Côte-d’Ivoire: Le chanteur de reggae Larry Check amputé d’une jambe

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Souffrant depuis de longues années de diabète, l’artiste-reggae ivoirien Larry Cheick a été amputé d’une jambe, apprend-on de son staff managérial à Abidjan. Ancien lead vocal des transfuges du Solar System d’Alpha Blondy, Larry Check s’était rendu célèbre dans les années 80 avec les Reggae Roots et un des morceaux phares, Sarajevo crimes et Masa.

Rencontre-Interview
06/01/2011

Larry Cheick (Artiste Musicien) : “ J’ai reçu des menaces qui m’interdisaient de jouer ”

Seydou Diabaté est le nom à l’état civil de Larry Cheick, reggaeman ivoirien. Le nom Larry provient du mot Bambara “Lahiri” qui signifie “pacte”. Un nom qui lui a été attribué par son grand-père. Une sorte de contrat qu’il avait avec son petit-fils. Au fil du temps, Lahiri a grandi et est devenu un grand artiste en Côte d’Ivoire. Il devient Larry. Des cabarets où il joue avec sa guitare sèche, il va rejoindre l’ex-Solar System qui avait rompu avec Alpha Blondy. Ensemble, ils fondent le groupe “Reggae Roots” au début des années 1980. Par la suite, il va mener une carrière solo. Avec plusieurs albums à son actif, Larry Cheick va s’éclipser pour travailler dans l’ombre. Nous l’avons rencontré pour échanger. Et, il nous a ouvert son cœur.

Peux-tu nous parler de tes débuts dans la chanson ?

Il faut dire que je suis guitariste, avant d’être chanteur. Déjà, quand j’étais tout petit, je touchais un peu à la guitare. Au milieu des années 1970, j’ai commencé à en jouer un peu, ça et là. Avant de participer, en 1980, à l’émission  »Première chance » de Roger Fulgence Kassy. Ensuite, j’ai été appelé par le groupe  »Solar System », après sa rupture d’avec Alpha Blondy. Ce groupe a décidé d’enregistrer un album avec moi. Du coup, j’ai eu peur. Mais ils m’ont rassuré.

Tu étais donc, au départ, au  »Solar System », aux côtés d’Alpha Blondy ?

Là, il faut que je rectifie les choses. Je n’ai jamais joué avec Alpha Blondy. C’est un grand frère que j’ai toujours respecté et suivi, avant la sortie de son album. C’est donc l’ex  »Solar System » devenu  »Reggae Roots » qui m’a sollicité, en tant que chanteur. Nous sommes allés à Paris en 1982 et avons enregistré le premier album. C’est  »Sarajevo crimes », sur lequel figure mon titre  »Massa » qui a fait le tour du monde. Dans cette chanson, je dis que Dieu a créé l’homme, mais il ne lui a pas promis l’égalité. Notre manager était un aîné, Mohamed Haïdara, qui se trouvait être aussi l’ex-manager d’Alpha Blondy. C’est ainsi que je me suis retrouvé avec l’ex-staff d’Alpha.

Le  »Solar System » se fâche, le manager aussi claque la porte. Ce qui veut dire que tu as tout arraché à Alpha Blondy, sans le vouloir…

Je ne voyais pas la chose de cet œil-là. Les grands frères m’ont appelé et m’ont donné une chance. On a enregistré un album qu’on a vendu à plusieurs milliers d’exemplaires. Nous avons fait plusieurs concerts et festivals, à travers le monde.

Tu aurais piqué la chanson  »Massa » d’Alpha Blondy, qui aurait répliqué, à son tour, avec  »Blessé ». Quelle est la vérité ?

Ah ! Là. Vous m’apprenez beaucoup de choses. Je n’ai jamais chanté  »Massa » pour indexer quelqu’un. Les gens parlent beaucoup. Mais c’est un texte que j’avais composé, avant que le reggae n’émerge en Côte d’Ivoire. C’était une chanson dans le style  »folk ». Ce n’est pas ma vision de la vie. Je considère Blondy comme un aîné. C’est d’ailleurs lui qui nous a donné cette grande envie de faire du reggae. Moi, en tant qu’artiste en herbe à l’époque, j’ai saisi l’occasion de me faire une place grâce à l’ex- »Solar System ». Avec Sam Camus, Sam Takendjoula, Manou Yodan… qui m’ont donné une chance. Mon objectif n’était pas de détrôner Alpha. Je suis bien trop petit pour prétendre cela. Il reste un monument, quand même.

A un moment donné, as-tu attrapé la grosse tête, au sein du  »Reggae Roots »?

