Les lampions se seront à peine éteints sur cette cérémonie d’investiture grandiose qui, à Yamoussokro, réunit un vaste parterre de têtes couronnées parties saluer et féliciter le président élu de Côte d’Ivoire qu’Ado, par une mesure de taille, aura donné le ton de ce qu’il compte entreprendre les jours prochains :
Le chef de l’Etat ivoirien, moins de 24 heures après la cérémonie protocolaire d’investiture, a annoncé sa décision de reconduire Guillaume Kigbafori Soro au poste de Premier ministre. Une surprise ? A la vérité, pas vraiment. Les observateurs les plus avisés de la scène politique ivoirienne pressentaient que le seigneur du Nord conserverait son poste.
Pour cette raison : on a toute l’impression que la Côte d’Ivoire, à l’heure actuelle et au point où elle en est, ne peut pas vraiment se passer des services de l’enfant terrible de la zone rebelle du Nord qui, depuis le dernier trimestre de 2002 jusqu’à la date fatidique du 11 avril, en fit voir de toutes les couleurs au président déchu ainsi qu’aux caciques du FPI.
Voilà donc Guillaume Kigbafori Soro qui rempile et se retrouve encore une fois Premier ministre et détenteur du portefeuille de la Défense. Pour combien de temps ? On ne saurait le dire. Les choses s’éclairciront au fur et à mesure que passera le temps.
Après la période des élections législatives, par exemple. D’ici-là, on aura eu tout le temps d’aviser. Mais pour l’instant, il y a plus urgent à faire. Le président ADO, en annonçant sa décision, prend la peine de préciser qu’elle a été pleinement approuvée et consentie par Bédié ;
précision bien nécessaire et de taille, car, on se rappelle que dans la période de l’entre-deux tours de la présidentielle ivoirienne, promesse avait été faite, par le candidat ADO, que s’il était élu, le poste stratégique de premier ministre échoirait à un membre du PDCI. A l’époque, on songeait quelque part à un certain parallélisme des postes.
Mais entre-temps, bien des évènements se seront passés. Il y eut toute cette période trouble de l’après-présidentielle avec un Gbagbo jouant les prolongations, les affrontements opposant les FDS aux FRCI, les batailles qui opposèrent les deux camps antagoniques, d’abord, à l’intérieur du pays, puis dans la ville d’Abidjan, la chute de Gbagbo et du dernier carré de fidèles et le transfèrement du désormais ex-président dans son nouveau palais-prison de Korhogo.
Tous ces éléments nouveaux pris ensemble constituent une nouvelle donne qui explique la non-tenue de la promesse du candidat Ado, devenu aujourd’hui président élu et désormais investi. Il n’est pas saugrenu de penser que les changements promis par le candidat Ado devront intervenir plus tard, lorsqu’on aura fini de parer au plus pressé.
ADO sait à la perfection qu’à l’heure actuelle, il a besoin de Soro pour l’accomplissement de l’immense tâche que représente la réunification du pays. Le seigneur du Nord maîtrise plus que quiconque la zone longtemps rebelle et il a la parfaite connaissance de ses frères d’armes.
La décision d’Ado, à première vue, politiquement déséquilibrée, est cependant très logique dans la perspective d’une double réunification du pays : celle de l’armée ainsi que celle du territoire. On avait pensé que la tâche de Soro prendrait fin avec l’investiture du président élu.
On avait cru qu’après tant d’années de service en tant que chef rebelle tout d’abord, puis en tant que premier ministre de Gbagbo et enfin d’Ado à la République du Golf, l’homme accepterait un repos bien mérité et, au besoin, se mettrait en réserve pour la République.
De toute évidence, il n’en sera rien, car Ado, qui sait immense la tâche qui l’attend en tant que chef de l’Etat, sait également que la première de ses priorités – la réunification de la Côte d’Ivoire – a besoin de toute la compétence et du savoir-faire de cet homme qui, de longues années durant, aura réussi la gageure de faire de tout le nord ivoirien son fief, l’érigeant en bastion imprenable, ce qui, d’ailleurs, eut le don d’irriter au plus haut point jusqu’à Laurent Gbagbo qui finit par ne plus savoir quelle était la bonne stratégie à mettre en œuvre pour venir à bout de l’irréductible Soro et de ses hommes du Nord.
En faisant rempiler Soro et en lui confiant le ministère de la Défense, ADO peut sans doute dormir tranquille : il remet la tâche de la réunification du pays à celui-là même qui avait été à l’origine de sa partition. Et de toute évidence, Soro a le physique de l’emploi.
Ce qui ne signifie cependant pas qu’il hérite là d’une sinécure, loin s’en faut : de grosses questions se posent aujourd’hui à l’armée, tout comme naturellement à l’ensemble de la nation ivoirienne. La guerre a produit inévitablement deux camps : celui des vainqueurs et celui des vaincus. Comment rassembler en un bloc monolithique, sans grands dommages dans un côté comme dans l’autre, ces hommes qui se sont, de longs mois durant, pourchassés, haïs, persécutés et entretués ?
Comment faire rentrer dans les rangs des militaires qui, pendant si longtemps, ont dû se comporter en soudards et en véritables sans-culottes, et par quelle magie leur inculquer désormais les vertus cardinales d’obéissance et de discipline ? Comment faire admettre à nouveau aux uns et aux autres qu’il leur faudra à présent oublier haine et ressentiment pour se rejoindre désormais sous le même drapeau dans le but de servir une seule et même nation ?
La tâche de Soro sera sans doute des plus épiques. Lui-même se devra d’agir avec une énorme circonspection. Le gouvernement d’union nationale à venir devrait lui servir de tremplin, puisqu’en principe, ce sont toutes les sensibilités politiques ivoiriennes qui y seront représentées.
Une nouvelle ère s’ouvre pour la Côte d’Ivoire, et les Ivoiriens devront la considérer comme une promesse nouvelle, une chance, inespérée il y a juste quelques semaines. Le devoir leur revient à présent de construire leur propre histoire en refusant certains égarements déjà vus qui ont conduit au chaos que l’on sait. La paix des cœurs a un prix, l’édification des nations aussi. C’est l’histoire qui l’impose et le jeu en vaut la chandelle, car la victoire de Soro sera sans conteste celle du peuple ivoirien.
Jean Claude Kongo
L’Observateur Paalga
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