Source: Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF)
Si tous les pays du monde, y compris les pays occidentaux, pratiquent la propagande d’une manière ou d’une autre, ce qui est différent dans le cas du Rwanda est que le régime à la tête de ce pays se livre à un usage excessif de cette arme de communication. Une méthode qui nous rappelle celle de certains pays communistes de l’époque de la guerre froide, et un niveau de propagande qui n’avait encore jamais été atteint par un autre pays africain.
Un an après la désignation de l’ancienne numéro deux du régime rwandais à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), lors du sommet d’Erevan des 11 et 12 octobre 2018, voici donc dix points à connaitre sur le Rwanda afin de rétablir la vérité : cinq points d’ordre économique et social, et cinq autres d’ordre politique.
1. Le Rwanda est l’un des pays les plus pauvres du continent, avec un PIB par habitant de seulement 773 dollars début 2019, selon les données fournies par la Banque mondiale. Un niveau plus faible que celui de nombreux pays d’Afrique subsaharienne pauvres en richesses naturelles, comme la Sénégal (1522 dollars, soit +97 %), le Mali (901 dollars, soit +17 %), le Bénin (902 dollars, soit +17%) ou encore la Côte d’Ivoire (1715 dollars, soit +122 %). Un écart très important avec ce dernier pays, mais qui n’a pourtant pas permis au Rwanda de réaliser une croissance économique supérieure ou égale sur les sept dernières années (période 2012- 2018).
2. De 2014 à 2018, des populations du sud et du nord-est du pays ont été frappées par une grave crise alimentaire, suite à une sécheresse ayant également touché d’autres pays d’Afrique de l’Est. Cependant, le gouvernement rwandais a été le dernier des gouvernements de la région à reconnaître cette situation dramatique et à demander, en catimini en 2016, l’appui du Programme alimentaire mondial (PAM, une des structures de l’ONU), préférant ainsi laisser se dégrader la santé d’une partie de la population plutôt que de faire connaître son échec à subvenir aux besoins les plus élémentaires des habitants du pays. Une attitude qui rappelle, justement, celle de pays totalitaires communistes de l’époque de la Guerre froide.
Le mot N’arama, qui signifie « que ta vie soit longue » en Kinyarwanda (première langue du pays), est d’ailleurs un des termes utilisés par les populations concernées pour désigner discrètement cette période de quasi-famine, afin de ne pas se faire arrêter par la police ou par l’armée.
Mais à cette crise alimentaire s’ajoute à un autre problème structurel et touchant, à divers degrés, toutes les régions rurales du pays : celui de la malnutrition chronique des enfants de moins de cinq ans. Selon les dernières données disponibles (officielles et reprises par l’ONU), 37 % des enfants rwandais de cette tranche d’âge étaient frappés par ce problème en 2017. À titre de comparaison, ce taux n’était pas bien plus important en RDC voisine (43%), qui connaît pourtant de graves difficultés.
3. Dans le « pays des mille collines », de nombreux chômeurs sont officiellement considérés comme des « agricultures », profession automatiquement inscrite sur leur carte d’identité. De même, de nombreuses personnes se livrant, hélas, à la prostitution, sont également « agricultrices ». Cette politique permet ainsi de présenter des statistiques officielles fort éloignées de la réalité, sur le niveau réel de pauvreté dans le pays.
À tel point que nombreux sont les experts, travaillant au sein d’institutions internationales ou pour des organismes de recherche privés, à ne plus accorder le moindre crédit aux chiffres officiels présentés par le régime. En se basant sur différentes données, un expert international belge était parvenu à la conclusion que la grande pauvreté aurait progressé de six points de pourcentage entre 2010 et 2014 (passant de 44,9 % à près de 51 %, avant la sécheresse), alors que les autorités annonçaient une baisse significative et du même ordre, à 39,1% ! Autre exemple, un ancien expert de la Banque mondiale, Bert Ingelaere, publiait en 2017 un article intitulé « Le président pour toujours du Rwanda », et dans lequel il disait que sa hiérarchie avait décidé de détruire toutes les informations récoltées sur place lors d’une vaste étude sur la pauvreté, menée par lui-même et par d’autres spécialistes de l’organisation, suite aux pressions exercées par le régime rwandais et avant que la moindre analyse des données ne soit effectuée. Par ailleurs, d’autres experts affirment également que le gouvernement rwandais a tendance à gonfler les taux de croissance réalisés par le pays, ou encore à réduire considérablement les taux réels d’inflation.
