Quand on a une compassion sélective, on devient un indigne dignitaire

Comme si son silence face aux massacres de Duékoué, Nahibly, Gitrozon, Adebem et Anonkoua-Kouté par les soudards de Dramane Ouattara n’était pas suffisamment grave, comme s’il était dans sa nature de plaire encore et toujours à ces voyous et criminels qui ont pris notre pays en otage, Jean-Pierre Kutwã a ajouté, ce 30 décembre 2019, la discrimination à une collusion de 10 ans avec un régime vomi et honni en “suppliant” Ouattara “de faire sortir de prison ceux qui ont été arrêtés dernièrement”. Et les autres, c’est-à-dire tous ceux qui croupissent en prison depuis 2011, ne méritent-ils pas, eux aussi, la compassion du conseiller attitré de Dramane Ouattara ? N’ont-ils pas le droit de respirer l’air de la liberté ? Sont-ils moins importants que les partisans de Soro ? Sont-ils des animaux ? Et puis, entre nous, sont-ils plus coupables que tous les comzones incultes que Monsieur Ouattara a promus et enrichis ? La Commission Dialogue, vérité et réconciliation (CDVR), pour laquelle on décaissa des milliards de francs CFA mais dont le rapport ne fut jamais publié, soutient-elle que seuls les pro-Gbagbo ont commis des crimes entre 2002 et 2011 ?

En parlant de “ceux qui ont été arrêtés dernièrement”, Kutwã n’a pas été victime d’un lapsus linguae mais a dévoilé publiquement ce qu’il est en réalité : complice d’un régime qui a utilisé des arguments farfelus pour endeuiller, terroriser et appauvrir les Ivoiriens. Je suis arrivé à la conclusion, après analyse de ses discours et de son comportement, que cet homme n’a rien d’un chrétien et que, s’il servait vraiment le Dieu de justice et de vérité, s’il travaillait véritablement pour le Dieu dont Paul affirme qu’il ne fait point acception de personnes (Romains 2, 11), l’archevêque d’Abidjan ne ferait pas montre d’une indignation aussi sélective car en plaidant uniquement pour les députés et militants proches de Kigbafori Soro arrêtés et incarcérés à la MACA il y a quelque temps, il donne l’impression que, pour lui, tout comme pour Salomon Lezoutié et Siméon Ahouanan devenus étrangement muets depuis le 11 avril 2011 alors que les maux qu’ils dénonçaient hier n’ont pas disparu, Dogbo Blé, Anselme Séka Yapo, Jean-Noël Abehi et d’autres valeureux soldats peuvent rester et mourir en prison. On a le sentiment que, pour lui, un militaire n’a pas le droit de défendre son pays quand celui-ci est attaqué par des rebelles soutenus par la coalition franco-onusienne dont on nous avait pourtant dit qu’elle était neutre et qu’elle avait pour mission de protéger les populations. Bref, on est tenté de penser que, aux yeux de Kutwã, Laurent Gbagbo a commis un crime en refusant d’accepter des résultats partiels et provisoires proclamés hors délai dans le quartier général de son adversaire et que, dans son entendement, l’Église catholique ne devrait reconnaître et respecter que les dirigeants africains capables comme Dramane Ouattara de se prosterner devant la France et de lui offrir nos richesses sur un plateau.

“Vénération des autorités établies, déférence envers les puissants et les riches, insensibilité à la détresse des foules ignorantes et démunies, collaboration ostentatoire avec un régime qui se maintient par l’effusion du sang ininterrompue, telles sont quelques tares dont souffre l’Église camerounaise” , écrivait Mongo Beti dans les années 1970 dans “Main basse sur le Cameroun” (Montréal, Éditions québécoises, 1974, p. 94). Il ne serait pas exagéré d’appliquer ce constat au cardinal Kutwã, dignitaire sans dignité s’il en est, puisque c’est avec son accord qu’Hamed Bakayoko fut autorisé à prendre la parole au cours de la messe dans deux paroisses de l’archidiocèese d’Abidjan (Saint-Philippe d’Abobo-Sagbé et Saint-Marc d’Abobo Akéikoi) les 16 et 30 septembre 2018. Quelques millions de francs CFA étaient la contrepartie de ce sacrilège.

J’espère que nous saurons un jour pourquoi l’abbé Patrice Savadogo, présent à la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan la nuit où Robert Gueï fut capturé et assassiné, sert comme prêtre fidei donum au Canada depuis l’année pastorale 2017-2018. Pour l’heure, j’éprouve, comme tant de fidèles catholiques ivoiriens, tristesse et déception pour une Église dont beaucoup étaient fiers hier parce que Mgr Bernard Yago se battait bec et ongles pour qu’elle ne fût pas assujettie à Houphouët, pour qu’elle rende toujours témoignage à la vérité et à la justice , pour qu’elle prenne constamment le parti des pauvres et des faibles, bref pour qu’elle soit “la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche” (Aimé Césaire).

Jean-Claude DJEREKE

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