Non. Dans la vie, on n’obtient rien sans effort. Avec le  »Reggae Roots », j’ai beaucoup appris. Nous avons beaucoup travaillé. Ce groupe a été une école pour moi, en matière de reggae. On faisait des répétitions à chaque fois. Nous avons été soutenus par le doyen François Konian qui nous a cédé son studio où nous répétions nuit et jour. Je n’ai pas eu la grosse tête. Ma philosophie a toujours été  »devenir sans nuire ». On me connaît pour ma simplicité. Je suis resté le même.

Mais qu’est-ce qui a fait exploser le “Reggae Roots” ?

Pendant nos tournées, à l’étape de Paris, il y a eu un problème qu’on ne pouvait plus gérer. Il s’agissait d’un problème de leadership entre Ram Chaka, qui chantait bien en anglais, et moi. Partout où on allait, c’était  »Massa » qui prenait. Aussi y avait-il des petits problèmes. En plus, l’ombre d’Alpha Bondy planait sur ce groupe. Je ne voulais pas rentrer dans ce jeu, car je voulais gérer ma carrière.

Ce sont donc les problèmes de leadership qui ont entraîné la dislocation des  »Reggae Roots » ?

Bien sûr, parce qu’on ne s’entendait plus. Et chacun était libre de son orientation. J’ai beaucoup donné au  »Reggae Roots ». Par ailleurs, je partageais tous mes droits avec le groupe. A un moment donné, j’en avais marre. Il fallait changer. Des producteurs m’ont approché. J’ai eu un contrat. Je suis allé à Paris pour enregistrer mon album solo,  »Code Pénal », mon second livre sonore.

Pourquoi as-tu baptisé l’album  »Code pénal » ?

 »Code pénal », c’est l’histoire de l’Afrique en quatre minutes. Où il y a des titres comme  »Djahamanan rendez-vous » (le rendez-vous de l’enfer) dans lequel je demande aux  »terriens » de ne pas s’enrichir de façon malhonnête. C’est-à-dire tuer, faire des sacrifices humains, abattre des albinos …Il ne faut pas faire du mal, parce que Dieu nous a déjà enrôlés. Lorsqu’il fait briller les étoiles, c’est pour nous photographier. Donc, nous sommes déjà là-bas. Alors, le jugement dernier sera sévère. Il n’y aura pas de pitié.

N’est-ce pas sur cet album que tu chantes  » Ferima  » ?

Il s’agit de  »Djandjou Star », où je dénonce la prostitution, pour faire changer mes sœurs.

Certaines femmes ont été blessées…

Qui se sent morveux se mouche. Je ne m’adresse pas à une personne précise. C’est une sensibilisation générale. Et en ce temps-là, le Sida n’avait que sorti légèrement sa tête. Il y avait une dégradation dans la société, à cause de la razzia de cette maladie spirituelle.

Penses-tu que ton message est passé ? Parce qu’aujourd’hui, c’est encore plus grave ?

Mais au moins, à l’époque, j’ai contribué à diminuer la prostitution. Parce que lorsqu’une fille sortait avec une minijupe et que l’on criait  »Férima », ça changeait sa mentalité. Cela a freiné le taux de mortalité. Ma contribution a été positive. On continue le combat.

On a l’impression qu’après la sortie de  »Code pénal » en 1992, Larry Cheick s’est tu, à jamais ?

Ah ! Non. Il y a eu les  » 10 commandements de Dieu moins 1 « , sorti en 1994. Dans cette œuvre, j’ai parlé des sorciers. J’ai éveillé les consciences, pour dire que les Blancs avaient tout arraché à l’Afrique. J’ai donc dit  »stop à l’ignorance ». Les Occidentaux nous asphyxient. Ils parlent de dévaluation. Un jour arrivera où les Blancs s’accapareront de l’Afrique, si on n’y prend garde.

A cette époque là, qu’est-ce qui t’amenait à être si engagé?

J’ai deux passions dans ma vie. Dieu et l’Afrique. Je n’attaquais pas. Je dénonçais souvent. Je trouve immoral de venir oppresser un peuple qui a participé à la création du monde. Parce que l’Afrique est monde. L’écriture vient de l’Afrique. Et, sans écriture, il n’y a pas de monde.

Après cet album en 1994, on ne t’a plus entendu. Qu’as-tu fais pendant ce temps là ? D’aucuns disaient que tu n’étais plus inspiré. Est-ce vrai ?

J’ai même fait un autre album.  »Un procès pour l’Afrique », qui est sorti en 2002. Et quelques jours après, il y a eu  »la chose-là » (ndlr : la crise du 19 septembre 2002). Je me suis cassé. J’avais beaucoup de projets.

C’est donc la crise qui a tué ton album et ta carrière ?

Bien sûr. On n’a pas fait de promo ici. J’étais obligé d’aller ailleurs. On a joué en Europe et dans la sous région. Mais ici, à cause des multiples ‘’Couvre-feu’’ et de l’Etat d’urgence, on n’a pas pu faire décoller l’album. Larry Cheik ne peut pas arrêter de chanter. C’est un choix. La pensée a des ailes et nul ne peut arrêter son envol. Je suis né pour cela. Je le ferai pour le plaisir de mes fans. J’ai reçu des sms, des e-mails, des appels des fans. Ainsi que des menaces. Mais j’arrive.

