La Haye CPI: L’Union africaine sonne la révolte collective et trace les perspectives d’une Cour de justice africaine

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Félix Tano, enseignant d’université, Côte-d’Ivoire

Après quelques initiatives isolées de retrait de la Cour pénale internationale (CPI) amorcées par certains Etats, l’Union africaine (UA) a pris une résolution décidant d’un « retrait collectif » de ses membres. C’était à l’occasion du 28è sommet des chefs d’Etat et de gouvernement qui s’est tenu à Addis-Abeba (Ethiopie), à la fin du mois de janvier 2017, à l’issue d’une réunion qui s’est tenue à huis clos.
Cette décision est l’aboutissement d’une série d’initiatives commencées en octobre 2013, et poursuivies lors des deux sommets de l’Union africaine en 2016. Mais c’est aussi le dernier acte d’exaspération, après les refus de coopérer avec la CPI, les menaces et annonces de retrait de quelques Etats africains.

Cette « révolte africaine » se justifie par une « hypocrisie devenue aujourd’hui presque impossible à cacher ». En effet, plusieurs dirigeants du continent accusent la CPI de corruption, de poursuites injustifiées, de partialité et d’être un instrument de l’Occident, au service des intérêts néocolonialistes et dont la « caractéristique est de s’attaquer aux leaders africains qui se sont opposés aux manœuvres occidentales dans leurs pays et régions, tout en épargnant gracieusement ceux travaillant en étroite « collaboration » avec les élites de l’Occident » (Mikhail Gamandiy-Egorov).

Au-delà de la réclamation de l’immunité pour les présidents en exercice et la suspension conséquente des poursuites contre les chefs d’Etat El Béchir du Soudan et Uhuru Kenyatta du Kenya (satisfaites dans ce dernier cas), la revendication principale des premiers leaders africains concerne la libération du Président Laurent Gbagbo, une question sur laquelle, aux dires de plusieurs observateurs, les débats se sont focalisés encore lors du dernier sommet. Ce n’est pas une surprise. Dès sa prise de fonction en 2012, Madame Nkosazana Dlamini-Zuma, l’ex Présidente de la Commission de l’Union africaine, avait écrit à la CPI pour solliciter la libération du président Laurent Gbagbo parce que la réconciliation en Côte d’Ivoire lui est étroitement liée. Plus tard, en septembre 2015, les anciens chefs d’Etat africains, réunis au sein du Forum africain, ont lancé un appel urgent à la CPI pour lui signifier que « la Côte d’Ivoire et l’Afrique ont besoin de l’ancien président Laurent koudou Gbagbo pour réaliser la paix et la justice ». Et pour cause !

En 2011, lors de différents pourparlers en vue de résoudre la crise post-électorale ivoirienne, l’Union africaine n’a pas su (ou pu) défendre sa solution. Et c’est le président Equato-Guinéen Obiang Nguema Basogo, alors président en exercice de l’Union Africaine, qui le confirme: « Je crois qu’il était possible à l’UA de trouver une solution, parce que, en tant président de l’UA, j’ai demandé à la communauté internationale de permettre à l’Union africaine de trouver une solution en Côte d’Ivoire. Je leur ai dit que c’était une opportunité pour l’Union africaine et les Africains, pour résoudre le problème. C’était un problème africain qui avait besoin d’une solution africaine. Mais ils n’ont pas écouté. Pour eux, il était trop tard, car ils avaient déjà pris la décision d’intervenir et d’utiliser leurs troupes contre Gbagbo, de le retirer du pouvoir au profit de l’autre partie. Ainsi, contrairement à la Tunisie et l’Egypte, ce n’était pas le peuple de Côte d’Ivoire qui a enlevé Gbagbo du pouvoir. Ce sont les Français et les troupes de l’ONU qui l’ont fait. Ce n’était même pas l’armée ivoirienne qui l’a enlevé. Ce sont les français et les troupes de l’ONU, des troupes étrangères » (Interview exclusive à Africawatch, septembre 2013).

Après un tel aveu, il est de la responsabilité de l’UA de poursuivre un combat qu’elle n’a pu gagner à l’époque. En obtenant la libération du Président Laurent Gbagbo, elle pourrait se rattraper, d’une certaine manière, de son impuissance manifeste de 2011. Cette résolution portant « retrait collectif » de la CPI lui donne donc l’occasion de reprendre l’initiative et espérer mettre fin à « la marginalisation de l’Union (Africaine) dans sa capacité à résoudre les défis les plus importants d’Afrique », ainsi que l’observait le Président Thabo Mbeki dans une tribune à Foreign policy, le 29 avril 2011.