De fortes critiques qui, toutefois, ne se font pas entendre au plus haut niveau de ces institutions, le régime rwandais bénéficiant d’une protection totale et très active des États-Unis et du Royaume-Uni, qui avaient patiemment œuvré à installer Paul Kagame au pouvoir (en finançant et en armant le FPR – Front patriotique rwandais, qui, dirigé par Paul Kagame, avait multiplié les attaques meurtrières au Rwanda à partir de l’Ouganda au début des années 1990, sans ne jamais respecter le moindre accord de cessez-le-feu, et créant ainsi une climat de peur et de paranoïa ayant tristement conduit au génocide. Un drame dont le fait déclencheur fut l’assassinat simultané de deux présidents, ceux du Rwanda et du Burundi, par le tir d’un missile ayant abattu l’avion qui les transportait. Un double assassinat unique dans l’histoire de l’humanité).
4. Depuis plus de 20 ans, le Rwanda est l’un des tous premiers pays bénéficiaires de l’aide publique au développement (APD) dans le monde. Sur la période de cinq années allant de 2013 à 2017, selon les dernières données de l’OCDE et proportionnellement à sa population, le Rwanda a été le troisième principal bénéficiaire d’aides étrangères sur l’ensemble du continent africain (hors pays en guerre, comme le Soudan du Sud, et hors très petits pays de moins d’un million d’habitants, essentiellement insulaires). Avec une enveloppe annuelle de 1,116 milliard de dollars en moyenne, il n’a été devancé, par habitant, que par le Liberia et la Sierra Leone (deux pays anglophones faisant partie des trois pays le plus pauvres d’Afrique de l’Ouest, avec le Niger).
À titre de comparaison, le Bénin et le Burundi (pays voisin du Rwanda, et un des quatre pays le plus pauvres du continent, avec le Malawi, le Soudan du Sud et la Somalie), comptent une population à peu égale à celle du Rwanda (10,6 et de 10,2 millions d’habitants en moyenne sur cette période, respectivement, contre 11,4 millions, selon l’ONU), mais n’ont reçu que 572 et 522 millions de dollars d’aide par année en moyenne, respectivement. En d’autres termes, le Rwanda a reçu 81 % et 91 % d’aides par habitant en plus que le Bénin et le Burundi, respectivement. Autre comparaison possible, l’Ouganda, autre pays voisin du Rwanda et huitième pays le pauvre du continent (avec un PIB de 643 dollars, début 2019), n’a bénéficié que de moitié plus d’aides sur la même période (1,745 Md de dollars par année en moyenne), alors que le pays est 3,4 fois plus peuplé. Ainsi, le Rwanda a proportionnellement reçu 116 % d’aides supplémentaires par habitant que son voisin du nord.
Ces financements massifs que reçoit le régime rwandais sont principalement versés par les États-Unis et le Royaume-Uni, ce qui démontre bien que la Rwanda est particulièrement « ciblé » par les aides américaines et britanniques. Compte tenu de la grande pauvreté qui frappe encore le pays (en dehors de sa capitale Kigali), de la très petite taille du territoire rwandais (12 fois plus petit que la Côte d’Ivoire, par exemple, ce qui rend facilement accessible l’intégralité du territoire, et bien plus facile la mise en œuvre d’une politique nationale de développement), et compte tenu des éléments se trouvant dans le point n°5 (ci-dessous), la question qu’il convient de se poser légitimement est donc la suivante : où va l’argent ?
5. Depuis 2013, le Rwanda est le premier producteur et exportateur mondial de tantale, un élément stratégique extrait à partir d’un minerai appelé coltan. Pourtant, le sous-sol rwandais est très pauvre en coltan, dont le Congo-Kinshasa (ou RDC) détient, à lui seul, plus de 60 % des réserves mondiales (pourtant dispersées sur plusieurs continents). Ce paradoxe s’explique, simplement et tristement, par le pillage massif et systématique des riches naturelles de l’est de la RDC voisine.
Un pillage de type « colonial » (et même plus grave encore, la RDC n’en retirant aucun bénéficie), qui n’existe plus ailleurs sur le contient, qui se fait au vu et au su de tous, et ce, sans la moindre sanction internationale. Il est d’ailleurs regrettable de constater une certaine indifférence des pays africains eux-mêmes, qui s’honoreraient à se montrer plus solidaires du peuple congolais frère, véritable victime du régime rwandais depuis de nombreuses années. Un régime dont le président est parfois surnommé le « Hitler africain » par les Congolais, étant responsable de la mort de millions de personnes dans l’est du pays, sur les 25 dernières années (la plus grande catastrophe humaine depuis la seconde guerre mondiale). Une responsabilité qui a encore été récemment rappelée par le très respectable et respecté M. Faustin Twagiramungu, homme de paix et de dialogue ayant perdu 36 membres de sa famille lors du génocide, et qui avait occupé la fonction de Premier ministre du Rwanda au lendemain de ce drame (et non avant, point important à souligner). Une personnalité aujourd’hui en exil, et en danger.
