pour les gendarmes et policiers, de regagner des casernes et des commissariats annexés par les cadors des FRCI. La normalisation qu’exige un tel état de fait conduira selon toute vraisemblance le nouveau pouvoir à sacrifier quelques « seconds couteaux », incriminés notamment dans les carnages du Duékoué. Elle devra s’accompagner d’une purge dans les rangs des ex-Forces de défense et de sécurité (FDS) acquises au putschiste électoral Laurent Gbagbo, ainsi que d’une neutralisation des miliciens ivoiriens et libériens qui sévissent encore dans l’ouest. A la demande de Ouattara, Paris a dépêché auprès de lui un colonel familier du pays des Eléphants, pourvu du titre de « conseiller spécial », et chargé notamment d’oeuvrer à ses côtés à la réforme de l’armée nationale.

Sa martiale mission accomplie, Guillaume Soro pourrait quant à lui conquérir le siège de député de Ferkessedougou, son fief nordiste, avant d’accéder au perchoir de la future Assemblée nationale, cédant ainsi la primature à un cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), issu de préférence du groupe ethnique akan (sud). Autre voeu d’ADO, la fusion de cette formation et de son Rassemblement des Républicains (RDR). Le nouveau mouvement, héritier du PDCI de l’ère Houphouët-Boigny, serait placé sous le patronage de l’ancien président Henri Konan Bédié. Lequel, conseiller très écouté de Ouattara, n’attend pas d’étrenner les atours du patriarche pour placer ses fidèles dans quelques-uns des fauteuils les plus convoités de la Côte d’Ivoire nouvelle. Enfin, la plupart des parrains occidentaux d’ « Alassane » l’incitent à intégrer dans son gouvernement quelques figures acceptables « de sensibilité FPI ». En clair, d’anciens membres du Front populaire ivoirien, parti fondé par Gbagbo, épargnés par le dérive postélectorale des faucons du régime déchu.

A ce stade, Paris juge la performance politique de Ouattara « plutôt bonne » et affiche un optimisme prudent. Sur le front de l’économie, aujourd’hui en cale sèche, l’Elysée mise sur sa compétence, la qualité de son équipe et le formidable potentiel humain, agricole, pétrolier et portuaire de l’ancienne « locomotive » ouest-africaine. S’agissant des impératifs de justice et d’apaisement, la France « fait confiance » au tombeur de Gbagbo, approuvant au passage la création d’une Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation, confiée à l’ex-Premier ministre Charles Konan Banny. Une certitude: il faudra à celui-ci beaucoup de doigté et de persévérance pour trouver l’antidote au poison identitaire inoculé dix années durant à l’Eléphant ivoirien par une cohorte d’apprentis-sorciers.

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