Une cour de justice africaine dans un monde multipolaire

Le contexte international semble offrir à l’UA une belle opportunité. En effet, ce qui reste de « l’ordre mondial d’après-guerre … touche à sa fin » (Sigmar Gabriel, ministre allemand des Affaires étrangères). Et le leadership américain (en alliance avec l’Union européenne) qui guide le monde depuis la chute du mur de Berlin n’est plus de mise. Les discours du Président Donald Trump des États-Unis à l’égard de l’OTAN (l’instrument des expéditions militaires menées par l’occident ces dernières années), même atténuées par son vice-président, laissent entrevoir une révision de la doctrine de l’interventionnisme militaire et de l’ingérence dans les pays tiers. Plus encore, en décidant de revoir l’engagement des Etats-Unis au plan international, particulièrement au sein de l’ONU et de ses organisations satellites, comme la CPI, la présidence de Donald Trump s’inscrit ouvertement dans une stratégie de repli. Si celle-ci se confirmait, elle conforterait une tendance perceptible depuis l’émergence de nouveaux pôles de puissance que sont la Russie, la Chine, et les solidarités (comme les BRICS) qu’elles dirigent et qui prônent une toute autre vision du monde : l’avènement d’un monde multipolaire.

Quelle est la place que l’Afrique compte s’octroyer dans ce nouvel ordre qui se met progressivement en place ? Avec quels partenaires compte – t – elle établir de nouvelles alliances dans ce monde multipolaire en construction et sur la base de quels principes ? Comment compte-t-elle accroître sa capacité d’action et de négociation et dans quels domaines stratégiques ? A défaut d’un Etat africain leader, qui, comme les Etats-Unis d’Amérique au 19e siècle, et en vertu de la doctrine de Monroe, avaient protégé le continent américain des convoitises extérieures (précisément le colonialisme européen), l’UA peut-elle être cette force d’action collective qui pourrait faire gagner de nouveaux espaces de souveraineté à ses membres ?

Assurément, en actant sa volonté de « retrait collectif » sur la base des considérations exposées plus haut, l’UA marque une rupture avec l’ordre international actuel. Elle confirme le refus des Etats africains de continuer à se soumettre à un ordre juridique dans lequel le droit vise à consolider les intérêts des grandes puissances à leur détriment.

Mieux, elle jette les linéaments du futur souhaitable en recommandant, dans la même résolution, aux pays membres de renforcer la Cour africaine de justice et des droits de l’homme. En effet, c’est en juin 2014, qu’un amendement au protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme a adjoint «une compétence internationale pénale » à ladite Cour, opérationnelle depuis 2004, pour en faire une sorte de Cour pénale panafricaine. Cette cour, dont il est attendu qu’elle pave la voie à la conception africaine du droit pénal, doit, en toute logique, juger les crimes qui empêchent l’Afrique de décoller, notamment les crimes de changement anticonstitutionnel de gouvernement, mercenariat, traite des personnes, trafic de déchets dangereux, exploitation illégale des ressources naturelles, crime d’agression, etc.

La détermination des Etats africains à faire entendre leur voix dans le concert des nations, devrait se mesurer à l’aune de la mise en place effective de la branche pénale de cette structure et des poursuites qu’elle pourrait diligenter pour réprimer ces crimes, très nombreux en Afrique. A ce jour, le protocole n’a été ratifié que par neuf Etats, alors qu’il en faut 15 pour son entrée en vigueur. L’adoption de la résolution devrait accélérer ce mouvement, car une majorité confortable s’est dégagée nettement en sa faveur. Selon diverses sources, seule une quinzaine d’Etats avait exprimé des réserves. Ce qui signifie qu’une quarantaine d’Etats y est favorable, parmi lesquels une vingtaine avait ratifié le statut de Rome. De plus, le Président Kenyatta s’est engagé à verser un million de dollars pour la soutenir.

Il y a donc des raisons de croire que l’Afrique va bientôt tourner définitivement la page de la CPI et ouvrir une nouvelle. Toutefois, ce volet pénal est un premier test qui permettra de prendre la mesure de ses véritables ambitions dans ce nouvel ordre en construction. L’Union africaine est attendue sur d’autres sujets. La question du franc CFA a été débattue lors du même sommet. Mais, au moment où le monde se trouve à un autre tournant de son histoire, d’autres chantiers doivent s’ouvrir nécessairement, pour permettre à l’Afrique d’effectuer son bond en avant.

Félix TANO
Professeur d’université, Côte d’Ivoire

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