Ce génocide rwandais qui est « à 100 % de la responsabilité américaine… Il est de la responsabilité de l’Amérique, aidée par l’Angleterre, mais il y a aussi la passivité des autres États », selon les propres termes de l’ancien secrétaire général de l’ONU, M. Boutros-Ghali, en 1998, près de deux années après avoir quitté ses fonctions à la tête de l’organisation. Une affirmation bien sûr exagérée (ceux ayant commis les massacres étant les premiers responsables), mais fort révélatrice du niveau d’implication américaine dans ce terrible drame. Les États-Unis qui avaient longtemps interdit à l’ONU d’utiliser – et donc de reconnaître – le terme « génocide » afin d’empêcher toute intervention visant à arrêter les massacres, et ce, jusqu’au 08 juin 1994, soit 23 jours après la France (qui avait été la première grande puissance à parler ouvertement de génocide, dès le 16 mai 1994) et des centaines de milliers de morts plus tard.
Un blocage volontaire des États-Unis, pour qui il fallait absolument que le FPR du Paul Kagame prenne d’abord le contrôle de la majeure partie du pays, avant de reconnaître le génocide et de permettre ainsi à l’ONU de demander une intervention militaire humanitaire. Quitte à laisser se faire massacrer presque tous les Tutsis du pays et les Hutus qui leur étaient proches (et auxquelles s’ajoutent les dizaines de milliers de civils hutus massacrés par les forces du FPR). Et une fois le feu vert de l’ONU obtenu, et même si elle aurait pu faire davantage, la France fut tout de même la seule puissance à accepter d’intervenir, sauvant ainsi la grande majorité des survivants tutsis du sud-ouest du pays. Dans un monde « juste et parfait », Bill Clinton comparaitrait devant un tribunal pénal international, de préférence situé en Afrique, afin d’être jugé pour complicité de génocide.
6. Le Rwanda est l’un des quatre régimes les plus totalitaires du continent africain, qui sont au « degré zéro » de liberté d’expression (avec l’Égypte, l’Érythrée et le Eswatini, anciennement Swaziland et dernière monarchie absolue du continent). Tous les opposants politiques qui ne quittent pas le pays sont soit exécutés, d’une manière ou d’une autre, soit jetés en prison.
7. Le régime rwandais est celui ayant commis le plus grand nombre d’assassinats d’opposants politiques en dehors de ses propres frontières (au Kenya, en Afrique du Sud, en Ouganda, en RDC, et auxquels s’ajoutent des tentatives d’assassinat en Belgique et au Royaume-Uni, empêchés in extemis par les autorités locales, qui se refusent toutefois et étrangement de protester). Chose qui est pourtant extrêmement rare dans le monde, mais qui est habituelle pour ce régime.
8. Paul Kagame, officiellement au pouvoir depuis l’an 2000 (mais de facto depuis 1994), a modifié la constitution de son pays en 2015 afin d’être en mesure de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034, soit 40 années de règne. Kagame est d’ailleurs le seul dictateur africain à oser encore « se faire élire » avec des taux de 99 % (98,6 % lors de la dernière élection présidentielle de 2017).
9. Le régime totalitaire du Rwanda, et l’impunité la plus totale dont il jouit, est hélas en train d’inspirer d’autres pouvoirs africains qui s’appuient sur cet exemple afin d’interrompre un processus de démocratisation en cours. Et notamment dans la région de Grands lacs, et en particulier en Ouganda et au Burundi (dont le président a récemment procédé à un véritable « copier-coller » de la nouvelle constitution rwandaise).
Plus loin sur le continent, il est également regrettable d’observer la dérive autoritaire que connaît aujourd’hui le Bénin, qui fut pourtant le deuxième pays d’Afrique continentale à devenir une démocratie, après le Botswana et dès 1990 (au Sénégal, Léopold Sédar Senghor avait été le premier président, hors Afrique du Sud – non encore véritablement démocratique pour cause d’apartheid, à quitter le pouvoir de lui-même, fin 1980. Mais la démocratie ne fut instaurée que bien plus tard). Le Bénin, un pays dont le président est bien connu pour être un ami proche de Kagame…
10. Louise Mushikiwabo, ancienne numéro deux de régime rwandais, avait invité en 2017 le directeur général d’Human rights watch, une importante ONG internationale de défense des droits de l’homme, à se faire soigner dans un hôpital psychiatrique, après que celui-ci ait courageusement qualifié le pouvoir en place de « dictature meurtrière ».
Cet ancien haut dignitaire du régime rwandais, totalitaire et de surcroît totalement anglophone (comme l’atteste le fait qu’aucun des nombreux sites internet gouvernementaux ne dispose de la moindre version, ni du moindre paragraphe, en langue française – même si certaines indications trompeuses font parfois croire le contraire, ou encore l’absence totale d’une version en français sur le site internet du tour cycliste du Rwanda, une compétition à laquelle participent, en plus, de nombreux francophones), est aujourd’hui à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie… Une organisation qui affiche une totale indifférence à l’aspect totalitaire et anti-francophone du régime, et qui perd donc presque toute crédibilité et légitimité.
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