La nouvelle, même si elle n’a aucun lien avec l’affaire « le procureur contre Laurent Gbagbo » mérite tout de même une attention particulière : Le retrait de la juge Belge, Christine Van Den Wyngaert du dossier Kenyan.
Egalement juge siégeant à la Chambre préliminaire I qui a en charge l’affaire Gbagbo, Christine Van Den Wyngaert a déclaré qu’il subsistait d’importantes questions « quant à savoir si la confirmation des charges retenues contre les accusés étaient basées sur des investigations complètes et approfondies ». Et d’ajouter : « En fait, je crois que les faits montrent que la partie plaignante n’avait pas respecté les dispositions de l’article 54 (1) (a) au moment où elle demandait cette confirmation et qu’elle n’était pas du tout prête au moment du démarrage des poursuites devant cette Chambre ». Toujours dans cette affaire kenyane, elle aurait aussi déploré le fait qu’après la confirmation des charges, il y’avait « un nombre impressionnant de témoins post-confirmation et une grande quantité de documents de preuves post-confirmation, sans oublier le grand retard apporté à la production de ces preuves ». C’était le samedi 27 avril 2013.
Il faut rappeler que suite aux violences postélectorales survenues entre 2007 et 2008 au Kenya, le procureur Luis Moreno Occampo avait ouvert une enquête proprio motu. Le 8 mars 2001, la Chambre préliminaire II a délivré des citations à comparaître contre William Samoei Ruto, Joshua Arap Sang, Henry Kosgey dans une première affaire et Francis Muthaura, Uhuru Kenyatta et Mohammed Ali dans une deuxième affaire.
A l’issue des différentes audiences de confirmation des charges, la chambre préliminaire II a refusé de confirmer les charges retenues contre MM. Mohammed Ali et Henry Kosgey. Elle a décidé en outre de renvoyer les quatre autres : Ruto, Sang, Muthaura et l’actuel président kenyan Uhuru kenyatta en procès depuis le 23 janvier 2012. Leurs procès sont ouverts depuis le 10 avril 2013 sauf celui de l’actuel chef de l’état kenyan qui a été reporté sine die au mois de Juillet 2013.
Enfin, il faut retenir qu’aucun des suspects n’est détenu par la CPI.
Une jurisprudence ?
Ce n’est pas la première fois qu’un juge de la CPI se retire d’un dossier ou donne un avis dissident dans une affaire.
En effet, au début de l’’affaire Gbagbo, nous confiait une source proche de la Cpi, la juge Fernandez De Gurmendi aurait donné un avis dissident et avait menacé de démissionner si le procureur s’obstinait à enquêter uniquement sur les crimes commis par le seul camp Gbagbo.
Aussi, le juge Allemand, Hans-Peter Kaul qui fait aussi partie du trio des juges de Gbagbo avait lui aussi donné un avis dissident dans l’’affaire Kenyane. Toujours dans cette même affaire kenyane , l’ex procureur Ocampo avait présenté six chefs d’accusation dans une première affaire (affaire n°1) contre trois suspects, de crime contre l’humanité, de meurtre, de déportation forcée de population, de viol et d’autres actes de violence sexuelle et actes inhumains. Dans son opinion dissidente, le juge Hans-Peter Kaul soutenait que la Cour pénale internationale « ne peut être saisie, car les crimes commis sur le territoire de la République du Kenya pendant les actes de violence qui ont suivi la période postélectorale de 2007/2008, étaient à son avis des crimes graves de droit commun relevant du droit pénal kenyan et ne constituent pas des crimes contre l’humanité tel que codifié à l’article 7 du statut de Rome » avait à l’époque rappelé la juge présidente, Ekaterina Trendefilova, lors de l’audience de confirmation des charges dans l’affaire kenyane. Une décision rendue le 23 janvier 2012 (cf. décision: ICC-01/09. 01/11-T-14.FR et WT 23-01-2012 1/10 NB PT), dont la conclusion était la suivante: « Dans le cadre de notre mandat judiciaire, nous avons étudié l’affaire à travers un prisme impartial et indépendant. C’est notre désir le plus cher que ces décisions rendues apportent la paix pour le peuple Kenyan et préviennent toute forme d’hostilité ».
Kenya-Côte d’Ivoire : Deux affaires différentes ?