N’est-ce pas à cause de ton engagement que tu as reçu des menaces ?

J’ai reçu des menaces qui m’interdisaient de jouer certains titres à la radio. Mes interviews étaient ciblées et on zappait les parties dites  »nuisibles ». Mais il faut qu’on communique. J’ai senti, à un moment donné, que le message était noyé. Donc, il n’y avait pas lieu de sortir des œuvres, parce qu’elles allaient être étouffées. En plus, j’étais encadré par certains producteurs qui n’ont pas compris mon message. Je ne suis pas venu à la musique pour me faire d’abord de l’argent. Je suis un militant. Je chante ma couleur. Pour moi, c’est l’Afrique ou rien. Donc j’avais besoin de quelqu’un pour m’accompagner dans ma mission, mes ambitions et mes projets. Mais ceux qui étaient à coté de moi ont brassé du blé. Ils se sont enrichis et ont sali mon message. C’est dire qu’ils ne m’ont pas accompagné dans mes projets.

Donc, Larry Cheick s’est trompé dans le choix de son staff ?

Bien sûr. J’ai été naïf. Mais je ne regrette rien. Ceux qui m’ont lâché ne sont pas des militants.

On dit que tu es un homme à femmes.

Dire que les femmes m’aiment, c’est une bénédiction. Et si j’aime les femmes, c’est parce qu’elles sont à la base de la création. Les femmes sont nos mères. La femme est la complice de Dieu. Parce que, quand elle est en grossesse, elle porte une âme pendant 9 mois. Je n’insulte pas les femmes. Je les respecte. La femme étant complice de Dieu, elle sera éternellement ma sœur, mon amie…

Parfois, les gens t’ont trouvé violent, physiquement. Pourquoi ?

Quelque fois, je pète les plombs. En tant que  » terrien  » et bipède, j’ai des faiblesses. Quelques fois, j’ai eu à vexer certaines personnes, dans mes dires et dans mon comportement. En plus, je suis un ancien loubard. J’ai fait Abobo. Attention (rires) ! J’étais de la même promotion que des gens comme John Pololo. Mais le micro m’a assagi.

En ce moment, tu prépares ton retour. Parlons-en ?

J’ai beaucoup de projets actuellement. Et les mélomanes vont encore m’entendre. Là, il y a  »Larry story » 1 et 2, des best of, qui vont sortir. Les mélomanes vont écouter les grands crus de Larry Cheick. Ils seront suivis d’un projet d’alphabétisation, à travers un single. Ce sera de la sensibilisation. Parce que la gangrène de l’Afrique, c’est l’analphabétisme. Mon combat est que tous les Ivoiriens et les Africains apprennent à lire et à écrire. A cet effet, je prépare une caravane qui va sillonner la Côte d’Ivoire, pour inciter à l’alphabétisation.

Ton regard sur la piraterie

On a mené un combat immense depuis un certain moment. Mais la piraterie existe à cause de l’analphabétisme. Certains pensent qu’en achetant l’œuvre piratée de l’artiste, ils l’arrangent. Alors qu’il tue l’artiste. Il y a certains dirigeants qui ne savent pas que la musique est une industrie. Tout cet argent qui va dehors peut servir à l’Etat. Aujourd’hui, je suis heureux parce que le président de la République vient de signer un décret pour la lutte contre la piraterie. Et il nous a acceptés au Burida, avec cette grande lutte qu’on a menée aux côtés de Gadji Céli. Actuellement, nous l’avons imposé au Burida pour qu’il y ait un changement. Une nouvelle loi. C’est un combat qu’on a mené pendant des années. Maintenant l’artiste vivra de son art en Côte d’Ivoire. Sinon, les grands artistes étaient devenus des mendiants. Ils étaient obligés de chanter certains hommes politiques pour des enveloppes. Moi, je ne vois pas pourquoi je chanterais un homme politique. Qu’est-ce qu’ils ont fait pour l’Afrique. Je préfère chanter Samory.

Quels sont tes rapports avec Alpha Blondy, Tiken Jah, Ismaël Isaac et tous les autres artistes reggaemen en Côte d’Ivoire ?

Tout va bien entre nous. Alpha et moi, nous nous voyons quelque fois dans la bonne humeur. Quant à Tiken, c’est plus rare. Parce chacun de nous est toujours parti de son côté. Néanmoins, je l’encourage et il a ma bénédiction. Ismaël Isaac, lui, il va bien. On s’est eu au téléphone récemment. C’est un garçon plein de talent que la Côte d’Ivoire gagnerait à assister. Parce que c’est un exemple dans le genre reggae.

Réalisée par Hamed Konin

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