L’enquête sur la situation au Kenya est la cinquième ouverte par la Cour pénale internationale. Le 31 mars 2010, les juges de la Chambre préliminaire II ont autorisé le Procureur de la CPI à ouvrir une enquête sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis au Kenya dans le cadre des violences postélectorales de 2007-2008. C’est la première fois que le Procureur de la CPI demande l’ouverture d’une enquête de sa propre initiative, « proprio motu », sans que la situation ait été renvoyée au préalable à la Cour par un État partie ou par le Conseil de sécurité de l’ONU. Une situation identique dans le cas de la Côte d’Ivoire. Le procureur ouvrait une enquête de sa propre initiative depuis le 3 octobre 2011 suite à la crise postélectorale de novembre 2010. Dans les deux situations les suspects sont poursuivis pour les mêmes faits et sont tous des co auteurs indirects. Laurent Gbagbo et Uhuru Kenyatta étaient tous deux présidents en exercice dans leurs pays respectifs. Seulement si la réélection du kenyan le 9 mars dernier a beaucoup joué sur son procès qui devrait normalement débuter le 11 avril dernier, ce n’est pas le cas pour Laurent Gbagbo qui lui a été remis à la COUR par les nouvelles autorités ivoiriennes depuis le 28 novembre 2011.
L’autre coïncidence est la composition de la chambre préliminaire en charge des deux dossiers. Les deux juges Hans Peter Kaul et Christine Van den Wyngaert sont commis pour juger les deux affaires. Sauf qu’ils auraient eu dans la première affaire (Kenyane) déjà des avis dissidents. Aussi on se souvient que ces deux juges avaient sommé le bureau du procureur lors de l’audience de confirmation des charges retenues contre Laurent Gbagbo, de clarifier ses allégations surtout au regard de l’article 28 du Statut de Rome. Un article qui mettrait à nu le Chef de la rébellion, Guillaume Soro en tant que supérieur hiérarchique et plusieurs com zones en tant que Chefs militaires.
Avec donc ce retrait de la juge Christine Van Den wyngaert du dossier Kenyan et les nombreux avis dissidents frappés des dernières interpellations du bureau du procureur dans l’affaire Gbagbo ont est en droit de s’imaginer que quelque chose risque de se passer d’ici le 28 mai 2013 date buttoir pour le verdict de l’audience de confirmation de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo.
Voici les trois scénarios possibles
Premier : Les juges estiment qu’il existe des preuves suffisantes pour confirmer les charges même en partie contre Laurent Gbagbo. Dans ce cas, la chambre préliminaire I renvoie Gbagbo en procès. Un procès qui ne s’ouvrira pas avant un an selon les dispositions et règlements de la CPI. Sans compter la spirale d’appel, de recours et de report que pourrait ordonner la Défense pour mieux se préparer et affronter la machine politique de la CPI.
Deuxième : Les juges infirment les charges. Dans ce cas le procureur pourra par la suite demander la confirmation de ces dernières en présentant des éléments de preuves supplémentaires. Aussi les deux parties peuvent toutefois demander à la Chambre préliminaire l’autorisation d’interjeter appel contre la décision sur la confirmation des charges.
Troisième : Avant de statuer sur les charges ou rendre le verdict définitif, la chambre préliminaire peut toutefois ajourner l’audience et demander au procureur d’apporter des éléments de preuve supplémentaires ou de modifier toute charge pour laquelle les éléments de preuve produits semblent établir qu’un crime que celui qui est reproché a été commis.
A ce stade de notre analyse, il faut rappeler qu’en février 2010 la Chambre préliminaire a refusé de confirmer les charges à l’encontre de M. Bahar Idriss Abu Garda, suspecté alors d’avoir commis des crimes de guerre au Darfour (Soudan). D’autre part, le 16 décembre 2011, la chambre préliminaire a décidé de ne pas confirmer les charges de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre portées à l’encontre de M. Callixte Mbarushimana. Celui-ci a quitté le quartier pénitentier de la CPI le 23 décembre 2011.
De même, en 2009, la chambre préliminaire saisie de l’affaire Jean-Pierre Bemba avait décidé d’ajourner l’audience de confirmation des charges et avait demandé au procureur de reconsidérer les charges, notamment quant à la forme de participation de M. Bemba en rapport avec les crimes allégués. L’accusation avait alors modifié les charges et la Chambre a par la suite confirmé ces dernières charges et renvoyé l’affaire en procès.
La CPI peut-elle ajourner à ce stade l’audience de confirmation de Gbagbo ? Oui. Car tant que le verdict définitif n’ait été prononcé, l’audience est considérée comme en cours. Enfin, de ce qui précède et sans être un charlatan, on est tenté de s’imaginer qu’un ajournement de l’audience suivi d’une requalification des charges qui porteraient à coup sûr sur les articles 8 (crimes de guerre) et 28 (responsabilité pénale individuelle) comme l’ont fait remarquer les juges Hans Peter Kaul et Christine Van den Wyngaert est possible.
Une décision qui ne sera pas sans conséquence sur la mobilisation des résistants pro-Gbagbo de la diaspora qui semblent être essoufflés après seulement deux ans de marches.
Qui vivra verra !
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